A partir du 1er juillet, en vertu de la libéralisation du marché de l’énergie, plus de 2,6 millions de ménages devront renoncer au tarif réglementé du gaz, cette offre d’Engie encadrée par les pouvoirs publics. Une échéance qui inquiète l’association de consommateurs CLCV, alors que les cours du gaz restent très élevés et totalement imprévisibles.
Vestige d'une époque révolue, le tarif réglementé de vente du gaz (TRVG) tirera bientôt sa révérence. En raison de la libéralisation du marché imposée par l'Union européenne dès 2007, ce prix fixé par les pouvoirs publics français, issu du monopole d'Etat GDF (devenu Engie), n'existera plus à partir du 1er juillet 2023. Il y a six ans, une décision du Conseil d'Etat l'a en effet jugé contraire au droit européen. Lequel défend la concurrence entre les fournisseurs de gaz sans que l'un d'eux ne profite d'un avantage historique, afin, espère-t-on à Bruxelles, de multiplier les offres attractives pour les consommateurs.
Et pourtant, à mesure que l'échéance approche, les inquiétudes montent. Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron et rendue publique la semaine dernière, l'association de défense des consommateurs CLCV demande même le report de cette suppression, alors que les cours du gaz explosent depuis plus d'un an. « On s'apprête à enlever un filet de sécurité malgré un marché devenu toxique ! », alerte à La Tribune son délégué général, François Carlier. Un cri d'alarme non justifié, selon le gouvernement, qui assure que la fin du TRVG d'Engie ne « changera rien pour les ménages ».
« Celui-ci n'assurait de toute façon pas de stabilité des prix, puisqu'il est revu chaque mois afin de refléter l'évolution des prix du marché du gaz naturel », abonde un bon connaisseur des questions de régulation.
Plus personne ne paie le TRVG
Pour y voir plus clair, il faut d'abord comprendre ce qu'est ce tarif réglementé de vente. Proposé uniquement par Engie et les entreprises locales de distribution (Gaz de Bordeaux, Gaz de Strasbourg...), il s'agit d'une offre de fourniture de gaz strictement encadrée par les pouvoirs publics, dont les prix évoluent sous le contrôle du ministre chargé de la Transition Écologique, du ministre de l'Economie, et après avis de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE). Il peut ainsi apparaître, a priori, comme plus protecteur qu'une offre de marché quelconque, puisque les termes du contrat ne peuvent pas être modifiés sans un contrôle rigoureux de l'Etat.
25% des dix millions de foyers raccordés au gaz bénéficient encore de ce tarif, qui n'est plus disponible à la souscription. Les partisans de sa suppression le répètent ainsi à l'envi : la grande majorité des particuliers ont déjà choisi d'en sortir, preuve que des offres aussi sinon plus attractives existeraient ailleurs.
Surtout, même s'il est encadré, le TRVG ne préserve pas les consommateurs de la volatilité des cours. En effet, son montant se voit actualisé tous les mois afin de refléter les prix sur le marché de gros du gaz, selon une formule de la CRE censée reproduire les coûts d'approvisionnement des fournisseurs. Si bien qu'en réalité, avec la crise de l'énergie, il n'est plus payé par personne.
Et pour cause, afin d'empêcher l'explosion des factures pour les particuliers, l'exécutif a tout simplement gelé ce tarif en octobre 2021 avant de décider d'une hausse de 15% dès janvier 2023. Or, « sans ce plafonnement, l'augmentation du TRVG aurait été de 120% en décembre, selon les calculs de la CRE ! », explique Xavier Pinon, courtier en énergie. « Ce n'est plus le TRVG qui protège, mais le bouclier tarifaire », insiste-t-il.
Source : Commission de régulation de l'énergie
Une balise pour le marché et pour l'Etat
Dans ces conditions, pourquoi vouloir maintenir le TRVG, dont le calcul est de toute façon si fortement lié au marché qu'il ne protège plus les particuliers quand les cours s'affolent ? « Il permet d'abord d'assurer une sécurité contractuelle ! », répond François Carlier.
« Engie ne peut pas le rompre ou en revoir les conditions comme bon lui semble, ce qui n'est pas le cas des autres contrats. D'ailleurs, il y a eu des augmentations de tarifs très brutales en 2022 avec l'envolée des prix du gaz, et de nombreux clients ont été pris au dépourvu », développe le délégué général de la CLCV.
Surtout, même dans un environnement de plus en plus dérégulé, le TRVG sert toujours de référence claire sur le marché : une bonne partie des opérateurs s'y réfèrent, voire s'y ajustent en permanence. Si bien que depuis l'automne 2021, l'Etat lui-même se base sur cette offre afin d'ajuster son bouclier tarifaire.
En effet, pour qu'ils puissent s'ajuster en permanence au TRVG plafonné, le gouvernement octroie aux autres fournisseurs des compensations financières calculées en fonction du tarif fixé par la CRE. Dans le détail, il leur rend la différence entre le tarif réglementé théorique (sans bouclier tarifaire, c'est-à-dire à +120%) et le prix gelé par le gouvernement, afin que tous les consommateurs soient préservés de la volatilité des marchés. Si ce TRVG disparaît, « il manquera ainsi une balise claire à laquelle se référer en cette période trouble », estime François Carlier.
Ce que la Commission de régulation réfute. Car l'autorité administrative continuera à publier un tarif de référence, censé prendre la suite du TRVG afin de « couvrir la différence entre le coût de fourniture réel du gaz et le niveau de prix gelé », peut-on lire sur son site. Une manière de « permettre au consommateur de voir quel prix il devrait payer, et au fournisseur d'être challengé », explique une source proche du dossier. Dit autrement, ces derniers pourront s'y indexer, comme ils le faisaient avec le TRVG, et le gouvernement s'y adossera en cas de prolongation du bouclier tarifaire.
Rareté physique
Reste que l'argument peine à convaincre la CLCV. « Ce n'est pas pareil d'avoir 25% des ménages au TRV, ce qui oblige la plupart des fournisseurs à s'y référer pour être attractif, et un indice de référence noyé au fin fond du site de la CRE ! Rien ne dit que les opérateurs vont le suivre, une fois que l'Etat leur aura accordé des subventions correspondant au bouclier tarifaire », fait valoir François Carlier.
« Cela restera un moyen de pression pour le consommateur, s'il observe que les prix que son fournisseur lui propose sont décorrélés de l'indice publié par la CRE », objecte un connaisseur du secteur favorable à la fin des TRV et ayant requis l'anonymat. Sollicitée, la CRE n'a pas souhaité faire de commentaire.
Dans ce grand flou, seul un élément ne semble pas faire débat : au-delà du devenir du TRVG, c'est principalement la prolongation ou non du bouclier tarifaire en 2023 qui pèsera lourd dans les factures des consommateurs. « On fait face à un problème physique de rareté de la ressource, et on l'aura toujours quelques soient les ajustements tarifaires. Il n'existe pas de baguette magique pour effacer ce que coûte le gaz aujourd'hui en France, et quelqu'un devra de toute façon le payer », avertit Xavier Pinon.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.