13 janvier 2023

Guerre civile : le danger des nations

La guerre civile est depuis l’Antiquité le mal redouté des nations. Elle parcourt la Guerre du Péloponnèse de Thucydide, cette stasis qui voit des Grecs affronter d’autres Grecs et des familles se déchirer entre elles. La guerre civile est la plus terrible des guerres, car elle n’a pas de fin.

Il est impossible de chasser l’adversaire ou de contrôler un territoire quand l’ennemi est son père ou son frère. Romulus et Rémus se sont déchirés, tout comme Caïn et Abel. Avec ce paradoxe terrible que la guerre civile, souvent, engendre l’État moderne. Et donc, en tant que telle, devient parfois une nécessité.

La guerre de Cent Ans peut être lue comme une guerre civile entre deux familles cousines, les Plantagenêt et les Capétiens. Cela aboutit à leur scission et à l’émergence des nations anglaises et françaises. La Révolution française possède elle aussi un ressort puissant de guerre civile, le sang coulant de chaque côté. La dernière guerre de ce type que nous avons connue en France est la Seconde Guerre mondiale, qui est à la fois une guerre de nation, France contre Allemagne, une guerre d’idéologie, démocraties contre totalitarismes, et une guerre civile, résistants contre collaborateurs. Ce qui donne à ce conflit un caractère bien plus complexe que la Première Guerre mondiale.

Comment finir la guerre

La guerre civile ne s’achève ni par un traité de paix ni par le silence des armes, mais par l’anéantissement de la partie adverse ou bien la réconciliation. Anéantir suppose massacrer l’adversaire, raison pour laquelle la guerre civile est si meurtrière. Les républicains envoient le canon contre les insurgés de Lyon et les massacrent dans la plaine des Brotteaux, comme ils massacrent dans le bocage vendéen. René Girard explique très bien que cette pulsion sanguinaire et ce déchainement de violence sans fin proviennent justement du fait que les belligérants sont si proches et si similaires. La guerre se poursuit tant qu’il reste du sang à verser. La seule façon d’y mettre un terme sans éradiquer l’ennemi est de recourir au pardon, cette vertu chrétienne que les États se sont efforcés de mettre en place. C’est tout l’enjeu de la Restauration en France : comment faire cohabiter des révolutionnaires, des monarchistes, des bonapartistes sans relancer la guerre civile ? C’est-à-dire, comment établir la concorde civile. Louis XVIII a réussi cet exploit de concilier toutes les France et d’assurer la paix. Il est probablement le dirigeant français le plus sous-estimé des deux derniers siècles. Louis-Philippe, après la rechute de 1830, eut à reprendre ce chemin de la concorde, qu’il a pu maintenir dix-huit années durant.

Pardon et réconciliation

La réconciliation passe par le pardon, qui n’est certes pas l’oubli, mais qui est la ferme volonté de briser le cycle de la violence, le désir mimétique et donc la montée aux extrêmes. Une politique de pardon conduite par le général de Gaulle, qui permit à d’anciens collaborateurs de retrouver une vie civile, Maurice Papon et Maurice Couve de Murville en étant les exemples les plus connus. À sa suite, Georges Pompidou proclama des lois d’amnistie, notamment à l’égard de Paul Touvier. On peut certes s’indigner que des criminels soient laissés libres, mais cette injustice est assumée en raison d’un but plus grand à atteindre et d’une justice plus importante à défendre, celle de la concorde et de la pacification de l’État. Il faut savoir finir une guerre et passer à autre chose, sans s’enferrer dans le cycle sans fin de l’épuration. Chacun doit consentir à de petits sacrifices afin d’obtenir un bien plus grand : la vie en commun et la paix civile.

Le socialisme, c’est la guerre

Une autre forme de guerre civile surgit aujourd’hui en France, celle qui oppose, à cause des retraites par répartition, une guerre entre les générations et entre les cotisants. Aucun sujet n’est probablement plus inflammable dans les familles, l’étudiant reprochant à ses aînés de devoir se sacrifier pour eux, les aînés revendiquant une légitime compensation pour le travail passé. Guerre civile entre les régimes spéciaux et les autres, guerre civile entre les jeunes et les vieux, la retraite par répartition, loin d’apporter le bien commun et la solidarité, comme cela est invoqué, brise les foyers et entraine avec elle dissensions et rancœurs. Alors qu’elle est censée établir une solidarité nationale, elle conduit au contraire à des frictions majeures, preuve de son injustice.

Il est impossible de parler de la retraite sans provoquer des drames, des insultes, des frictions. A lire les commentaires sur LinkedIn on prend la mesure du drame de la retraite par répartition : personne ne sait comment elle fonctionne, alors même qu’elle est encensée, à l’inverse de la retraite par capitalisation, qui est honnie. Beaucoup pensent en effet qu’ils ont cotisé toute leur vie et qu’ils toucheront donc, une fois retraités, le fruit de leur cotisation. C’est exactement le système par capitalisation, qu’ils détestent, mais ce n’est pas celui par répartition, qu’ils adorent. D’autres invoquent « un contrat social entre les générations ». Mais qui a signé un tel contrat ? Un contrat n’existe que parce qu’il est librement adopté. Un système imposé n’est nullement un contrat. L’amour forcé n’est pas l’amour, mais un viol. Et un contrat imposé est un mensonge et un vol.

Cette énième réformette va donc aboutir au cortège habituel des Français dressés les uns contre les autres, SNCF et RATP en grève pour empêcher leurs concitoyens de travailler et de se déplacer. Ce qui n’empêche pas la majorité des Français de continuer à être opposée à une privatisation de ces administrations, pourtant excellente façon d’éviter ces grèves. Comme si la guerre civile était le cœur même de notre pays et, pour la France, une fatalité.

Jean-Baptiste Noé

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