À première vue, l’idée que SARS-CoV-2, le virus qui provoque
la Covid19, se serait échappé d’un laboratoire chinois apparaît comme
robuste.
Après tout, la première apparition du virus s’est produite aux abords de l’Institut de Virologie de Wuhan (IVW), un laboratoire de premier plan qui se trouvait précisément mener des recherches sur des virus de ce type.
Et outre ce point, il apparaît désormais clairement que le virus n’était pas d’origine naturelle.
Les autorités chinoises ont confirmé n’avoir trouvé aucun réservoir d’animaux — par lesquels une contagion naturelle serait forcément passée — ni sur le marché de produits frais de Huanan, à Wuhan, ni ailleurs, et ce n’est pas faute d’avoir déployé de grands moyens pour en trouver.
Le virus était également déjà bien adapté à l’humain, dès les premiers cas enregistrés, sans le moindre signe de diversité génétique que l’on aurait dû détecter sur ces cas si une adaptation naturelle à l’hôte s’était produite.
En outre, le virus présente un niveau de contagion inhabituellement élevé, ce qui découle du fait qu’entre autres choses, il dispose d’un site de clivage de la protéine furine. On n’avait jamais observé cette caractéristique sur les autres virus de la famille SARS jusqu’ici, mais il se trouve que les scientifiques travaillant en laboratoire ajoutent souvent ce trait à leurs souches pour en augmenter le caractère infectieux.
Il s’agit donc clairement d’un virus fabriqué en laboratoire, et il a fait son apparition dans une ville où se trouve implanté un laboratoire de premier ordre travaillant sur des virus de ce type. La conclusion semble évidente : le virus aura fuité du laboratoire, comme cela arrive de temps à autre.
Cette théorie présente cependant un défaut de taille : aucun élément concret ne vient l’étayer. Plus de trois années après l’apparition du virus, on ne dispose d’aucune preuve solide établissant que le virus se serait échappé de l’IVW.
On n’a ainsi pas de preuve que l’IVW disposait d’échantillons du virus SARS-CoV-2, ni qu’il aurait mené des expérimentations pouvant amener à sa création.
Le virus le plus proche du SARS-CoV-2 est (ou était à l’époque) le RaTG13. On sait que l’IVW disposait de ce virus là, car l’institut en a lui-même fait mention dans son premier article en date du 23 janvier 2020, qui énonce que l’institut dispose d’un échantillon de ce virus, et réalise une comparaison entre les génomes des deux virus.
Chose importante, dans aucun article publié, on ne trouve l’information selon laquelle l’IVW aurait manipulé le RaTG13. Et personne, pas même au sein de la communauté des renseignements étasuniens, n’a affirmé disposer de preuves que des chercheurs auraient manipulé ce virus dans ce laboratoire.
En 2015, un article était paru, qui impliquait les chercheurs de l’IVW, et qui détaillait l’addition d’un site de clivage de la protéine furine à un virus de type SARS. Cependant, cette manipulation avait été réalisée aux États-Unis, et le virus (SL-SHC014-MA15) était très différent du SARS-CoV-2 — 5.000 nucléotides divergeaient, soit 15% environ.
On ne dispose donc d’aucune preuve directe selon laquelle l’IVW travaillait sur SARS-CoV-2, ou sur un virus précurseur de celui-ci. Quelles sont donc les fondations sur lesquelles les partisans de la thèse d’une fuite depuis un laboratoire établissent leur théorie ? Ils s’appuient en grande partie sur le comportement supposément significatif du Dr. Shi Zhengli, un chercheur disposant d’un poste élevé au sein de l’IVW.
Par exemple, Matt Ridley et Alina Chan dénoncent comme très suspect le fait que Shi n’ait pas, début 2020, énoncé le lien entre RaTG13 et une grave pneumonie qui avait affecté dix mineurs de la mine de Mojiang en 2013. Mais il est possible que cela ait constitué une simple négligence. Après tout, Shi et son équipe n’avaient pas traîné pour publié le génome du RaTG13 ainsi que celui de SARS-CoV-2, et avaient attiré l’attention sur leurs ressemblances, dès le 23 janvier 2020. Au vu des contraintes posées par un État chinois dont on connaît la rigueur en terme de maintien des secrets, aucun signe ne permet d’affirmer qu’ils auraient essayé de dissimuler quoi que ce soit au sujet de RaTG13 ou de SARS-CoV-2.
On affirme également que Shi, en découvrant l’apparition du virus, aurait eu pour première réaction, le 30 décembre 2019, « de modifier les bases de données informatiques de l’IVW sur les nouveaux coronavirus utilisés par les virologistes au niveau mondial, afin de compliquer la remontée d’information au sujet des coronavirus dont elle dispose dans son établissement. » Cela semble faire référence à la modification de « mots clés » dans la base de données de l’IVW le 30 décembre, ou précédemment. Les raisons de ces modifications restent obscures, mais il faut noter que la base de donnée était à cette période déjà inaccessible au public depuis des mois. Quelle que soit l’explication à ces modifications, le fait est que peu après, Shi a fait paraître un article établissant la proximité entre SARS-CoV-2 et un virus détenu dans son laboratoire, si bien qu’ici encore, elle ne semble pas avoir essayé de dissimuler quoi que ce fût.
L’IVW avait déconnecté sa base de données virologique du réseau le 12 septembre 2019. Les Chinois ont ensuite affirmé que cette action avait fait suite à des tentatives de piratage — qui, si elles sont avérées, soulèvent la question de qui s’employait à pirater ces données, et à quelles fins. Dans le rapport de 2022 sur les origines du Covid produit par le Sénat des États-Unis, les États-Unis affirment que le débranchement de la base de données était lié à quelque inspection politique — qui serait elle-même reliée à une tentative de piratage. Quoi qu’il en soit, cela s’est produit plusieurs mois avant la pandémie, et il n’existe aucune preuve que les Chinois aurait agi ainsi parce qu’ils savaient qu’un virus s’était échappé, ou auraient disposé d’une information s’en approchant.
De fait, aucune preuve n’indique que les Chinois aient eu la moindre connaissance de l’épidémie avant le mois de décembre 2019. Les renseignements étasuniens ont affirmé ne pas disposer de preuve que les Chinois en avaient connaissance auparavant, et la manière dont les Chinois ont agi converge avec cette idée.
Car si les autorités chinoises avaient eu connaissance d’une fuite d’un virus fabriqué et hautement infectieux hors de leur laboratoire, pourquoi auraient-ils passé des semaines, au mois de janvier, à ne pas adopter de contre-mesures, tout en enquêtant sur le degré de propagation du virus entre humains ?
Et pourquoi Shi Zhengli, si elle savait avoir créé le virus dans son laboratoire en partant de RaTG13, aurait-elle publié le génome du virus ainsi que celui du RaTG13, et indiqué ne disposer d’aucune preuve de recombinaison dans SARS-CoV-2 (c’est-à-dire, aucune indication du fait qu’il avait été produit naturellement par une mutation entre RaTG13 et un autre virus hébergés par un hôte commun) ?
On a affirmé que l’IVW a été fermé deux semaines durant le mois d’octobre, et que cela aurait été l’occasion de la fuite. Cependant, cette affirmation n’est fondée que sur une analyse privée, non publiée, d’utilisations de téléphones mobiles, qui n’a jamais été confirmée. Le rapport du Sénat sur les origines de la Covid-19 n’en fait aucune mention.
Le rapport du Sénat a établi une liste de ce qu’il considère comme des preuves de problèmes de sûreté au sein de l’IVW. Mais les détails sont vagues et le rapport établit clairement que toutes les informations qu’il contient relevaient déjà du domaine public.
Chose importante, un chercheur occidental, le Dr. Danielle Anderson, a affirmé avoir travaillé au sein de l’IVW durant la période en question, jusqu’au mois de novembre 2019, et n’avoir été témoin d’aucun problème majeur, ni d’aucune intervention d’importance impliquant la sûreté du laboratoire, ou une possible fuite d’un virus.
On peut donc résumer comme suit le problème que présente la théorie de la fuite du virus hors du laboratoire : il n’existe aucune preuve que l’IVW travaillait sur SARS-CoV-2 ou sur un précurseur à ce virus, et il est clair que l’attitude des Chinois en décembre 2019 et janvier 2020 n’a pas du tout été celle qu’ils auraient adoptée s’ils avaient déjà eu connaissance du fait qu’un virus fabriqué et très contagieux s’était échappé de leur laboratoire. Dénoncer comme suspecte l’attitude du Dr. Shi Zhengli au cours des premières semaines produit un retour de flamme, car il est clair qu’elle a rapidement publié le génome du virus, ainsi que celui de RaTG13, et a clairement indiqué les similarités entre les deux virus, et souligné le fait qu’il est peu probable que le nouveau virus ait pu émerger naturellement d’une mutation du virus déjà connu.
Je ne peux pas affirmer avec certitude que la théorie est fausse. Peut-être que les chercheurs de l’IVW menaient vraiment ces expériences, et que pour une raison ou une autre ils n’en auront fait mention nulle part. Et peut-être que l’on peut trouver des raisons plausibles pour lesquelles ils auraient fait semblant de ne pas savoir que le virus se répandait à l’extérieur après une fuite, ainsi que des raisons qui auraient fait qu’ils aient décidé de jouer la transparence sur la relation de proximité entre le virus et la souche dont ils disposaient, et sur la preuve que le premier ne constituait pas une mutation naturelle du second.
Mais je ne crois à rien de tout cela.
Alors, d’où provenait ce virus fabriqué, et pourquoi a-t-il fait sa première apparition à Wuhan ?
Comme je l’ai écrit par le passé, un indice majeur peut résider dans le fait que de nombreuses sources de renseignements étasuniennes ont affirmé avoir suivi le déclenchement de l’épidémie en Chine dès le mois de novembre 2019, et ce en dépit du fait que la Chine n’avait pas conscience de ce déclenchement à cette période (les renseignements étasuniens l’ont affirmé eux-mêmes), et en dépit du fait qu’aucun signal détectable de ce déclenchement n’existait.
Cela ajoute encore des éléments discréditant la théorie d’une fuite du virus hors de l’IVW, et plaide pour l’hypothèse selon laquelle les Chinois n’avaient rien à voir avec le virus fabriqué. Il devient de plus en plus difficile de ne pas conclure que les responsables du virus étaient les mêmes que ceux qui en connaissaient déjà l’existence.
Will Jones
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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