La
question de l'implication d'une armée privée sur le sol national est
particulièrement controversée. Au-delà des avantages tactiques, elle
provoque des effets négatifs de grande ampleur, comme l'illustre
parfaitement l'instrumentalisation par les médias occidentaux des
relations sulfureuses entre Prigogine, l'oligarque propriétaire de
l'armée privée Wagner, et le ministère russe de la Défense. Comme l'a
souligné avec une grande justesse le ministère, la médiatisation de ces
relations objectivement complexes existantes entre les deux n'est utile
qu'à l'ennemi. Sur le fond, comment des entreprises privées
peuvent-elles à ce point participer de manière "indépendante" à une
guerre menée par un État sur son territoire ? Cette "privatisation" du
conflit, parfaitement au goût postmoderne, soulève de nombreuses
questions ...
Le
discours occidental concernant l'armée russe, développé depuis le début
de cette nouvelle phase militaire du conflit en Ukraine, qui dure
depuis 2014 dans sa phase active, est sur une ligne très stable : l'armée
russe, comme institution étatique est faible, voire inexistante, il n'y
a que des groupuscules privés ou spécifiques qui se battent. Ainsi
en fut-il au début des "hommes de Kadyrov", qui faisaient pourtant
partie de l'armée régulière. Ainsi en est-il des recrues de Prigogine
dans les unités Wagner. Cette fois-ci, en effet, Wagner est une
entreprise privée, ce qui participe à leur médiatisation. Le duel État /
business étant parfaitement du goût des globalistes.
Dans
cette ligne politico-communicationnelle, ce n'est pas l'armée russe en
tant que tel, qui se bat contre l'armée atlantico-ukrainienne, puisque
celle-ci serait vétuste, incompétente, archaïque, mais quelques
groupuscules, évidemment privés (Ô grand dieu Business, heureusement
que tu es là dans les heures sombres de la Patrie pour nous sauver! A
combien s'élève la facture?), eux à la pointe, parfaitement formés et équipés - par cette même armée russe, pourtant vétuste ... quand elle est étatique.
Il
est vrai que dans l'opinion publique libérale, voire parfois même
"patriotique", version canapé, russe, Wagner et ses acolytes présentent
sont très populaires. Ils présentent un grand intérêt : être patriote, sans risque. Comme l'avait déclaré avec arrogance, mais justesse, Prigogine, si vous ne voulez pas que je prenne les prisonniers, qui veulent racheter leur faute au combat, envoyez vos maris et vos fils. L'alternative est en effet assez simple : soit
il y a une véritable mobilisation, pour ce qui est une véritable
guerre, soit cette guerre une question de business et de volontariat,
mais qui n'a rien à voir avec la Nation. Rapidement, il est devenu
très populaire, il a au minimum sauvé les maris et les fils. Même si une
fissure autrement dangereuse a commencé à se faire sentir, une certaine
hypocrisie rampante, pour l'instant confortable, une forme de douce gangrène morale des hommes, des familles et de la société.
Et
la surmédiatisation intérieure et extérieure de Wagner à continué,
utile à chacun, sauf à l'armée régulière, pour des raisons différentes.
L'énumération quotidienne des faits héroïques des hommes se battant au
sein de l'armée russe, combien plus nombreux, n'y change rien. L'aura
héroïque est monopolisée par Wagner. Le discours de la prise de Solédar
en est assez symptomatique : Wagner annonce "sa" victoire, quand l'armée
russe est obligée, à peine audible, d'expliquer que cela ne s'est pas
fait sans une véritable stratégie d'ensemble, sans un appui de
l'artillerie et de l'aviation russe, sans un appui de groupes militaires
bloquant les accès à la ville, etc. Peu importe, Wagner a sauvé et
libéré Soledar.
Parallèlement,
le conflit monte naturellement entre le propriétaire de Wagner, qui
doit maintenir l'image et faire tourner son entreprise (logique
commerciale classique) et le ministère de la Défense, qui a une guerre
de libération nationale à mener, dans des conditions idéologiques
particulièrement défavorables et politiques assez troublées.
Le pic de cette concurrence malsaine et non à propos a été atteint ces jours-ci, lorsque Prigogine
a accusé directement le ministre de la Défense Choïgu et de chef
d'état-major Guerassimov de trahison, car il ne recevait pas
suffisamment d'armes. Évidemment, cela était un coup médiatique, car
tout se déroule dans la comm avec une perception publicitaire directe.
Mais les effets politiques sont désastreux et en période de guerre, ce
genre de sorties médiatico-hormonales devraient être sanctionnées, en
tout cas - calmées.
D'ailleurs, les médias occidentaux en font leurs choux gras :
Cela
est également parfaitement repris par les ressources étrangères
diffusant en russe ou les groupes médiatiques globalistes, comme Radio
Liberty, BBC, Mediazona etc. L'idée est simple et toujours la même : l'armée
russe est inexistante, il n'y a que Wagner et si Wagner ne reçoit pas
tout ce qu'il veut, alors la guerre est perdue, bref de toute manière la
Russie n'existe plus comme État.
Le ministère
de la Défense a parfaitement répondu, même si cette réponse ne fait pas
le poids dans cette guerre interne de l'information, entre d'un côté un
patron d'entreprise, notamment de presse, qui donne des interviews à
droite et à gauche, et d'un autre côté un ministère, mais dans la
réalité et non pas la publicité, car la guerre ne s'arrête pas à Wagner,
même s'ils font du bon travail. Je cite :
""Le
commandement du groupe conjoint de troupes dans le cadre de l'opération
spéciale accorde une attention particulière, constante et prioritaire à
la fourniture de tout le nécessaire aux volontaires et militaires des
unités d'assaut. Toutes les déclarations qui auraient été faites au nom
des unités d'assaut sur le manque de munitions sont absolument fausses
», a déclaré le ministère mardi 21 février.
Dans
les prochains jours, toutes les demandes de munitions soumises pour
février seront entièrement fournies aux unités d'assaut de la zone de
l'Opération militaire spéciale, a souligné le ministère russe de la
Défense."
Le ministère
développe une stratégie d'ensemble, qui ne peut coïncider avec le
besoin de privatiser les victoires tactiques de certaines unités. Et la
mise au point est directe :
"Une
fois de plus, nous tenons à souligner que les volontaires, comme les
militaires des unités d'assaut, mènent avec courage et dévouement les
missions de combat les plus difficiles pour libérer le Donbass des
militaires du régime de Kiev. Les tentatives de scinder le mécanisme
étroit d'interaction et de soutien entre les unités de l'armée russe
sont contre-productives et ne jouent qu'au profit de l'ennemi,"
Les
armées privées ne sont pas une tradition en Russie, l'idée a été
calquée sur les traditions américaines. Ces armées peuvent être très
utiles pour des opérations précises ou secrètes à l'étranger, afin de
soulager l'armée régulière ou ne pas l'impliquer. Mais elles n'ont, en
principe, pas leur place dans une guerre conventionnelle sur le
territoire national. Des voix se sont d'ailleurs élevées à la Douma pour
réfléchir à la mise en place de mécanismes juridiques d'intégration de
ces unités sous le contrôle de l'armée.
Car
soyons sérieux, si l'on considère vraiment que cette guerre
conventionnelle, visant à la libération du territoire national russe, ne
peut être gagnée que grâce à Wagner ou d'autres entreprises privées de
cette sorte, autant poser les armes, cette guerre est déjà perdue.
Elle est perdue, car les gens n'ont plus ni la volonté, ni le courage
de défendre leur pays. Elle est perdue, car l'idéologie globaliste
anti-étatiste a gagné en dénigrant et délégitimant l'armée régulière de l’État. Elle est perdue, car en face ce sont des armées régulières,
parfaitement coordonnées, qui se battent et non pas des unités privées
autonomes, qui n'attendent que des armes, pour ensuite décider comme des
grands où et quand les utiliser.
La
victoire de la Russie dans ce conflit globaliste en Ukraine passe
réellement par une victoire idéologique intérieure, qui nécessite
l'engagement d'une véritable volonté politique sans faille.
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