Ce qui m’a vraiment frappé cette année, c’est le manque d’analyses correctes dans les médias grand public et dans le monde politique concernant la guerre en Ukraine. Rien ou presque n’est basé sur des faits. Plus de 90 % de la production publiée est de la propagande.
Le plan « occidental » était d’attirer la Russie en Ukraine pour ensuite « l’achever » à coup de sanctions économiques. Comme l’a dit Biden quand il les a annoncées :
Nous avons délibérément conçu ces sanctions pour maximiser l’impact à long terme sur la Russie et minimiser l’impact sur les États-Unis et nos alliés.
Et je veux être clair : les États-Unis ne font pas cela seuls. Depuis des mois, nous avons mis en place une coalition de partenaires représentant bien plus de la moitié de l’économie mondiale.
Vingt-sept membres de l’Union européenne, dont la France, l’Allemagne, l’Italie – ainsi que le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et bien d’autres – pour amplifier l’impact conjoint de notre réponse.
Je viens de parler avec les dirigeants du G7 ce matin, et nous sommes entièrement et totalement d’accord. Nous allons limiter la capacité de la Russie à faire des affaires en dollars, en euros, en livres et en yens, l’empêcher de faire partie de l’économie mondiale. Nous allons limiter sa capacité à le faire. Nous allons limiter la capacité de financer et de développer la Rus…l’armée russe.
Nous allons imposer des restrictions majeures – et nous allons diminuer leur capacité à être compétitifs dans l’économie de haute technologie du 21ème siècle.
Nous avons déjà vu l’impact de nos actions sur la monnaie russe, le rouble, qui a atteint en début de journée son niveau le plus faible jamais – jamais atteint dans l’histoire. Et le marché boursier russe a plongé aujourd’hui. Le taux d’emprunt du gouvernement russe a grimpé de plus de 15 %.
Les hypothèses sous-jacentes à ces sanctions concernant l’état de l’économie russe étaient complètement fausses. La Russie n’a plus une économie de bas niveau. Oui, son PIB en dollars est bien inférieur à celui de la plupart des États européens. Mais son PIB par habitant, mesuré au pouvoir d’achat du rouble, est assez élevé. Le PIB de la Russie comprend également un pourcentage beaucoup plus élevé de production réelle et un pourcentage plus faible de « services » douteux. Son secteur des soins de santé représente 5,6 % de son PIB. Aux États-Unis, il est de 16,7 %, sans pour autant créer un bien meilleur résultat. Si l’on examine la production russe d’acier, de béton et d’électricité par habitant, des choses de valeur réelle, on constate que la Russie est aussi développée que d’autres grands pays européens à revenu intermédiaire.
Les sanctions ont non seulement échoué mais se sont retournées contre ceux qui les ont émises. Il suffit de regarder la crise énergétique en Europe. En raison des sanctions émises en 2014, lorsque la Russie a réintégré la Crimée, elle savait ce qui allait se passer et s’y était préparée. En quelques semaines, le rouble est monté si haut que la banque centrale est intervenue pour le faire baisser. Les entreprises « occidentales » en Russie ont rapidement été rachetées ou remplacées par des entreprises russes. Le commerce avec la Chine et d’autres pays non occidentaux s’est considérablement développé. La baisse totale du PIB de la Russie en 2022 sera de 2,5 à 2,9 %, et non de pas de 20 % comme l’avaient prévu certains « experts » occidentaux. Certains des pays européens à l’origine des sanctions connaîtront un déclin beaucoup plus marqué.
La Russie était et reste riche. Elle produit beaucoup de nourriture et possède toutes les ressources naturelles dont on pourrait rêver. Son économie est en grande partie autosuffisante. Sa population est bien éduquée. Elle a les moyens militaires de se défendre. Je ne comprends pas comment on a pu penser que des sanctions pouvaient mettre la Russie à genoux [ alors qu’elles avaient échoué à mettre Cuba, le Venezuela, l’Iran et même la Corée du Nord à genoux, NdT].
Puis vint la guerre. En avril, la tentative de faire la paix avec Kiev a échoué après que les États-Unis aient empêché Kiev de signer un accord. En conséquence, les forces russes se sont retirées de Kiev. Elle n’avait jamais placé assez de troupes sur place pour conquérir la ville. (Il faut 1 soldat pour ~40 habitants pour occuper une ville. La Russie n’avait que la moitié de la force nécessaire près de Kiev). Les « experts » ont appelé cela une « défaite » alors qu’en réalité, la Russie avait adopté un plan différent qui nécessitait une disposition différente des forces. Elle a ensuite pris l’oblast de Louhansk à l’Ukraine et est passée à des tactiques défensives. Le nouvel objectif était de saigner les forces ukrainiennes tout en subissant le moins possible de pertes russes.
Ensuite, les Ukrainiens ont tenté de prendre Kherson. Cette tentative a échoué. Une autre dans la région de Kharkiv a mieux réussi, car la Russie avait déjà retiré la plupart de ses forces de cette zone. Mais prenez une carte et regardez la région de Kharkiv que la Russie a « perdue« . Elle est peu industrialisée et ne possède pas de ressources naturelles importantes. Quelle est sa valeur réelle pour la Russie ? Le corridor terrestre sud de la Russie à la Crimée était bien plus important et c’est là que les troupes sont allées.
La région de Kherson, à l’ouest du Dniepr, s’est avérée difficile à approvisionner. Le nouveau commandement militaire souhaitait que les 30 000 soldats qui la tenaient se déplacent ailleurs. Les troupes russes se sont déplacées vers la rive est du Dniepr sans aucune perte. Le commandement militaire ukrainien dans cette zone reconnaît qu’il a échoué dans sa mission principale :
[Le général de division Andriy Kovalchuk, chargé de diriger la contre-offensive de Kherson, avait pour objectif de couper en deux la zone occupée par les Russes sur la rive ouest du Dniepr et de piéger les forces russes. « Ma tâche n’était pas seulement de libérer le territoire« , a-t-il déclaré. « Ma tâche, dès le début, était de bloquer et détruire cette force. C’est-à-dire de ne pas les laisser partir ou survivre. »
La première tâche a été remplie par le successeur de Kovalchuk seulement après que les forces russes se soient retirées de la zone. La deuxième partie de la mission n’a pas été remplie, malgré des pertes ukrainiennes élevées.
Comme pour le retrait des forces russes de Kiev, les « experts » ont affirmé que les mouvements à l’est de Kharkiv et dans la région de Kherson étaient des victoires ukrainiennes. D’un point de vue militaire, aucune de ces deux opérations ne peut être qualifiée de telle.
Maintenant, les « experts » de la BBC prédisent la tournure que pourrait prendre le conflit en 2023. Leurs analyses de la situation réelle sont si mauvaises qu’on se demande sur quelle désinformation elles sont basées.
Michael Clarke, directeur associé du Strategic Studies Institute, Exeter, Royaume-Uni.
…
Les deux parties ont besoin d’une pause, mais les Ukrainiens sont mieux équipés et motivés pour continuer, et nous pouvons nous attendre à ce qu’ils maintiennent la pression, au moins dans le Donbass.
Autour de Kreminna et de Svatove, ils sont très proches d’une percée importante qui rejetterait les forces russes à 50 kms en arrière vers la prochaine ligne de défense naturelle, près de l’endroit où leur invasion a effectivement commencé en février.
…
Andrei Piontkovsky, scientifique et analyste basé à Washington DC
L’Ukraine gagnera en rétablissant complètement son intégrité territoriale au plus tard au printemps 2023. Deux facteurs permettent de tirer cette conclusion.
L’un est la motivation, la détermination et le courage de l’armée ukrainienne et de la nation ukrainienne dans son ensemble, ce qui est sans précédent dans l’histoire de la guerre moderne.
L’autre est le fait que, après des années d’apaisement à l’égard d’un dictateur russe, l’Occident a enfin pris conscience de l’ampleur du défi historique auquel il est confronté.
…
Barbara Zanchetta, Département des études sur la guerre, King’s College London
…
Les coûts de la guerre, tant matériels qu’humains, pourraient briser le niveau d’engagement de l’élite politique russe. La solution viendra de l’intérieur de la Russie.
Les guerres passées dans lesquelles l’erreur de calcul était un élément crucial, comme le Vietnam pour les États-Unis, ou l’Afghanistan pour l’Union soviétique, ne se sont terminées que de cette manière. Les conditions politiques intérieures ont changé dans le pays qui avait fait cette erreur de calcul, faisant de la sortie – « honorable » ou non – la seule option viable.
…
Malheureusement, il s’agira toujours d’une bataille politique, économique et militaire de longue haleine. Et à la fin de 2023, elle sera très probablement toujours en cours.
…
Ben Hodges, ancien général commandant de l’armée américaine en Europe
…
En janvier, l’Ukraine pourrait être en mesure d’entamer la phase finale de la campagne, à savoir la libération de la Crimée.
L’histoire nous apprend que la guerre est un test de volonté et un test de logistique. Lorsque je vois la détermination du peuple et des soldats ukrainiens, et l’amélioration rapide de la situation logistique de l’Ukraine, je ne vois pas d’autre issue qu’une défaite russe.
…
David Gendelman, expert militaire basé en Israël
…
L’occupation des régions de Louhansk et de Donetsk va se poursuivre, mais une percée russe majeure, comme une poussée du sud vers Pavlograd pour encercler les forces ukrainiennes dans le Donbass, est moins probable.
Il est plus probable que les tactiques actuelles se poursuivent – un lent broyage des forces ukrainiennes dans des directions étroites et une lente progression, comme dans les régions de Bakhmut et d’Avdiivka, avec éventuellement la même tactique dans la région de Svatove-Kreminna.
Je peux dire en toute confiance que, à l’exception d’une faible probabilité que la toute dernière prédiction se réalise pendant un certain temps, toutes les autres conclusions ci-dessus sont des absurdités délirantes. Elles ne sont pas fondées sur des faits et des chiffres mais sur des vœux pieux. Elles ne sont en elles-mêmes que de la propagande. (Regardez Webb Union et les légendes de l’histoire s’en moquer).
L’illusion sur l’état militaire de la guerre est encore pire lorsqu’il s’agit de l’aspect politique.
Poutine, qui n’a pas l’habitude de perdre, est de plus en plus isolé à mesure que la guerre faiblit.
Un nouveau fossé se creuse entre le président et une grande partie de l’élite du pays.
Le titre ci-dessus est tiré du Washington Post d’aujourd’hui. L’hypothèse de base sans fondement de l’article est que la Russie échoue dans sa guerre. Ses conclusions reposent sur un « expert » de Carnegie et des sources anonymes en Russie. Elles sont contredites par la réalité de la guerre et les résultats des sondages actuels en Russie qui montrent un fort soutien à Poutine et au gouvernement. Elle ignore également le fait que la Russie entretient de bonnes relations avec la majeure partie du reste du monde et qu’elle a également de puissants alliés :
Le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping ont promis vendredi d’approfondir leur coopération bilatérale sur fond d’une guerre qui dure depuis dix mois en Ukraine, qui a essuyé une nouvelle nuit d’attaques de drones et de roquettes après un bombardement massif de missiles.
…
Poutine, lors de son appel avec Xi, a noté que la coopération militaire avait une « place spéciale » dans les relations entre leurs pays. Il a déclaré que le Kremlin visait à « renforcer la coopération entre les forces armées de la Russie et de la Chine. »
Xi, à son tour, a déclaré par l’intermédiaire d’un traducteur que « face à une situation internationale difficile et loin d’être simple« , Pékin était prêt « à accroître la coopération stratégique avec la Russie, à s’offrir mutuellement des possibilités de développement, à être des partenaires mondiaux au profit des peuples de nos pays et dans l’intérêt de la stabilité dans le monde. »
Les liens entre Moscou et Pékin se sont renforcés depuis que Poutine a envoyé ses troupes en Ukraine le 24 février. La semaine dernière encore, Moscou et Pékin organisaient des exercices navals conjoints en mer de Chine orientale.
La Chine, qui a promis une amitié « sans limites » avec la Russie, a refusé catégoriquement de critiquer les actions de Moscou en Ukraine, accusant les États-Unis et l’OTAN d’avoir provoqué le Kremlin, et critiquant les sanctions punitives imposées à la Russie.
La Russie, quant à elle, a fortement soutenu la Chine dans le cadre des tensions avec les États-Unis au sujet de Taïwan.
L’expression « de plus en plus isolé » semble avoir une signification différente pour le rédacteur du Washington Post et pour le reste du monde.
L’illusion et le manque de bonnes analyses sur les questions militaires et politiques s’accompagnent d’une illusion sur l’avenir économique de l' »Occident« .
Voici un peu de réalité :
Zoltan Pozsar, collaborateur du Crédit Suisse, a poursuivi sa série sur Bretton Woods III, où les matières premières dicteront le nouvel ordre mondial. Pour sa dernière dépêche de l’année, il a décrit comment le monde est en train de basculer vers un ordre multipolaire « construit non pas par les chefs d’État du G7 mais par le ‘G7 de l’Est’ (les chefs d’État des BRICS)« .
…
« J’ai l’impression que le marché commence à réaliser que le monde passe d’unipolaire à multipolaire sur le plan politique, mais le marché n’a pas encore compris que dans l’ordre mondial multipolaire émergent, les bases des devises seront plus petites, les bases des matières premières seront plus grandes et les taux d’inflation en Occident seront plus élevés« , explique l’auteur.
Je pourrais continuer à parler de ces questions pendant un certain temps.
Cette année, j’ai eu le sentiment que les questions politiques, économiques et militaires abordées dans les médias grand public se sont éloignées de la réalité objective plus qu’elles ne l’ont fait à aucun autre moment de ma vie. Parfois, je me regarde dans un miroir et je me dis : « Peut-être que ce n’est que toi« . Mais ce n’est pas seulement moi. Bien d’autres analystes sont arrivés à la même conclusion. Mais, comme moi, aucun d’entre eux n’est cité dans les grands médias et aucun n’est payé, au sens traditionnel du terme, pour publier sur ces questions.
Ce qui, en y réfléchissant, pourrait bien être à l’origine de cette histoire.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.