À Noël, j’ai eu une brève conversation avec un parent au sujet de la guerre en Ukraine. Il m’a demandé qui gagnerait et a été étonné quand j’ai dit : « L’Ukraine n’a aucune chance de gagner. » Cette personne lit certains sites d’information grand public allemands et regarde les chaînes de télévision publiques. Avec ces sources d’« informations », on lui a fait croire que l’Ukraine était en train de gagner la guerre.
On peut l’excuser puisqu’il n’a jamais été dans l’armée et qu’il n’est pas engagé politiquement. Mais il y a quelques chiffres de base qui permettaient de conclure dès le début que la Russie, un pays beaucoup plus grand, plus riche et plus industrialisé que l’Ukraine, avait clairement tous les avantages. Mon parent n’avait évidemment jamais eu cette pensée.
La propagande « occidentale » est encore assez forte. Cependant, comme je l’ai souligné en mars de l’année dernière, la propagande ne change pas une guerre et les mensonges ne permettent pas de la gagner. La population y croit de moins en moins.
L’Ancien lieutenant-colonel Alex Vershinin, qui a souligné en juin que la guerre industrielle était de retour et que « l’Occident » n’était pas prêt à la mener, a publié un nouvel article, que je recommande, qui analyse les tactiques des deux côtés, regarde vers l’avenir et conclut que la Russie gagnera presque certainement la guerre :
Les guerres d’usure sont gagnées grâce à une gestion prudente de ses propres ressources tout en détruisant celles de l’ennemi. La Russie est entrée en guerre avec une vaste supériorité matérielle et une plus grande base industrielle pour soutenir et remplacer ses pertes. Ils ont soigneusement préservé leurs ressources, se retirant chaque fois que la situation tactique se retournait contre eux. L’Ukraine a commencé la guerre avec un pool de ressources plus restreint et s’est appuyée sur la coalition occidentale pour soutenir son effort de guerre. Cette dépendance a poussé l’Ukraine à mener une série d’offensives tactiquement réussies mais qui ont consommé des ressources stratégiques que l’Ukraine aura du mal à remplacer intégralement, à mon avis. La vraie question n’est pas de savoir si l’Ukraine peut regagner tout son territoire, mais si elle peut infliger des pertes suffisantes aux réservistes russes mobilisés pour saper l’unité nationale de la Russie, la forçant à la table des négociations aux conditions ukrainiennes, ou si la stratégie d’attrition de la Russie fonctionnera pour annexer une partie encore plus grande de l’Ukraine.
L’unité intérieure russe n’a fait que croître pendant la guerre. Comme le souligne Gilbert Doctorow, les guerres font les nations. La guerre n’unit pas seulement certaines parties nationalistes de l’Ukraine qui rêvent encore de reprendre la Crimée. Elle unit également toute la Russie. Contrairement à l’Ukraine, la Russie en sort renforcée.
Des pertes sont attendues dans les guerres et les Russes, avec leur souvenir toujours bien présent de la Seconde Guerre mondiale comme de leur Grande Guerre patriotique, le savent bien. Des conneries se produisent également et parfois, de mauvaises décisions prises par les dirigeants placent les gens au mauvais endroit où l’ennemi peut et va les tuer. C’est ce qui s’est passé à Makeyevka (Donetsk) le jour du Nouvel An, 2 minutes après minuit. Une centaine de réservistes russes sont morts. Les dirigeants russes ont souligné qu’ils avaient été tués par des missiles américains HIMARS. L’ancien diplomate indien, M. K. Bhadrakumar, juge qu’il s’agit d’une escalade américaine qui recevra probablement une réponse :
Les données des services de renseignement en temps réel montrent une participation américaine directe à l’opération visant la fête du Nouvel An des conscrits russes juste au moment où les toasts étaient portés. Bien sûr, attiser les sentiments de la population russe contre Poutine est un objectif américain central dans cette guerre.
Nous entrons dans une zone grise. Attendez-vous également à des « frappes chirurgicales » menées par les forces russes. Après tout, à un moment donné, rapidement, il faut s’attendre à un retour de bâton.
Certaines représailles ont déjà eu lieu. Hier, le ministère russe de la Défense a signalé que plus de 130 mercenaires étrangers avaient été tués lors d’attaques contre leurs bases près de Maslyakovka et de Kramatorsk. Ces soldats polonais sont maintenant disparus. L’armée russe poursuit également sa campagne de contre-artillerie plutôt réussie :
Des missiles et des frappes aériennes lancées sur une concentration de matériel près de la gare de Druzhkovka (République populaire de Donetsk) ont entraîné l’élimination de :
Deux rampes de lancement pour les systèmes de lance-roquettes multiples HIMARS fabriqués aux États-Unis (MLRS);
- Quatre véhicules de combat blindés pour le RM-70 Vampire MLRS de fabrication tchèque ;
- Plus de 800 roquettes pour MLRS ;
- Six véhicules à moteur et jusqu’à 120 membres du personnel ukrainiens.
Dans le cadre de la guerre de contre-batterie, deux rampes de lancement pour le HIMARS MLRS de fabrication américaine, qui ont été utilisées pour bombarder les colonies de la République populaire de Donetsk, ont été détectées et détruites près de Kramatorsk.
Trois systèmes d’artillerie M-777 fabriqués aux États-Unis ont été détruits sur leurs positions de tir près d’Artyomovsk (République populaire de Donetsk) et de Chervonaya Dibrova (République populaire de Lougansk).
Deux véhicules de combat ukrainiens pour Grad MLRS ont été détruits près de Volchansk (région de Kharkov) et de Serebryanka (République populaire de Donetsk).
Deux obusiers D-30 ont été détruits près de Kamenskoye et Gulyaypole (région de Zaporozhye).
Ce sont quatre HIMARS, trois M-777, une « aide » tchèque, 800 missiles HIMARS et quelques canons ukrainiens qui ont été perdus en une seule journée. C’est probablement plus que ce que « l’Occident » pourra offrir au cours des prochains mois.
Même le New York Times note que la Russie épuise l’Ukraine ainsi que son soutien occidental en utilisant des armes bon marché :
Les drones Shahed-136 de fabrication iranienne sur lesquels Moscou s’appuie de plus en plus depuis octobre sont des appareils relativement simples et assez bon marché, tandis que les armes utilisées pour les abattre peuvent être beaucoup plus coûteuse, selon les experts. Les drones kamikazes ne coûtent que 20 000 dollars à produire, tandis que le coût de tir d’un missile sol-air peut aller de 140 000 dollars pour un S-300 de l’ère soviétique à 500 000 dollars pour un missile d’un NASAMS américain.
Cela ne fait que confirmer le point de vue d’Alex Vershinin. La Russie prend soin de ses ressources tandis que l’Ukraine et l’OTAN ont gaspillé leur matériel en menant surtout des campagnes frontales insensées contre des troupes russes bien protégées.
Yves Smith de Naked Capitalism souligne que Vershinin laisse de côté le côté économique de la guerre où le tableau est aussi mauvais pour l’Ukraine que sur le terrain :
L’Ukraine est dépendante de l’Occident pour financer son gouvernement, donnant un nouveau sens à l’expression « État client ». La contraction du PIB de l’Ukraine est estimée à environ 35 à 40 % pour 2022. En novembre, l’Ukraine prévoyait que son déficit budgétaire pour 2023 serait de 38 milliards de dollars. Attention, cela concerne les services essentiels et sous-estime probablement le coût et les répercussions de la gestion des attaques de la Russie contre son réseau électrique. Encore une fois, avant les frappes sur le réseau électrique, le FMI avait estimé les besoins budgétaires de l’Ukraine à 3 à 4 milliards de dollars par mois. Il y a fort à parier que ce déficit de financement de 38 milliards de dollars atteindra facilement plus de 50 milliards.
Et payer les salaires des enseignants, les pensions, la réparation des routes, les hôpitaux, ce n’est pas le genre de chose qui enrichit le complexe militaro-industriel. C’est une somme énorme pour l’Occident. Euronews, en discutant du trou alors estimé à 38 milliards de dollars, a fortement laissé entendre que l’Ukraine serait à sec : …
Yves Smith souligne également que, comme nous l’avions prédit en mars, la propagande pro-ukrainienne ne permet pas vraiment de gagner la guerre :
Enfin et surtout, le succès de la propagande ukrainienne semble s’effondrer malgré les médias et les politiciens qui font de leur mieux pour donner l’impression du contraire. Lambert et moi avons tous deux étés très surpris de lire qu’un récent sondage auprès d’électeurs américains non abstentionnistes (c’est-à-dire vraisemblablement engagés politiquement) a révélé que moins d’un tiers estimaient que l’Ukraine était en train de gagner la guerre.
Enfin, pour savoir qui gagnera cette guerre, nous pouvons citer l’interview de la mi-décembre que le chef de guerre ukrainien, le général Valery Zaluzhny, a accordée à The Economist :
Le général Zaluzhny, qui lève un nouveau corps d’armée, déroule une liste de souhaits. « Je sais que je peux vaincre cet ennemi », dit-il. « Mais j’ai besoin de ressources. J’ai besoin de 300 chars, de 600 à 700 VCI [véhicules de combat d’infanterie], de 500 obusiers. » L’arsenal supplémentaire qu’il recherche est plus important que le total des forces blindées de la plupart des armées européennes.
Ce que Zaluzhny dit vraiment, c’est que la guerre est perdue s’il n’obtient pas ces ressources. Il sait bien qu’il ne les recevra pas.
Alors, comment la Russie procédera-t-elle pour mener la fin de la partie ?
Dima de Military Summary Channel a expliqué hier comment deux grands mouvements, l’un depuis la région de Marioupol et l’autre vers l’ouest de Kharkiv, peuvent couper toutes les lignes de chemin de fer qui relient l’ouest de l’Ukraine à la ligne de front orientale où se trouvent maintenant déployée plus de 80 % de l’armée ukrainienne..
Je suis d’accord que le mouvement depuis le sud aura lieu mais j’en suis moins sûr pour la branche nord.
L’armée ukrainienne, tout comme l’armée russe, dépend des chemins de fer pour le transport à moyenne et longue distance. Ni l’un ni l’autre n’ont assez de camions pour déplacer la grande quantité de fournitures nécessaires pour soutenir cette guerre.
Chemins de fer ukrainiens
Pour pouvoir approvisionner ses forces, tout mouvement russe doit sécuriser les voies ferrées en créant un couloir de sécurité à gauche et à droite de celles-ci. Certaines voies ferrées seront endommagées par les combats, mais la Russie dispose de régiments ferroviaires spéciaux qui sont entraînés et équipés pour effectuer des réparations dans des conditions de guerre. Le mouvement du sud irait à Pavlovgrad (Pavlovhrad) tandis que le mouvement du nord passerait Kharkiv à l’ouest et viserait Lozova. Lorsque les deux cibles seront prises, l’armée ukrainienne sur le front oriental sera complètement coupée du reste de l’Ukraine et, sans ravitaillement, devra se rendre ou mourir.
Les deux sont de larges mouvements de 200 kilomètres (120 miles) de long qui nécessitent des quantités importantes de forces. Mais après sa mobilisation et avec des volontaires, la Russie dispose de 350 000 hommes supplémentaires qu’elle peut déplacer. 75 à 100 000 suffisent pour chaque poussée tandis que le reste peut maintenir les troupes ukrainiennes à l’est très occupées et fixées dans leur position.
Vient ensuite la question de savoir quand.
En raison du temps actuellement plus chaud que la normale, le sol en Ukraine n’est pas encore gelé et la boue reviendra en mars et avril. Cela ne donne qu’une fenêtre de deux mois pour aller de l’avant. Si j’étais le commandant russe, j’attendrais probablement et utiliserais les six mois secs de l’été. Mais il y a d’autres critères, comme la politique et l’économie, qui entreront en jeu et qui peuvent nécessiter de commencer plus tôt.
Si le plan fonctionne, la guerre sera en grande partie terminée. Les troupes russes seront libres de se déplacer n’importe où en Ukraine avec seulement peu de résistance. Une décision de reprendre Kherson et Odessa sera alors une affaire plutôt facile et rapide.
La grande question est de savoir comment les États-Unis vont réagir. Si l’Ukraine tombe, les États-Unis et l’OTAN auront perdu leur guerre contre la Russie. Cela leur causera de graves dommages politiques.
Thomas H. Lipscomb écrit que la guerre sera perdue parce qu’elle a été mal planifiée et d’une manière qui empêche tout changement de cap :
La planification militaire américaine était autrefois de classe mondiale. Mais qui a planifié une guerre par procuration contre la Russie, l’un des maîtres reconnus de la guerre d’artillerie avec une technologie de défense aérienne bien meilleure que n’importe quelle autre en Occident, et a équipé ensuite notre Ukraine fantoche avec des armes inférieures et juste assez de munitions pour durer six mois ? Et les planificateurs américains ne pouvaient sûrement pas ne pas savoir qu’il n’y avait plus de base de fabrication pour le réapprovisionnement et que les entrepôts de l’OTAN étaient pratiquement vides ?
Cela aura des conséquences très diverses :
L’équipe de direction actuelle des États-Unis est une bande d’idiots absolus, aveuglés par l’idéologie, l’arrogance et des illusions les poussant à poursuivre une hégémonie mondiale « basée sur des règles« , une opportunité dépassée depuis longtemps, comme le montre notre performance dans cette guerre par procuration. Les États-Unis ont peut-être gagné la guerre froide, mais ils ont perdu la paix. Sa pensée stratégique et son armée sont obsolètes et la configuration des forces et des équipements est basée sur des hypothèses datant du dernier millénaire. La bataille pour une grande réinitialisation mondiale sous une hégémonie américaine unipolaire a également été perdue. Le Forum économique mondial est désormais à peu près aussi pertinent que le Saint Empire romain germanique. Tout ce qu’ils peuvent continuer à faire, c’est terroriser les États occidentaux de plus en plus autoritaires avec des propositions politiques stupides.
La tentative de destruction de la Russie l’a poussée à mener une dynamique diplomatique brillante de la part de Poutine et de son équipe qui ont tranquillement établi que le reste du monde préférerait la souveraineté nationale et un monde multipolaire. La « Pax Americana » de l’après-guerre froide, comme Larry Johnson l’a appelée, est terminée. Les historiens du futur étudieront cette période de l’histoire avec fascination. Rares sont les fois dans l’histoire où des changements aussi immenses se sont produits aussi rapidement.
Perdre cette guerre aura des effets au niveau mondial et national. La position mondiale « occidentale » sera dégradée et les dirigeants à l’origine de cette guerre seront dénigrés et l’auront bien mérités.
Mais les États-Unis laisseront-ils cela se produire ? Peuvent-ils se permettre de perdre cette guerre ? Jusqu’où vont-ils faire monter les enchères ? Même si cela ne fera qu’aggraver leur situation ?
Je ne sais pas encore comment et qui à Washington décidera de ces questions.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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