12 mars 2023

Iran-Arabie dans l’air fou du temps


Signature d’une réconciliation historique à Pékin, entre l’Arabie saoudite et l’Iran. La fin de l’influence américaniste sur cette région se fait à une vitesse extraordinaire, hypersonique ! Notre commentaire lorsque les effets de l’événement vont plus vite que l’événement : « La recomposition qu’a fait démarrer la guerre du 24 février 2022 se fait à une vitesse inimaginable, que même l’effondrement de l’Empire a de la difficulté à suivre. (L’Empire ne s’effondre pas assez vite pour répondre à la logique et aux exigences de son effondrement, si l’on veut...) »
Le conflit ukrainien semble polariser toutes les attentions, et parfois dissimuler d’autres événements importants. Cela semblerait être le cas de l’accord en l’Iran et l’Arabie, conclu en Chine, donc sous les auspices de la Chine comme “honest brocker”. Pour autant, cet accord ne peut être détaché du cadre de la crise générale ‘Ukrisis’. Il en est une conséquence indirecte, et une pièce de plus dans la recomposition du monde à l’occasion du conflit ukrainien. Il s’agit d’un renforcement très important de ce qu’on nomme symboliquement “le Grand Sud” face à l’“Occident collectif”, un événement capital pour la situation du Moyen-Orient, un renforcement de la position de grande puissance de la Chine (avec la Russie à ses côtés), une promesse assurée d’un renforcement des BRICS et de l’OCS dont les deux pays signataires sont des candidats à leur participation.

L’accord de Pékin suit divers accords (tentatives d’accord) des décennies précédentes entre Iran et Arabie, mais il n’a rien à voir en importance. Il les supplante tous et résonne comme un pas énorme de transmutation de la situation du Moyen-Orient, avec la Chine et la Russie comme parrains, balayant ce qu’il restait de la position dominante des USA dans la région.

Quelques données factuelles sur un arrière-plan historique qui ne donnent qu’une toute petite mesure de l’importance de l’événement.

« L’Arabie saoudite et l'Iran se sont mis d'accord vendredi pour reprendre leurs relations diplomatiques et rouvrir leurs ambassades dans les deux prochains mois. Les relations entre le royaume sunnite et la république chiite avaient été rompues en 2016, et les deux puissances ont soutenu des camps opposés dans de multiples conflits régionaux.

» L'accord a été conclu après plusieurs jours de discussions à Pékin. À l'issue des négociations, les deux pays ont accepté de rouvrir leurs ambassades “dans un délai n'excédant pas deux mois” et de s'engager à “ne pas s'ingérer” dans les affaires intérieures de l'autre pays, selon une déclaration commune des responsables saoudiens, iraniens et chinois.

» En outre, Riyad et Téhéran ont déclaré qu'ils reprendraient un accord de coopération en matière de sécurité signé en 2001 et qu'ils s'efforceraient de renforcer “la paix et la sécurité régionales et internationales”.

» L'Arabie saoudite a rompu ses liens diplomatiques avec l'Iran en 2016, après que des manifestants eurent pris d'assaut ses représentations diplomatiques dans ce pays à la suite de l'exécution par le royaume d'un éminent érudit chiite quelques jours plus tôt. Les précédents cycles de négociations visant à résoudre les tensions ont eu lieu en Irak et à Oman en 2021 et 2022... »

Il semble acquis que l’Iran a donné des garanties aux différents acteurs impliqués selon lesquelles il ne fabriquera pas d’arme nucléaire. (Cette possibilité effraie/effrayait l’Arabie.) La Russie a annoncé jeudi qu’elle allait livrer à l’Iran des avions de combat avancés et très puissants Su-35 et l’on peut admettre, en fonction des liens entre les uns et les autres, que cette annonce fait partie de l’ensemble de l’accord, avec cette très probable garantie de non-fabrication de l’arme nucléaire.

Les connaisseurs et experts américanistes ont, eux, une toute autre approche dont la finesse et l’efficacité sont prudemment dissimulées. On le voit avec l’intervention du poids lourd, le secrétaire à la défense et ancien général Austin, sans doute le plus inutile et le plus incompétent dans la lignée des secrétaires à la défense US, actuellement en tournée de sauvetage, – du type “trop peu, trop tard”, – au Moyen-Orient :

« Les administrations américaines successives ont menacé Téhéran de conséquences diplomatiques ou militaires s'il développait des armes nucléaires. Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, a averti jeudi que les États-Unis “ne permettront pas à l'Iran de se doter d'une arme nucléaire”. »

Les dominos du Moyen-Orient

On mettra cet accord Iran-Arabie dans la foulée des grands progrès faits sous l’auspice de la Russie de l’évolution de la Turquie, vers une réconciliation avec la Syrie. Les deux pays, Iran et Arabie, tiennent un rôle fondamental dans la région, en polarisant autour d’eux les deux fractions concurrentes qui ont dominé le Moyen-Orient depuis la fin des années 1970, lorsque les USA ont enclenché une énorme dynamique de déstabilisation et de déstructuration. Il faut écouter une vidéo Christoforou-Mercouris du 10 mars sur cet accord, où tous les effets potentiels de ce rapprochement sont détaillés avec brio.  

• Cet accord est différent de tous les précédents arrangements, – et en cela, “fils naturel” d’‘Ukrisis’... Ils engagent les deux pays sur la voie d’une véritable paix entre eux, entraînant la possibilité, sinon la probabilité d’un apaisement sur tous les points de tension observés jusqu’ici.

• Israël perd son principal allié “objectif” (l’Arabie) contre l’Iran. Opérationnellement, la perspective d’une attaque israélienne contre l’Iran devient problématique, avec l’espace aérien saoudien contrôlé pour écarter une telle option. Cette nouveauté désagréable pour Netanyahou intervient à un moment crucial, où la situation intérieure israélienne est extrêmement tendue, avec une opposition virulente, y compris dans les forces armées, contre un projet de réforme judiciaire dénoncé comme “dictatorial”.

• L’Arabie et l’Iran réconciliés, on pourrait envisager l’apaisement du conflit du Yemen ; une ouverture considérable, comme on l’a vu, vers les BRICS et l’OCS ; une relance du fonctionnement de l’OPEC et surtout un pas de géant vers da dédollarisation au travers des échanges d’énergie.

• Dans ce cadre, la Turquie devrait accélérer le processus déjà engagé dans le même sens, avec la possibilité sinon la probabilité de la fin du déchirement sans fin de la Syrie.

• Enfin, le grand perdant dans le domaine de l’influence des puissances extérieures, – au profit de la Chine et de la Russie, – ce sont bien entendu les USA...

Mercouris : « Les troupes US en Syrie vont être de plus en plus isolées et à moyen terme au moins, leur position va devenir intenable... Pour les USA, l’accord Iran-Arabie est catastrophique, et il met un point d’orgue au constat que des décennies de la politique suscitée par les ‘neocon’ [la ‘politiqueSystème’] au Moyen-Orient ont désintégré la position US dans cette région... »

Faiseurs de paix, faiseurs de guerre

La paix, ou le “revers américain”... Pour mesurer l’évolution de la politique étrangère des USA, dans cette région stratégique que les neocon jugeaient centrale comme sur d’autres axes, il faut prendre symboliquement la décennie des années 1970 que nous avons signalée comme précédant le basculement de cette politique vers le régime “politiqueSystème” sans aucune restriction. Durant cette décennie, les USA cherchaient encore des arrangements qui rendaient leur influence souvent très supportable. Au début des années 1970, ce fut le coup de Nixon-Kissinger de la reconnaissance de la Chine, à la fin ce fut l’accord de Camp-David réalisé sous l’autorité de Carter.

Cette décennie 1970 marqua, selon notre appréciation, le summum de l’influence US recherchant des initiatives de paix et de stabilisation. A partir des années 1980, tout changea dans l’essence de cette politique, si l’on met à part l’effondrement de l’URSS alors considéré comme un changement pacifique, qui fut pour l’essentiel, contrairement à l’histoire réécrite en imposture (la fable des dépenses militaires), l’œuvre de Gorbatchev... Et l’invasion de Panama (décembre 1989) autant que la première guerre du Golfe (août 1990), inaugurèrent la maturation de la chose et le cycle belliciste des interventions militaires provoquées, basculant dans la politiqueSystème... Il était logique que les neocon écrivissent leur programme en 1992, et que Pfaff le désignât comme « A Burlesque of Empire ».

C’est avec cette séquence que la politique étrangère des USA, qui était déjà contraignante et agitée de spasmes guerriers, – plus ou moins selon les présidents, – devienne une chose-en-soi, une semeuse de mort, l’espèce de folie déconstructurationniste que nous désignons comme politiqueSystème.  C’est bien entendu au Moyen-Orient plus que nulle part ailleurs que cette politique a fait le plus de dégâts, transformant un “Orient compliqué” en un champ de chaos et de larmes, de sang et de ruines couronné de beaux discours énoncés mécaniquement par des robots balbutiant devant un Congrès en standing ovation.

Ce qui s’est passé hier à Pékin est certainement un très grand événement, comme le décrit parfaitement Mercouris. Il s’agit surtout d’un événement qui confirme le sentiment d’insupportabilité qu’éprouvent vis-à-vis de l’obscène folie US les dirigeants du reste du monde, – mis à part les zombies européens, tous ces dirigeants (et non les peuples) qui savourent les délices de ‘La servitude volontaire’. La recomposition qu’a fait démarrer la guerre du 24 février 2022 se fait à une vitesse inimaginable, que même l’effondrement de l’Empire a de la difficulté à suivre. (L’Empire ne s’effondre pas assez vite pour répondre à la logique et aux exigences de son effondrement, si l’on veut...)

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