L’Assemblée nationale a adopté, jeudi, l’article du projet de loi olympique qui autorise le recours aux algorithmes pour le traitement des images enregistrées par des caméras ou des drones.
La ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), Amélie Oudéa-Castéra avait évoqué « quelque vingt-cinq garanties », le 1er mars lors d’une audition à l’Assemblée nationale. « Il y a vingt-huit garanties », a pour sa part déclaré le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, mercredi 22 mars devant les députés, à propos de l’expérimentation de la vidéosurveillance dite « intelligente », que veut instituer le gouvernement à travers le projet de loi « relatif aux JOP et portant diverses autres dispositions » - déjà adopté par le Sénat.
Si M. Darmanin a énoncé ces garanties une par une, et si l’article 7 du projet de loi autorisant l’expérimentation du traitement par des algorithmes des images captées par des caméras ou des drones, a été adopté, jeudi, par l’Assemblée nationale au terme de longues discussions (59 voix pour, 14 voix contre), les mesures d’encadrement mises en avant n’ont pas fait tomber les préventions des élus de gauche. « Le respect de la vie privée va quand même en prendre un sacré coup », a dénoncé Elisa Martin (La France insoumise).
Une expérimentation qui ne concerne pas que les Jeux
« A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels », a justifié M. Darmanin à propos de cette expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique, le terme de « situation exceptionnelle » faisant référence aux JOP de l’été 2024.
La mise en œuvre de cette technique ne concernera cependant pas que les Jeux : elle s’appliquera aux « manifestations sportives, récréatives ou culturelles » en général, qui « par leur ampleur ou leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes ».
L’expérimentation pourra aussi débuter dès la promulgation de la loi - elle devrait être applicable par exemple dès la Coupe du monde de rugby cet automne - et elle s’étendra au-delà des Jeux, jusqu’à la fin du mois de décembre 2024.
Les députés ont réduit cette période de test qui, initialement, devait s’étendre jusqu’à la fin du mois de juin 2025. Les élus du Rassemblement national ont cherché à la restreindre encore un peu plus, en demandant que l’utilisation de ce traitement algorithmique, auquel ils sont favorables, soit circonscrite aux seuls JOP. Sans succès.
« Qu’est-ce qu’un comportement anormal ? »
« A manifestation exceptionnelle, moyens exceptionnels », a convenu le député socialiste Roger Vicot, mais pour ajouter aussitôt que cela ne revient pas à « demander un chèque en blanc ». Il visait la définition qui sera donnée au « comportement anormal » que les systèmes de vidéosurveillance algorithmiques seront supposés détecter. « Vous nous dites “Faites nous confiance, un futur décret le déterminera”. Ce n’est pas comme cela qu’il faut faire les choses ». « Un comportement anormal c’est flou », lui a fait écho Sandra Regol (Europe Ecologie-Les Verts).
« Il s’agit d’avoir un outil d’aide à la décision des forces de l’ordre, il ne s’agit pas de reconnaître des personnes qui auraient tel ou tel profil, ou des sweats à capuche, mais des situations prédéterminées, comme des départs de feu, des goulots d’étranglement, des colis abandonnés ou des mouvements de foule », a répondu, à plusieurs reprises, M. Darmanin.
« Un opérateur décidera si cela mérite une intervention », a insisté le ministre de l’intérieur, tout en assurant, comme le fait depuis des semaines le gouvernement, qu’il ne s’agit pas de mettre en place de la « reconnaissance faciale et du traitement biométrique ».
Mais tout le monde ne met pas la même chose derrière ce terme de traitement biométrique. « La Défenseure des droits a rappelé explicitement que la détection de comportements dits anormaux se fondait sur des données biométriques, a souligné Lisa Belluco (Europe Ecologie-Les Verts). L’algorithme va permettre de reconnaître des personnes, sans nécessairement les identifier. Reconnaître signifie fournir une description suffisamment détaillée pour permettre aux agents sur le terrain de repérer une personne ».
Un règlement attendu au niveau européen
Le 17 mars, une quarantaine d’eurodéputés, très majoritairement issus des groupes Verts, S&D (sociaux-démocrates) et Gauche unitaire, avaient écrit à leurs homologues français pour leur demander de s’opposer au vote de cet article 7. Ils ont fait valoir qu’en adoptant cette disposition, sans attendre les résultats des débats au niveau européen, la France « risque d’entrer en conflit avec la loi européenne » à venir sur l’intelligence artificielle.
Ce « règlement est en cours de négociation, et il existe une majorité favorable à une interdiction stricte de la surveillance biométrique de masse », ont-ils ajouté, rappelant que le Parlement européen, dans un rapport en 2021, « précurseur de la loi sur l’intelligence artificielle », a appelé « à “l’interdiction permanente de l’utilisation de l’analyse automatisée (…), des caractéristiques humaines (…), et d’autres signaux biométriques et comportementaux” ».
Cet argumentaire a été mis en avant par Ugo Bernalicis (La France insoumise) : « Vous sentez bien que des interdictions pourraient être décidées au niveau européen, mais vous souhaitez que la France, forte du dispositif qu’elle aura adopté, pèse de tout son poids pour que l’Union européenne vienne sur ses positions », a lancé celui-ci.
« Au mois d’avril, un règlement européen sera promulgué » sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, qui « a priori n’ira pas dans votre sens, car les Etats membre de l’Union européenne y sont majoritairement opposés », a ajouté Elisa Martin, considérant qu’il aurait été « sage d’attendre » avant de voter.
« Le vote du Parlement européen n’interviendra probablement qu’à la fin de l’année 2023 et le texte n’entrera en application qu’à partir de 2025 », a contesté Philippe Latombe (MoDem). « Il ne s’agit pas, ici, de prétransposition, il s’agit de protéger les Jeux olympiques et d’assurer la sécurité de ceux qui y assisteront », a ajouté le député, qui conduit une mission d’information sur « les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité ».
L’ensemble du projet de loi « relatif aux JOP et portant diverses autres dispositions » doit donner lieu à un vote solennel des députés mardi 28 mars.
Lors de l’examen du projet de loi sur la préparation des Jeux olympiques, les députés Nupes (écologistes, socialistes et insoumis) ont dénoncé l’adoption d’un amendement co-signé par des élus RN et MoDem, et sous-amendé par d’autres de la majorité, dénonçant un « point de bascule ». Le député RN Aurélien Lopez-Liguori a défendu un amendement, qu’il a affirmé présenter non pas en tant que député RN mais en tant que « président du groupe d’étude de l’Assemblée sur la sécurité et la souveraineté numériques ». L’amendement, qui entend prioriser le recours à des entreprises européennes dans l’exploitation d’images de vidéosurveillance via des algorithmes a été co-signé notamment par le député de la majorité Philippe Latombe (MoDem) et par le député Christophe Naegelen, du groupe indépendant Liot. Il a ensuite été sous-amendé par Eric Bothorel (Renaissance), Vincent Thiébaut (Horizons) et Laurent Croizier (MoDem), tous membres du même groupe d’étude, avant d’être adopté sans que le gouvernement ne s’y oppose. « Je pense que c’est la première fois, un amendement transpartisan de la majorité avec le Rassemblement national. Vous n’avez pas honte Monsieur Latombe ? », a lancé dans l’hémicycle le député écologiste Jérémie Iordanoff.
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