Déléguées manifestant lors de la Conférence de la Paix de 1915 à la Haye
L’association des Amis de la bibliothèque de Palo Alto organise une vente de livre chaque mois, qui vient de reprendre après presque deux années de fermetures pour cause de Covid. J’y assiste en général, et y trouve pour une bouchée de pain des ouvrages qui attirent mon attention. Il y a quelques semaines, j’ai acheté pour un quarter un exemplaire de l’ouvrage d’Adam Hochschild en date de 2011, universellement applaudi, To End All Wars [Pour Mettre Fin à Toutes les Guerres, NdT], son récit du mouvement anti-guerre britannique durant la première guerre mondiale, sur lequel j’avais lu des critiques très favorables dans le Times et dans d’autres journaux au moment de sa parution initiale. La connaissance que j’avais de cette époque était relativement maigre et faible, et j’ai donc passé deux jours à lire cet ouvrage.
Hochschild semble être un chercheur et un écrivain de talent, et a sans doute mérité les éloges que les érudits les plus en vue ont produit en évaluant son livre, et il a produit un récit des plus intéressants au sujet des hommes et femmes qui organisèrent et dirigèrent le puissant mouvement anti-guerre au Royaume-Uni, mais qui n’en fut pas moins étouffé lorsqu’il s’opposa à la boucherie permanente qui se produisait dans les tranchées. De nombreuses personnes furent mises sous les verrous du fait de leurs contestations, parmi lesquelles Keir Hardie, le fondateur de ce qui allait devenir le parti travailliste, ainsi que Bertrand Russell, le brillant philosophe des mathématiques et futur lauréat du prix Nobel.
Le soutien envers la guerre divisa en son cœur le mouvement militant des suffragettes et d’importantes familles politiques se coupèrent également profondément en deux, et l’on vit la sœur aînée du commandant en chef britannique des soldats déployés en France se faire l’un des plus éminents soutiens la campagne pour la paix. Quelques années plus tôt, E.D. Morel, éminent journaliste d’investigation britannique, était célébré comme un héros international pour avoir révélé les horreurs du Congo belge, mais voici qu’il était détenu derrière les barreaux pour ses écrits contre la guerre, et subissait un traitement tellement brutal qu’il en perdit la santé pour de bon et mourut à l’âge de 51 ans, quelques années après la fin de la guerre.
Conformément à mes attentes, j’ai découvert une mine d’informations sur une période que je ne connaissais qu’à la marge, et je ne vois aucune raison de douter de la pertinence de celle-ci, y compris au sujet des références brèves mais surprenantes au sujet de crimes de guerre à grande échelle commis par l’Allemagne en Belgique occupée. J’étais très heureux de combler ces trous dans mes connaissances.
Mais sur la fin de ce que Hochschild trouve à dire au sujet de l’année 1916, il souligne que contrairement à la Grande-Bretagne, il n’existait absolument aucun mouvement opposé à la guerre dans la plupart des autres pays, Allemagne comprise. Comme il l’indique en page 217 :
Les deux côtés étaient résolus à se battre jusqu’au bout, et à présent, avec deux années de guerre, si une personnalité en vue s’engageait à soutenir des pourparlers de paix, cela était considéré comme proche de la trahison.
À la lecture de cette phrase, je me suis pincé pour m’assurer que je ne rêvais pas. Hochschild ne pouvait pas ignorer qu’à ce stade précis de l’histoire, le gouvernement allemand avait proposé publiquement des négociations de paix internationales sans prérequis, dans le but de mettre fin à la guerre, ce qui suggérait que le massacre à grande échelle et inutile fût arrêté, peut-être sur la base du statu quo précédent.
Les Allemands venaient de remporter plusieurs grandes victoires, avaient infligé des pertes colossales aux Alliés dans la Bataille de la Somme et avaient totalement fait sortir la Roumanie de la guerre. Aussi, forts de leurs succès militaires, ils soulignaient qu’ils recherchaient la paix, non pas par faiblesse, mais sur la base de leur force. Malheureusement, les Alliés rejetèrent catégoriquement cette ouverture de paix, déclarant que l’offre formulée par l’Allemagne ressemblait à une défaite, et réaffirmant leur détermination à remporter une victoire totale comprenant d’importantes prises territoriales.
Il s’en est suivi que des millions de personnes sont mortes sans raison au cours des deux années qui suivirent, et quelques mois plus tard, début 1917, le gouvernement tsariste de Russie s’effondra, ce qui permit aux Bolcheviques de prendre le pouvoir, un virage qui porta à des conséquences néfastes à long terme.
Je ne me souviens pas avoir jamais lu la moindre discussion au sujet des propositions de paix allemandes et de leur rejet dans le traitement superficiel qui est fait sur la première guerre mondiale par les ouvrages de lycée ou d’université, si bien qu’au départ je n’étais pas non plus au courant de cela. Mais vers l’an 2000, j’avais lancé un projet numérique visant à digitaliser la quasi-totalité des archives passées d’un grand nombre des magazines d’opinion étasuniens les plus en vue, et j’ai eu la surprise ce faisant de constater que tous les gros titres de la fin 1916 décrivaient l’offre de paix, et en lisant quelques articles, j’ai découvert un épisode important de l’histoire que j’avais manqué jusqu’alors. Par exemple, le 23 décembre 1916, l’article d’ouverture du Literary Digest, un magazine de premier plan étasunien, parut sous le titre « Les propositions de paix allemandes« et durant plusieurs semaines, avant et après cette date, de nombreux autres articles de ce journal, ainsi que dans the Nation, the New Republic, et diverses autres publications, couvrirent ce même sujet.
Que mes manuels scolaires aient pu manquer de faire mention de ces faits était une chose, mais Hochschild, un auteur et historien primé, ne pouvait de toute évidence pas avoir raté ces faits, pour avoir consacré une partie de ses recherches pour écrire son ouvrage sur les mouvements de paix durant la première guerre mondiale. Je trouvai difficile à croire qu’il n’ait pas du tout conscience de ces événements centraux, et je supposai qu’il allait les discuter au sein du chapitre suivant, mais lorsque j’ai refermé la dernière page des 450 qui composent son ouvrage, je constatai qu’aucune mention d’aucune sorte n’en était faite dans ce livre.
À ce stade, j’ai décidé de confirmer mes souvenirs en pratiquant quelques recherches Google sur le sujet, et j’eus la surprise de ne trouver que fort peu d’éléments à cet égard sur Internet. J’ai alors consulté l’article Wikipédia couvrant la première guerre mondiale, comptant presque 40 000 mots et comprenant quasiment 500 références, mais celui-ci ne comportait qu’une seule phrase sur les propositions de paix allemandes qui auraient pu mettre fin aux combats et épargner des millions de vies. Heureusement, cette brève mention contenait un lien vers un bref article paru en 2018 dans le Washington Post sous la plume de deux historiens professionnels, dont le récit correspondait tout à fait à ce que j’avais compris des faits. La Grande Guerre prit fin le 11 novembre 1918, et leur article était paru exactement cent ans après cette journée. Donc, apparemment, il avait fallu attendre le centenaire de la fin de la guerre pour amener nos médias dominants à couvrir un tant soit peu cette histoire quasiment oubliée.
Pourquoi la Première Guerre Mondiale a duré si longtemps
Alexander Lanoszka et Michael A. Hunzeker • The Washington Post • 11 novembre 2018 • 1100 Mots
Si une paix négociée avait mis fin aux massacres de la guerre deux années après son ouverture, l’impact sur l’histoire du monde aurait de toute évidence été considérable, et ce pas uniquement du fait que la moitié des morts auraient été évités. Tous les pays européens étaient entrés en guerre début août 1914 avec pour idée bien ancrée que le conflit serait bref, et allait déboucher « avant que les feuilles tombent des arbres » sur la victoire d’un camp sur l’autre. Loin de cela, les changements qui s’étaient cumulés en matière de technologie militaire, et l’équilibre des forces entre les deux alliances rivales avaient produit l’impasse de la guerre des tranchées, surtout à l’Ouest, où des millions d’hommes mouraient sans avancer ou reculer d’un pouce sur le terrain. Si les combats avaient cessé en 1916 sans qu’aucun des deux camps n’en sortît vainqueur, il est certain que les lourdes pertes induites par un conflit totalement stérile auraient modéré le mode de gouvernement de tous les États européens d’importance, auraient fortement découragé les acrobaties qui avaient débouché sur cette calamité, et auraient contribué à éviter sa répétition. De nombreuses personnes marquent 1914 comme point haut de l’optimisme de la Civilisation Occidentale, et avec l’impact modérateur de deux années de guerre désastreuse, et de millions de morts qui auraient pu être évités, ce point haut aurait pu se stabiliser en plateau pour une très longue période.
Au lieu de cela, les conséquences de la poursuite de la guerre ont été totalement désastreuses pour toute l’Europe et pour une grande partie du monde. Des millions de morts supplémentaires furent comptés, et les conditions difficiles de la guerre contribuèrent sans doute à la diffusion de l’épidémie de Grippe Espagnole en 1918, qui s’abattit sur le monde entier, et balaya pas moins de 50 millions de vie. Les défaites terribles subies par la Russie en 1917 portèrent les Bolcheviques au pouvoir, débouchèrent sur une longue guerre civile qui tua des millions de personnes en plus, suivie par un conflit global qui s’étala sur trois générations contre le communisme soviétique, auquel on peut sans se tromper imputer des dizaines de millions de morts civiles en plus. Les conditions extrêmement punitives imposées en 1919 par le Traité de Versailles à l’Allemagne impériale amenèrent en fin de compte à l’effondrement de la République de Weimar et à un second tour de guerre mondiale, bien pire encore que la première, impliquant l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, une catastrophe qui ravagea une grande partie de l’Europe et multiplia considérablement le nombre de victimes de la seule Grande Guerre.
Malgré le fait que les Alliés aient à l’époque farouchement dénoncé ce qu’ils appelaient parfois la dangereuse « Offensive de Paix allemande » de la fin 1916, il me semblait évident que le monde aurait été un endroit bien plus sûr si ces propositions n’avaient pas été rejetées.
Par curiosité, j’ai posé des questions à plusieurs personnes bien informées et faisant référence, en leur demandant ce qu’ils savaient des propositions de paix allemandes avortées, et leurs réponses ont été des plus intéressantes. Un universitaire conventionnel, qui avait écrit plusieurs ouvrages sur des sujets traitant de la Première Guerre Mondiale, se montra quelque peu surpris du fait que Hochschild n’eût pas conscience de ces éléments, mais indiqua que les tendances académiques depuis les années 1960 s’étaient orientées dans une direction très hostile à l’Allemagne impériale, et que par conséquent la couverture de ces éléments historiques, qui plaisaient dans le sens contraire à cette mode, avaient été minimisés durant le demi-siècle qui suivit, voire plus longtemps.
Dans le même temps, aucune des personnes profanes que j’ai contactées sur le sujet n’avaient jamais entendu parler des tentatives de paix de 1916, et la plupart se montrèrent choquées par ce récit, à l’exception notable de Kevin Barrett, dont l’émission en podcast Truth Jihad avait déjà exposé divers invités controversés qui avaient discuté de ce sujet au fil des années, en faisant parfois mention de machinations historiques plus vastes et moins plausibles.
La manière dont ces faits apparemment indéniables — les propositions de paix de 1916 — ont été gommés de toute discussion publique est vraiment des plus remarquables, et j’ai peu à peu découvert que Hochschild était loin d’être le seul auteur à n’en faire strictement aucune mention.
Prenons le cas de Niall Ferguson, un historien de haut niveau né en Grande-Bretagne, et œuvrant au sein des universités de Harvard et de Stanford, qui s’était fait connaître au départ avec sa publication de The Pity of War en 1999, une ré-analyse très hétérodoxe de la Première Guerre Mondiale débouchant sur diverses conclusions controversées. Entre autres positions, Ferguson a carrément affirmé que les Britanniques auraient dû rester hors du conflit, ce qui aurait débouché sur une victoire allemande rapide et éclatante, établi une hégémonie politique et économique de l’Allemagne sur l’Europe continentale. Mais cela n’aurait fait qu’avancer de trois générations la création de l’Union européenne, en évitant les dizaines de millions de morts inutiles provoquées par les deux guerres mondiales, sans parler des conséquences mondiales de la Révolution bolchevique. 1
Quoique Ferguson se montre volontairement provocateur dans le récit qu’il fait des événements, je ne me suis souvenu d’aucune mention spécifique des propositions de paix de 1916 à la lecture de son livre que j’avais pratiquée quelques années plus tôt, et je suis revenu sur ce livre, ce qui a confirmé mes souvenirs ; quoique son introduction comprît presque une page entière de scénarios de type « Et Si? » et discutât de nombreuses « réalités alternatives » dans la suite de l’ouvrage. De fait, quelques années auparavant, il avait fait paraître Virtual History, un assemblage d’une bonne dizaine d’essais écrits par des universitaires professionnels, examinant les conséquences si l’histoire avait pris un tournant différent à divers points clés, parmi lesquelles une victoire allemande pour la première guerre mondiale, mais cet ouvrage ne faisant lui non plus aucune mention d’une possible paix négociée en 1916.
Un ouvrage encore plus long, d’un type similaire, judicieusement nommé « Et Si?« est paru en 2001, publié par l’historien Robert Cowley, et reste lui aussi tout aussi silencieux à ce sujet. Le livre s’étale sur plus de 800 pages, dont plus de 90 sont consacrées à sept scénarios alternatifs couvrant la Première Guerre Mondiale, mais la possibilité d’une paix en 1916 n’apparaît nulle part, alors qu’il s’agit de l’un des éléments « Et Si » les plus évidents et les plus importants.
Les récits détaillés de l’histoire dominante semblaient tout aussi silencieux à cet égard. En 1970, A.J.P. Taylor, le réputé historien britannique, a publié English History, 1914-1945, qui s’étale sur presque 900 pages, dont presque un quart sont consacrées à la Première Guerre Mondiale ; mais aucune mention n’y est faite des propositions de paix allemandes de 1916, et la possibilité même que les Allemands pussent accepter une paix sur base d’un compromis est écarté en à peine quelques phrases et une note de bas de page. L’ouvrage de John Keegan, paru en 1999 sous le titre The First World War comporte 475 pages et ne fait lui non plus aucune mention de ces propositions. Je n’ai certes pas lu l’ensemble des textes historiques standards, loin s’en faut, mais je pense que ces deux exemples constituent un assez bon échantillonnage de la littérature historique, et expliquent sans doute la totale ignorance manifestée par Hochschild sur le sujet, puisque Ferguson et d’autres auteurs distingués ont fait preuve avant lui de la même carence.
Le sujet ne semble pas non plus avoir été couvert par des études plus spécialisées, même lorsqu’il aurait pu y prendre un rôle d’importance. Il y a quelques années, j’ai lu le récit produit en 2017 par Sean McMeekin The Russian Revolution, une reconstruction remarquable et méticuleuse des circonstances complexes et fortuites qui ont débouché sur la chute du régime tsariste en 1917, et le triomphe des Bolcheviques de Lénine qui a suivi.
Le prologue en est consacré au meurtre de Grigory Raspoutine, le guérisseur religieux qui exerça une influence considérable sur le Tsar et sa famille, et qui, en dépit du fait qu’il n’occupât aucun poste officiel, constitua probablement de nombreuses années durant le troisième personnage en matière d’influence sur l’Empire russe. En outre, son décès en décembre 1916, aux mains d’un groupe de conspirateurs qui comprenait de hauts-membres de l’élite russe, semble avoir constitué un facteur de déstabilisation important pour le régime, et a débouché après quelques mois à peine sur son effondrement par la Révolution de février.
Raspoutine avait entretenu pendant longtemps des doutes quant à la poursuite de cette guerre onéreuse menée contre l’Allemagne, et cela constitue l’une des raisons centrales de son assassinat ; de fait, la crainte de voir le colossal allié russe manquer à l’alliance contre l’Allemagne amena des membres des Renseignements britanniques à contribuer à cet assassinat. Après des mois de complots visant à ôter la vie à Raspoutine, il finit par tomber le 20 décembre, au moment précis où la très publique « offensive de paix » de l’Allemagne attirait une attention considérable ; et bien que l’auteur ne relie pas directement ces deux événements, l’agenda apparaît comme très propice à mettre en doute une pure coïncidence. Ainsi, il se peut fort bien que les actions désespérées menées par les Alliés pour bloquer tout soutien à la paix proposée par les Allemands aient contribué à déclencher la Révolution russe.
D’évidence, une fin anticipée de la Grande Guerre aurait constitué un événement d’une importance colossale, et les tentatives allemandes de 1916 pour assurer la paix furent bel et bien traitées comme ayant ce potentiel dans la couverture médiatique de l’époque. Mais l’Allemagne finit par perdre la guerre, et le récit officiel qui s’ensuivit fit porter la catastrophe pour l’Europe par le militarisme incessant de l’Allemagne, si bien que les propositions de paix allemandes devinrent un élément discordant et soulevant des questions troublantes sur le récit global qui est fait de la période. Par conséquent, on a, durant le siècle qui a suivi, simplement éludé ces faits, et si je n’étais pas allé regarder ces titres de presse de l’année 1916, je n’en aurais sans doute jamais pris connaissance.
De fait, après que j’ai fait simplement mention de cette histoire intéressante sur mon site internet, un ou deux commentateurs ont vertement réfuté mes affirmations, en déversant le récit officiel selon lequel les Allemands s’étaient opposés à toute paix négociée raisonnable, sans expliquer pourquoi tous les récits médiatiques de l’époque avaient affirmé l’exact opposé. Selon ces critiques, le puissant establishment allemand aurait certainement opposé son veto à de telles propositions, et j’ai décidé de voir si je pouvais trouver des éléments plus forts pour conforter ma position, au-delà d’un éditorial paru dans le Post un siècle après par deux universitaires obscurs et en début de carrière.
À ma très grande surprise, j’ai découvert que l’année dernière, un ouvrage consacré aux chances ratées de conclure la paix en 1916 avait paru ; il semble qu’il s’agisse du seul et unique ouvrage en langue anglaise consacré à ce sujet d’importance. Qui plus est, l’auteur de The Road Less Traveled est Philip Zelikow, bien connu pour avoir occupé le poste de directeur de la Commission sur le 11 septembre 2001, une personnalité qui est donc tout à fait dans les bonnes grâces de l’establishment dominant. Vers la fin de son Introduction, il explique avoir travaillé par intermittence sur ce projet depuis plus d’une dizaine d’années.
Bien que le texte principal couvre moins de 300 pages, son récit des événements semble direct et convainquant, s’appuie massivement sur des archives historiques et des journaux personnels, et établit fermement le même récit historique que celui que j’avais entrevu au départ en consultant ces anciennes publications. Ses recherches complètes dévoilent de nombreux éléments additionnels, et mettent au jour un récit radicalement différent de celui qui a été présenté durant des décennies de traitements trompeurs. Et malgré un « révisionnisme » apparemment tellement controversé, son ouvrage a reçu des éloges notables de la part d’érudits universitaires, et a fait l’objet de critiques favorables dans des publications aussi influentes que Foreign Affairs, the Nation Interest et Foreign Policy, mais comme le livre n’avait retenu l’attention d’aucun des journaux que je consulte, je n’en avais pas pris connaissance.
Le récit prodigué par Zelikow est véritablement fascinant, surtout au vu du fait qu’il est resté presque totalement caché aux yeux du public durant plus d’un siècle.
Quoique des éléments influents, parmi lesquels son conseiller politique le plus proche, voulussent que les États-Unis entrassent en guerre aux côtés des Alliés, le président Woodrow Wilson avait longtemps espéré pouvoir assurer une médiation de nature à mettre fin au conflit, à l’image de l’action de son prédécesseur, Theodore Roosevelt, qui avait ainsi mis fin à la guerre russo-japonaise, ce qui lui avait valu pour couronnement de recevoir le Prix Nobel de la Paix en 1906.
Au cours des deux premières années de combat, aucune des parties n’avait répondu favorablement à ceux qui aspiraient en leur sein à la paix, mais au mois d’août 1916, les circonstances changèrent, et bien que les dirigeants britanniques finirent par continuer de tenter leur chance sur le champ de bataille, le gouvernement allemand qui connaissait les mêmes conflits avait accepté secrètement l’offre formulée par Wilson de présider une conférence de paix en tant que médiateur. Au vu des terribles pertes en vies humaines déjà subies par les deux côtés, on estimait largement qu’une fois démarrées des négociations de paix, il était fort peu probable que les combats reprissent jamais. Et avec un alignement de Wilson, de la plus grande partie des dirigeants allemands, et d’une grande partie du Cabinet britannique prêts pour la paix, les perspectives apparaissaient véritablement excellentes, surtout au vu du fait que la survie des Alliés dépendait lourdement des livraisons et finances en provenance des États-Unis.
En dépit du fait que toutes les pièces du puzzle semblassent prêtes à s’emboîter, les opportunités furent ratées à plusieurs reprises au cours des cinq longs mois qui suivirent. Un facteur d’importance résidait dans l’extrême difficulté des communications, les Britanniques ayant coupé le câble du télégraphe transatlantique de l’Allemagne au début de la guerre, ce qui signifiait que les communications allemandes avec Wilson, et même avec l’ambassadeur d’Allemagne, devaient prendre des voies détournées suivant divers pays neutres et en passant par l’Amérique Latine avant de parvenir chiffrées à Washington DC des jours, voire des semaines après leur émission.
Autre facteur crucial, le fait que Wilson ne disposait pas du personnel requis pouvant transcrire ses grandes idées en propositions politiques sérieuses. Contrairement aux grands pays européens, les États-Unis ne disposaient guère d’infrastructure administrative, et Wilson écrivait en grande partie lui-même ses discours, et son secrétaire d’État était un avocat sans expérience diplomatique, qui tenait surtout lieu de secrétaire intelligent. Son seul conseiller proche était le colonel Edward House, un riche dilettante texan qui entretenait souvent des points de vue excentriques, et qui soutenait tellement les Britanniques qu’il apparut parfois saboter à dessein les tentatives de paix. Wilson lui-même, après tout une carrière académique, avait accédé à la Maison-Blanche par surprise en 1913 après une brève expérience de deux années comme Gouverneur du New Jersey, si bien qu’il ne disposait guère d’expérience en matière politique ou en matière de diplomatie internationale.
Aussi, quoique le gouvernement allemand répondît favorablement à sa proposition de mener une conférence de paix au mois d’août 1916, Wilson ne parvint pas à saisir le caractère urgent de cette démarche, et décida de ne rien faire jusqu’aux élections du mois de novembre. Dans l’intervalle, en Allemagne, les avocats militaires d’une campagne de U-Boots contre les navires étasuniens acheminant des livraisons aux Alliés menaient de très fortes pressions en faveur de leur stratégie alternative, ce qui assurait une rupture des relations avec les États-Unis.
Après que les Britanniques subirent des pertes colossales lors de leurs attaques dans la Somme, avec presque 20 000 morts rien que le premier jour de cette bataille, le parti britannique favorable à la paix se renforça, et le gouvernement se prépara à examiner l’offre formulée par Wilson. L’un des fils du premier ministre H.H. Asquith était mort dans la bataille, un second y avait été blessé, et la proposition formulée par les Allemandes de rendre la Belgique occupée satisfaisait la plus importante des conditions britanniques.
Puis, à la fin du mois de septembre, le ministre de la guerre David Lloyd George — qui avait été l’un des plus éminents avocats de la proposition de paix étasunienne — changea subitement d’avis, et déclara que la Grande-Bretagne ne devait jamais accepter de paix négociée, et devait au lieu de cela se montrer prête à se battre pendant vingt ans si nécessaire pour atteindre une victoire militaire totale, dont tout autre débouché qu’un « knockout » aurait été « impensable ». Zelikow avance la thèse plausible selon laquelle Lloyd George pensait pouvoir faire usage de son changement de position sur la paix pour s’attirer le soutien des partisans britanniques de la ligne dure, comme le puissant groupe de presse de Lord Northcliffe, pour prendre la place d’Asquith au poste de premier ministre, et c’est d’ailleurs exactement ce qui se produisit au cours des deux mois qui suivirent, les avocats de la paix se faisant éjecter du gouvernement.
Malgré les positions mouvantes des Britanniques, Wilson reprit ses tentatives de paix après avoir été réélu, le 7 novembre, pour ne rencontrer qu’une forte opposition du colonel House, son principal conseiller. Bien que la Grande-Bretagne eût déjà verrouillé son positionnement d’une lutte désespérée contre l’Allemagne en totale dépendance des livraisons étasuniennes, House se convainquit que si les États-Unis faisaient trop pression en faveur de la paix, les Britanniques allaient déclarer la guerre contre les États-Unis. Aussi incroyable que cela puisse paraître, House avança de manière répétée face à Wilson et face à d’autres personnes qu’une armée britannique pouvait envahir les États-Unis en partant du Canada, avec la Royal Navy faisant débarquer des centaines de milliers d’hommes en provenance du Japon, allié des Britanniques, sur les côtes des États-Unis, s’employant tous ensemble à conquérir les États-Unis. Bien que ces préoccupations bizarres fussent rejetées, elles contribuèrent au ralentissement opéré par les dirigeants du Département d’État pro-britanniques vis-à-vis de la proposition de paix du président.
À peu près dans le même temps, l’ambassadeur d’Allemagne se mit à plaider pour que l’Administration Wilson se mît à agir sur le champ, par crainte de laisser s’échapper l’opportunité de la paix ; Zelikow a titré son chapitre « La Paix est au Sol, en Attente que Quelqu’un la Ramasse ! », l’une des phrases les plus ferventes employées par l’envoyé allemand. Dans le même temps, les dirigeants militaires allemands partisans de la ligne dure exerçaient leurs pressions sans relâche sur le gouvernement pour qu’il abandonnât ses tentatives de paix et revînt au lieu de cela à la guerre sous-marine à outrance, dont ils affirmaient qu’elle pourrait assurer une victoire rapide dans le conflit.
L’Allemagne et ses alliés, de plus en plus désespérés en raison des retards sans fin qu’avait pris l’initiative du président étasunien, finit par lancer son propre appel inconditionnel à des pourparlers de paix, le 12 décembre, en espérant que cette action pourrait enfin amener Wilson à agir et à inviter les participants à une conférence de paix à la Haie, en positionnant le président étasunien comme médiateur. L’annonce allemande captiva l’attention du monde, et contraignit Wilson à répondre par crainte de se voir éclipsé, et une semaine plus tard, il finit par faire circuler sa propre note en faveur de la paix, mais comme l’explique Zelikow, celle-ci constitua un « raté », car elle ne comportait aucun détail, et n’invitait de fait pas les parties belligérantes à participer à une conférence de paix. Les Alliés rejetèrent ainsi fermement la proposition allemande, la qualifiant de « piège », et purent faire fi de la déclaration de Wilson, puisque celle-ci ne leur demandait aucune action. Au cours des quelques semaines qui suivirent, l’opportunité de paix s’étiola, et à la fin du mois de janvier, les Allemands annoncèrent qu’ils allaient revenir à une guerre sous-marine à outrance, ce qui amena Wilson à rompre les relations et à se diriger vers la guerre contre l’Allemagne.
Bien qu’au sein du gouvernement étasunien, des éléments influents aient cherché à obtenir ce résultat dès le départ, Zelikow affirme de façon convaincante que les fautes, erreurs, et incompréhensions manifestées par Wilson et les autres cherchant également une paix négociée pesèrent sans doute davantage dans la balance en faveur de ce résultat que les tentatives menées par des personnes qui voulaient activement poursuivre ce résultat. Son verdict historique sévère envers le président et les partisans de la paix apparaît comme équilibré :
Avec l’échec d’obtenir la paix au moment le plus opportun, nul n’échoua ni ne fit échouer le monde davantage que le président Wilson. Son échec diplomatique fut le plus colossal de toute l’histoire des États-Unis.
Ainsi, l’un des virages les plus importants du XXème siècle s’est sans doute produit à la fin de l’année 1916, avec l’effondrement tragique d’une tentative de paix qui avait paru au départ vouée à la réussite, et le récit saisissant qu’en fait Zelikow explique comment et pourquoi cette opportunité a échoué. Dans tous les cas, l’échec à conclure la paix en 1916 aurait dû devenir le sujet d’un nombre indéfini de romans, de pièces de théâtre et de films, mais au lieu de cela, le sujet reste de nos jours totalement insoupçonné, même au sein des couches les plus instruites de la population.
Mon premier contact avec une partie de l’histoire oubliée de la Première Guerre Mondiale s’est produit lorsque j’ai remarqué les titres et lu les articles qui avaient été publiés dans nos publications de premier plan, alors que l’histoire se déroulait. Une fois les événements importants terminés, et une fois déterminés qui étaient les héros et qui étaient les méchants, une tendance naturelle se fait jour de réinterpréter le passé à la lumière de ce qui a fini par transpirer, ce qui établit un récit simple qui suit des lignes bien définies. Pour le dire autrement, les gagnants écrivent le plus gros des récits.
Pour cette raison précise, je pense que l’un des ouvrages sur le sujet de la Grande Guerre les moins connus, mais qui présente une valeur inestimable, a été achevé à la mi-mars 1917, quelques semaines à peine avant l’implication des États-Unis qui devait inévitablement modifier toute analyse à venir. L’auteur en fut Lothrop Stoddard, qui avait obtenu son doctorat en histoire à Harvard et commençait tout juste une carrière qui allait bientôt l’établir comme l’un des intellectuels publics les plus influents des États-Unis. Son ouvrage s’intitule Present-Day Europe et constitue un scrupuleux et impartial passage en revue des politiques menées durant la guerre et de l’histoire récente de chaque nation individuelle.
Cet ouvrage n’est pas outrageusement long, il s’étend sur moins de 75 000 mots, et on peut facilement le lire en un jour ou deux, mais il délivre une très riche quantité d’éléments détaillés et contemporains aux événements, dont une grande partie semble avoir été laissée au vestiaire par l’historiographie qui a suivi, écrite après que le récit officiel fut durci. Qui plus est, comme il l’explique dans sa préface, Stoddard a suivi une ligne rigide, consistant à ne citer que les personnes natives de chaque pays pour son propre chapitre, les Anglais pour s’exprimer sur l’Angleterre, les Allemands sur l’Allemagne, etc, ce qui produit une présentation inestimable des sentiments de l’élite et du peuple au sein de chaque nation, chose très utile à quiconque parmi nous s’emploie à reconstruire la situation plus d’un siècle après les événements.
L’ouvrage de Stoddard fut mis sous presse quelques semaines à peine après le rejet final de l’offre de paix allemande, et il n’a pas laissé un projet diplomatique raté, bien connu de l’ensemble de ses lecteurs, dominer son récit. Mais quoi que l’auteur ne connût pas l’ensemble des antécédents, il a accordé aux tentatives de paix un traitement raisonnable au sein des chapitres sur la Grande-Bretagne et sur l’Allemagne, et ajouté des détails intéressants ratés aussi bien par Zelikow que par Hochschild. Par exemple, dès le mois de juin 1916, plusieurs personnalités éminentes britanniques entretenant des visions très conventionnelles avaient publiquement appelé à des négociations de paix, y compris dans les pages de the Economist, et leur déclaration avait été soutenue avec emphase par l’éditeur de cette publication influente. Mais cette rébellion idéologique de haut niveau au sein du média appartenant à l’élite fut rapidement écrasée, et l’éditeur perdit son travail suite à son soutien à cette cause. Stoddard expliqua par la suite que le rejet allié sans compromis de toutes les offres de paix allemandes avait dès le début de l’année 1917 « incité l’ensemble du peuple allemand à une colère désespérée. »
On trouve un exemple parfait de la valeur colossale des éléments livrés par Stoddard au sein de sa discussion sur les objectifs de guerre, qui livre d’évidence le contexte nécessaire aux diverses réactions nationales à des négociations de paix rapides, et le contraste est marqué entre ces réactions dans les pays des deux camps opposés. Les objectifs des Allemands étaient relativement modérés, et ne comportaient quasiment aucune demande d’annexion de nouveaux territoires. En contraste, les Français étaient résolument engagés à la destruction totale de l’Allemagne en tant qu’objectif premier, un sentiment qui était partagé de manière quasiment universelle parmi l’ensemble des partis politiques. Ils considéraient l’Allemagne unifiée créée en 1870 comme un rival trop puissant en Europe, qui devait par conséquent être refragmenté en de multiples États faibles. Et la France devait non seulement récupérer les provinces perdues de l’Alsace et de la Lorraine, mais elle devait également annexer une grande partie de la Rhénanie, un territoire qui était allemand depuis mille ans. Les Britanniques ne tenaient pas une position aussi extrême, mais le plus gros de leur classe politique dirigeante était convaincu que l’Allemagne, du fait de son statut de compétiteur économique et militaire, devait être paralysée.
À l’Est, l’objectif premier de la guerre entretenu par l’Empire russe était l’annexion de Constantinople, la capitale et la plus grande métropole de l’allié allemand que constituait l’Empire ottoman, chose qui aurait accordé à la Russie le contrôle stratégique sur le Détroit du Bosphore. Même si la Serbie avait déjà été vaincue et occupée à cette période, des éléments du gouvernement serbe avaient au départ provoqué la guerre en organisant l’assassinat de Franz Ferdinand, le dirigeant potentiel austro-hongrois, et leur objectif plus large était la destruction totale de cet État multi-ethnique, dont plusieurs morceaux trouveraient alors leur place dans une Grande Serbie.
Aussi, dans une vaste mesure, l’Allemagne et ses alliés étaient de fait les « puissances du statu quo », raisonnablement satisfaites de l’arrangement en place au niveau des frontières, une situation très différente de celle de leurs opposants, les Alliés. Lorsque l’une des parties d’un conflit est déterminée à démembrer et détruire l’autre, une paix rapide est difficile à trouver. Qui plus est, l’alliance allemande était confrontée à une coalition qui lui était largement supérieure en nombre d’hommes, en force économique, et en ressources militaires potentielles, si bien qu’elle menait ce qu’elle considérait raisonnablement comme une guerre purement défensive. Cette situation, claire à l’époque, est exactement contraire à ce qui a été dit de manière implicite ou même explicite dans l’histoire basique racontée par nos manuels scolaires au cours du dernier siècle.
D’évidence, l’image globale n’était pas totalement conforme à celle entretenu par l’un des camps, et un facteur important sous-jacent au déclenchement de la guerre avait résidé dans les préoccupations allemandes au sujet de sa population en croissance rapide, et dont la croissance militaire était également soutenue, face à son énorme voisin russe de l’Est. De fait, bien que le très puissant bloc politique social-démocrate au parlement allemand fût fortement anti-militariste, ses membres étaient également intensément hostiles au régime tsariste, que leurs éléments juifs influents diabolisaient comme âprement antisémite, si bien que la menace russe constituait un facteur important derrière l’unité politique intérieure quasiment totale une fois la guerre éclatée. En outre, des éléments importants au sein de l’establishment militaire allemand avaient depuis longtemps soutenu l’idée d’une guerre préventive visant à briser la puissance russe avant que celle-ci devînt trop écrasante.
Les grandes victoires allemandes remportées durant les deux premières années de combats avaient amené à l’occupation de territoires russes considérablement étendus, et Jozef Pilsudski, le personnage équivalent à George Washington en Pologne, avait organisé une armée de 20 000 Polonais qui combattait aux côtés des Allemands. En conséquence, les Allemands décidèrent de ressusciter une Pologne indépendante comme État-client de l’Allemagne, plus d’un siècle après la disparition de ce pays de la carte, un changement géographique qui devait fortement affaiblir la Russie tout en constituant un tampon face à l’expansion vers l’Ouest de la part de ce pays.
Même si elle est d’une importance relativement mineure, l’une des sections les plus impressionnantes produites par Stoddard réside dans sa discussion au sujet des Balkans, où se côtoyaient plusieurs États querelleurs, dont je n’avais jamais vu les histoires traitées auparavant, et encore moins analysées avec des détails aussi intelligents. Ces pays s’étaient combattus les uns les autres en 1912, puis en 1913, et au vu des événements déclencheurs de 1914 à Sarajevo, la Grande Guerre qui suivit pourrait presque n’être considérée que comme un troisième round de combats qui fit entrer sans le vouloir le reste de l’Europe.
Comme l’indique l’auteur, avant la conquête puis la longue occupation par les Ottomans, chacun des différents peuples des Balkans avait à un moment ou à un autre dirigé un empire régional plus étendu que son propre territoire, chose qu’ils essayèrent évidemment de ressusciter après le recul du pouvoir ottoman. Mais tous ces empires passés des Balkans s’étaient recouverts les uns les autres territorialement, ce qui avait amené à des revendications amères et opposées, et à de nouveaux combats entre la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie et la Grèce, dont chacun de ces pays convoitait également des parties des empires voisins austro-hongrois et ottoman, ce qui contribuait à l’importante instabilité de la situation. De manière totalement contradictoire avec mes propres hypothèses, Stoddard explique que ces pays individuels présentaient de fait des profils politiques et sociaux très différents, avec par exemple une Bulgarie présentant des caractéristiques totalement différentes de sa voisine Roumaine, alors que les deux pays avaient toujours au fil du temps été groupés l’un avec l’autre.
Quoique l’ouvrage de Stoddard reste centré sur les dynamiques internes des principaux participants européens sans adresser directement les causes exactes du conflit, les éléments qu’il produit soutiennent dans l’ensemble l’impression que j’avais toujours perçue dans mes manuels d’histoire, selon laquelle deux alliances lourdement armées et hostiles s’étaient plongées dans une guerre colossale sans qu’aucune des deux ne se fût vraiment attendue à ce qui se produisit en fin de compte. Comme le travail détaillé de Zelikow l’indique, les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne avaient déjà repoussé à tâtons les possibilités de paix en 1916, et les Européens avaient démarré le conflit quelque deux années suivant des lignes générales très proches.
Deux ouvrages historiques majeurs, centrés sur ce sujet précis, avaient été publié il y a environ dix ans, juste avant le centième anniversaire de la guerre, et ils renforçaient fortement cette même conclusion avec des éléments universitaires complets. The Sleepwalkers écrit par Christopher Clark, et July 1914: Countdown to War par Sean McMeekin, ont tous les deux reçu un traitement en première page à la fois long et favorable dans la revue littéraire du New York Times produite par Harold Evans, ancien éditeur du Times of London. J’avais lu le premier de ces deux ouvrages il y a quelques années, et le second beaucoup plus récemment, et je les avais trouvé tous deux excellents, qui relataient un récit semblable dans l’ensemble au fil de leurs 1100 pages combinées.
Le récit très détaillé produit par McMeekin au sujet des circonstances exactes et des processus de prise de décision au cours du mois de juillet 1914 soulignent grandement le rôle extrêmement important joué par les facteurs inattendus et fortuits, qui auraient si facilement pu faire sortir l’histoire de ses rails. Par exemple, juste avant l’assassinat de Sarajevo, la Grande-Bretagne semblait vraiment au bord d’une violente guerre civile au sujet de l’Irish Home Rule, un conflit si abrupt qu’il fallut des semaines avant que le Cabinet n’examinât simplement la situation en développement dans les Balkans, et si ces événements s’étaient déroulés ne serait-ce que deux mois plus tard, l’implication militaire britannique aurait été impossible. De même, en raison de son positionnement initial fort vis-à-vis de toute attaque contre la Serbie, le puissant premier ministre hongrois avait empêché la forme de frappe de représailles qui aurait sans doute empêché d’autres pays de s’impliquer dans le conflit, contrairement à l’attaque finale qui finit par se produire plus d’un mois après l’assassinat ; si bien que la politique de paix déterminée menée par un dirigeant européen de premier-plan contribua de fait à élargir le périmètre de la guerre. Dans tous ces pays, on trouvait des factions puissantes qui avaient passé des années à pousser à la guerre, mais il existait d’autres factions puissantes qui voyaient les choses autrement, et les circonstances de l’éclatement de la guerre ont dépendu en grande partie des décisions particulières qui furent prises.
Une fois démarré l’énorme conflit, attribuer la juste mesure de culpabilité à la calamité s’est transformé en un objectif stratégique au cours des années qui suivirent, surtout de la part des Alliés, et Clark note même que les Français comme les Russes créèrent de faux documents qu’ils ajoutèrent dans leurs propres archives diplomatiques. Le débat universitaire au sujet de qui porte la culpabilité de la guerre s’est poursuivi tout au long du siècle qui a suivi, et si aucun de ces ouvrages n’apporte de réponse définitive à cette question, je pense qu’ils apportent une base factuelle très solide, en expliquant précisément qui a fait quoi, et quand, ce qui permet à chacun d’attribuer la juste quantité de culpabilité à ces actions particulières.
Hidden History est un livre d’un type tout à fait différent, mais sur ce même sujet, publié presque en même temps par les historiens britanniques amateurs Gerry Docherty et Jim Macgregor. Bien qu’il soit resté totalement ignoré par les médias dominants, leur récit extrêmement conspirationiste des actions menées par les dirigeants britanniques jusqu’à l’éclatement de la guerre est devenu très populaire dans de nombreux cercles alternatifs, et j’ai finalement décidé de le lire il y a un an ou deux. Malheureusement, je n’ai pas du tout été impressionné par leur analyse, et bien qu’ils aient décrit correctement certaines machinations menée par la faction politique britannique la plus agressive, je pense qu’ils lui ont accordé bien plus de pouvoir qu’elle n’en posséda sans doute. J’ai écrit ma propre évaluation au travers d’un commentaire après avoir lu un ou deux chapitres, mais rien dans la suite du livre n’aurait pu modifier mon verdict négatif :
Ma foi, j’ai vu de nombreux commentateurs accorder des lauriers au livre de Docherty et Macgregor au fil de l’année écoulée, et puisque je l’avais sous la main, j’ai enfin décidé d’y jeter un œil. À ce stade, je ne suis vraiment pas très impressionné.
Pour autant que je puisse en juger, leur hypothèse « révolutionnaire » est que sur la fin du XIXème siècle, un petit groupe d’individus proches du sommet de la Grande-Bretagne constituèrent une « société secrète » avec pour but principal de faire croître la puissance et la richesse de l’Empire britannique, en utilisant parfois de méthodes brutales ou malhonnêtes, et en dominant le monde de manière permanente.
Cela est-il véritablement aussi remarquable ? Supposons que la « société secrète » n’ait jamais été constituée ? Ne supposerions-nous pas naturellement que les dirigeants normaux et habituels de la Grande-Bretagne feraient de leur mieux pour faire croître la puissance et la richesse de l’Empire britannique ? Ne serait-il pas plus choquant qu’ils n’agissent pas ainsi ?
Quelqu’un devrait-il écrire un ouvrage : « Les hauts-dirigeants de Google essayent en secret de faire croître la richesse et la puissance de Google et de capter la domination de l’Internet tout entier. » Ou « Les hauts-dirigeants de Goldman Sachs s’emploient en secret de faire croître la richesse et le pouvoir et de dominer Wall Street à titre permanent. »
Ni Docherty ni Macgregor ne semblent être des historiens professionnels, et ils ont sans doute raison de vouloir réfuter la « légende de la vilenie allemande, » mais je pense que des légions d’historiens professionnels ont déjà fait cela.
Il y a des décennies, mes textes ordinaires au lycée soulignaient que l’un des principaux facteurs derrière la première guerre mondiale était la crainte entretenue par la Grande-Bretagne vis-à-vis d’une Allemagne qui montait. Et il est également vrai qu’un autre facteur majeur résidait dans les craintes entretenues par l’Allemagne de voir monter la Russie. Les historiens ont débattu sans fin au sujet du poids relatif de ces divers facteurs, mais chacun a bien conscience de chacun d’entre eux.
En contraste marqué, un ouvrage différent, publié il y a tout juste un siècle, pourrait aujourd’hui être considéré comme produit d’une frange conspiratrice, mais on ne l’avait absolument pas considéré ainsi à l’époque, étant donné que l’auteur était largement considéré comme l’un des intellectuels les plus en vue des États-Unis et que l’ouvrage fit l’objet de commentaires favorables dans l’influent Library Digest. David Starr Jordan était le président fondateur de l’université de Stanford, un scientifique en biologie qui publia au moins quatre-vingt-dix ouvrages, la plupart d’entre eux de nature scientifique, mais certains intégrant des travaux de politique publique plus large.
Unseen Empire, qui est paru en 1912, tombe dans cette dernière catégorie, et bien que les États-Unis et les puissance européennes majeures restassent en théorie des pays souverains, leurs lourdes dépenses militaires improductives les avaient peu à peu englués dans les toiles serrées de la dette, ce qui amena la plupart d’entre eux à se faire les vassaux politiques d’un réseau de puissants financiers, l’« empire invisible » qui constitue le titre de ce livre. Aussi, en lieu de place de rois, de parlements ou de kaisers, les véritables dirigeants de l’Europe étaient un jeu de dynasties bancaires interconnectées et mariées entre elles, pour la plupart juives : les Stern et les Cassel en Grande-Bretagne, les Fould et les Pereire en France, les Bleichroder en Allemagne, les Gunzburg en Russie, les Hirsche en Autriche, les Goldschmid au Portugal, les Camondo en Turquie, les Sassoon en Orient, et au-dessus d’eux tous, les Rothschild de Londres et de Paris.
Bien que dans le monde contemporain une telle description puisse paraître insensée ou à tout le moins incendiaire, Jordan la présente factuellement, sans rancœur, et de fait cette affirmation particulière ne constitue même pas le thème principal de son analyse. Le président de l’université de Stanford considérait la guerre moderne comme désastreuse pour une société, mais avançait même que les guerres étaient devenues tellement ruineuses qu’elles ne pouvaient pas durer longtemps. Qui plus est, puisque les véritables propriétaires de l’Europe estimaient qu’elles nuisaient aux affaires, aucune guerre majeure ne pouvait éclater.
De toute évidence, les prédictions produites par Jordan furent démontées quelques années après, mais les événements qui ont suivi ont semblé indiquer que son analyse n’était pas totalement fausse. Par exemple, selon le récit de Stoddard, une grande partie de l’élite juive britannique, disposant souvent de racines allemandes comme les Rothschild, était largement considérée comme faisant partie du camp de la paix, au point qu’en 1916 les publications relevant la ligne dure dénonçaient les financiers germano-juifs comme sapant la fermeté militaire continue de la Grande-Bretagne. De même, Zelikow rapporte que Paul Warburg, le vide-président germano-juif de la réserve fédérale des États-Unis, était un supporter enthousiaste des tentatives menées par Wilson de faire pression sur la Grande-Bretagne pour qu’elle fît la paix, y compris en décourageant les banques étasuniennes, à la fin de l’année 1916, de consentir de nouveaux emprunts demandés par la Grande-Bretagne pour acheter des livraisons. Dans des communications privées, le très pro-britannique dirigeant de l’empire bancaire J.P. Morgan dénonça cette décision, et se prononça pour une attaque publique contre l’influence germano-juive dont il estimait qu’elle se trouvait derrière cette politique de paix. De même, nombre des riches intérêts juifs en Allemagne se trouvaient en général dans le camp de la paix. La principale erreur commise par Jordan fut sans doute de surestimer le pouvoir politique détenu par les intérêts financiers dominants en Europe.
La présente discussion étendue au sujet de la Grande Guerre a été lancée après que j’ai lu l’ouvrage de Hochschild au sujet du mouvement anti-guerre britannique, et j’ai décidé de la lancer parce que j’avais été très impressionné par son ouvrage précédent, le best-seller récompensé King Leopold’s Ghost, que j’avais lu en début d’année. Ce dernier ouvrage relate l’histoire saisissante du Congo belge ainsi que le traitement terrible subi par ses habitants, qui peut avoir coûté la vie à pas moins de dix millions d’Africains, Hochschild racontant également l’histoire de la croisade morale internationale menée par les Britanniques contre ces crimes, organisée à titre privé par E.D. Morel, un journaliste, ainsi que Roger Casement, un fonctionnaire. Leur victoire finale se produisit une année tout juste avant l’éclatement de la guerre, et les deux derniers chapitres écrits par Hochschild constituent un épilogue avancé, qui comprend une description des tristes destins subis par son duo de champions.
À l’époque de l’assassinat de Sarajevo, aussi bien Morel que Casement étaient de gigantesques héros internationaux, le second ayant même été adoubé chevalier pour ses exploits humanitaires. Mais les deux hommes étaient fermement opposés à la guerre, et dans l’ensemble sympathiques envers la position allemande, et leur positionnement public s’est rapidement effondré, ce qui constitue l’une des nombreuses ironies décrites par Hochschild.
L’une des pires horreurs infligées par les colons belges aux Congolais fut de trancher les mains des Africains qui ne remplissaient pas leurs quotas de travail, ou désobéissaient aux ordres, et des photographies des victimes de ces atrocités ont provoqué l’indignation sur l’ensemble du globe. Mais au mois d’août 1914, l’armée allemande envahit la Belgique, et les Belges passèrent subitement du statut de monstres à celui de martyrs, et les propagandistes britanniques en arrivèrent bientôt à affirmer à tort que les Allemands coupaient les mains des Belges qui n’obéissaient pas. De nombreuses années durant, le récit des millions d’Africains morts dans les horreurs du Congo belge avaient constitué le principal problème humanitaire au monde, mais Hochschild avance de manière convaincante que la subite augmentation de la propagande de guerre exposant les Belges au statut de victimes mondiales sans rivales explique sans doute pourquoi le premier récit tomba rapidement dans l’oubli jusqu’à finalement être ravivé un demi-siècle plus tard.
Casement était britannique et ses tentatives de libérer les Congolais lui attirèrent honneurs et acclamations de la part du public ; mais lorsqu’il s’est mis à chercher une aide allemande pour libérer son propre pays du joug britannique, il fut pendu pour trahison, et devint le premier chevalier britannique à subir ce traitement depuis des centaines d’années. Morel tomba de la même manière de son état de grâce pour ses écrits opposés à la guerre, et après qu’il eut envoyé un exemplaire de l’un de ses pamphlets à son ami pacifiste, Romain Rolland, un prix Nobel français de littérature vivant en Suisse, il fut brutalement mis sous les verrous pour une durée de six mois, ce qui lui coûta sa santé.
Pourtant, une fois la guerre terminée, les sentiments britanniques changèrent, et le Parti Travailliste en ascension se mit à considérer Morel comme un héros non-reconnu et le désigna comme candidat au Parlement. Winston Churchill, alors jeune ministre membre du Cabinet, avait joué un rôle central pour amener la Grande-Bretagne dans la guerre mondiale, et au cours d’un remarquable tournant symbolique, Morel le battit désormais pour la réélection de 1922, s’emparant de son siège à la Chambre des Communes. Morel était l’un des principaux porte-parole du parti travailliste au sujet des affaires étrangères et selon Hochschild, on s’attendait à ce qu’il fût nommé ministre des affaires étrangères dans le nouveau gouvernement travailliste de Ramsay MacDonald en 1922, mais ce dernier décida de conserver le portefeuille pour lui, peut-être par crainte de voir Morel l’éclipser politiquement. Mais le conte de fées de Morel connut une fin bien peu heureuse, car en dépit de la facilité avec laquelle il fut réélu en 1924, la pénibilité de son séjour en prison lui avait détruit la santé, et il mourut dans le courant de l’année à l’âge précoce de 51 ans.
Je n’avais jusqu’alors jamais entendu parler de Morel, et trouvai son histoire des plus fascinantes, mais lorsque j’ai consulté sa page Wikipédia, j’ai découvert qu’une grande partie du long article se centrait sur des aspects de l’activisme dans lequel il s’était engagé après-guerre, dont le livre ne fait pas mention, sans doute pour des raisons idéologiques. Dans ses chapitres finaux, Hochschild dénonce à raison l’hypocrisie des puissances européennes majeures, prêtes à condamner le traitement brutal des Africains sous le joug colonial belge, tout en ignorant le fait qu’elles-mêmes se comportaient bien souvent de manière similaire vis-à-vis de leurs propres colonies africaines. Mais il dut trouver troublante l’absence totale d’une telle hypocrisie chez Morel pour d’autres raisons, si bien que le dernier projet majeur de la carrière de cet homme remarquable est resté exclu de sa biographie.
Morel accusait lourdement la France et la Russie tsariste d’avoir provoqué la guerre, et condamnait régulièrement les conditions extrêmement punitives du Traité de Versailles depuis les pages du journal Britain’s Foreign Affairs, une publication influente du parti travailliste qu’il dirigeait, condamnant par exemple la mutilation de la Hongrie, qui avait perdu les deux tiers de son territoire.
Mais selon Wikipédia, son projet d’après-guerre le plus important fut le lancement de la campagne internationale « Black Shame », dénonçant les terribles atrocités commises par les soldats des colonies africaines françaises à l’encontre des civils allemands impuissants résidant dans la Rhénanie occupée, qui comprenaient viols et meurtres en grand nombre. Les entrées Wikipédia sont le plus souvent fortement nettoyées, si bien que certaines portions de cette entrée très surprenante méritent d’être citées :
Dans l’article de première page paru le 9 avril 1920 dans le Daily Herald au sujet de l’occupation française de la Rhénanie, le titre était le suivant : « Des torrents de sang à Francfort où l’armée française ouvre le feu au fusil mitrailleur contre des civils. » Le lendemain, le même journal présentait une autre page de couverture signée par Morel, dont le titre était « Fléau Noir en Europe : Horreur Sexuelle libérée par la France et Disparition sur le Rhin de Jeunes Filles Allemandes ». Dans cet article, Morel écrivait que la France « pousse ses sauvages noirs jusqu’au cœur de l’Allemagne » et que les « sauvages africains primitifs, les porteurs de syphilis, sont devenus une horreur et une terreur » pour les habitants de Rhénanie. Dans son article, Morel affirmait que les soldats sénégalais enrôlés dans l’armée française étaient « des barbares africains primitifs » qui « remplissaient leurs sacs des globes oculaires, des oreilles et des têtes de l’adversaire ». Morel déclarait dans son article :
Là-bas [en Rhénanie] ils [les soldats sénégalais] sont devenus une terreur et une horreur inimaginable dans les campagnes, qui violent les jeunes filles et les femmes — pour des raisons physiologiques bien connues, le viol d’une femme blanche par un nègre est presque toujours accompagné de graves blessures et il n’est pas rare que l’issue en soit fatale ; la syphilis se répand, des civils inoffensifs sont assassinés, la situation échappe souvent à tout contrôle ; l’incarnation barbare terrible d’une politique barbare, incarnée par un soi-disant traité de paix qui fait remonter le temps 2000 ans en arrière ».
Morel écrivait que « les sauvages noirs » ont des impulsions sexuelles non-contrôlées qui doivent être satisfaites en usant des corps des femmes blanches! ».
La phrase employée par Morel pour décrire la supposée terreur provoquée par les soldats sénégalais en Rhénanie était l’« Horreur Noire sur le Rhin« , qui est devenue célèbre à l’international, et la campagne contre la « terreur noire » monopolisa une grande partie de son temps durant les quatre dernières années de sa vie. Morel prédit que la « terreur noire » allait provoquer une nouvelle guerre mondiale, écrivant que le garçon allemand moyen avait en tête que : « Garçons, ces hommes ont violé vos mères et vos sœurs ». Morel utilisait le terme d’« horreur noire » pour attaquer la France, dont il affirmait qu’elle avait provoqué une « horreur sexuelle sur le Rhin » et dont le « règne de terreur » était un « mal géant » qui devait inspirer « la honte aux quatre coins du monde », et qu’en fin de compte devraient se produire « une révision du Traité de Versailles et la délivrance de l’Allemagne ».
L’article quelque peu sévère de Wikipédia condamne Morel pour son racisme patent, et cite un sociologue allemand qui affirme que ces mêmes sentiments avaient en réalité également gouverné son activisme au Congo Belge par le passé. Mais cette nouvelle campagne de Rhénanie fut bientôt suivie par son ascension au sein du parti travailliste britannique, et par son triomphe électoral sur Churchill, si bien que les Socialistes britanniques ainsi que les électeurs britanniques semblèrent prononcer un verdict différent. En outre, Adolf Hitler fit allusion à certaines des accusations lancées par Morel dans les pages de Mein Kampf mais de manière nettement moins glaçante, et ces passages brefs et modérés ont souvent été cités comme preuve du profond racisme du dictateur allemand.
Hochschild est un libéral racial engagé, qui a consacré le début de sa carrière à soutenir les Noirs dans le Sud des États-Unis et subissant l’Apartheid, ce qui explique facilement pourquoi il a élevé Morel à une stature héroïque pour sa campagne internationale visant à mettre fin aux atrocités européennes contre les Africains au Congo Belge. Mais cela explique tout aussi bien pourquoi il exclut toute mention de sa dernière croisade humanitaire exemplaire, cette fois-ci centrée sur des atrocités commises par des Africains contre des Européens, qui était contemporaine à des projets politiques semblables ourdis par le KKK aux États-Unis et qui peuvent même avoir joué un rôle pour inspirer Adolf Hitler.
Ron Unz
Lectures affiliées :
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Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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