Les États-Unis et l’Europe ont
misé leur avenir – « notre démocratie » – en insistant pour que le monde
considère la « voie occidentale » comme la seule vision valable pour
son avenir.
L’« Israël » que vous pensiez connaître n’existe plus : les radicaux mizrahi (Juifs originaires des pays arabes) ont chassé l’élite ashkénaze (euro-libérale) du pouvoir lors des dernières élections en « Israël ». Une longue continuité linéaire de la politique israélienne vient d’être mise à mal. Ce résultat représente un « retournement de situation » complet, une rupture avec la diaspora américaine (principalement « réformée ») et avec l’ancienne classe dirigeante laïque, kibboutznik et herzlienne.
Les colons font désormais effectivement la loi – et ils n’ont que faire de ces derniers. Un ancien haut diplomate israélien l’a décrit ainsi :
Israël n’est pas un pays d’extrême-droite/religieux. Mais il aura bientôt un gouvernement d’extrême-droite/religieux.
Israël n’est pas un pays ethnocrate juif suprémaciste. Mais il aura bientôt un gouvernement ethnocentrique rempli de suprémacistes juifs racistes.
Israël n’est pas un pays fasciste, mais il aura bientôt un gouvernement qui sent beaucoup le fascisme.
Au-delà des analyses sophistiquées et des chiffres, il y a une réalité incontournable : 50% des Israéliens ont voté pour une coalition quasi-fasciste, ultra-religieuse et tolérant la corruption.
Comment se fait-il qu’une sous-classe aigrie et pleine de ressentiment – qui a contribué à peupler les nouvelles colonies – un groupe raillé (les Mizrahim) qui a servi principalement à faire tourner les rouages de la structure nationale – ait pris le pouvoir lors d’un vote décisif ?
La première raison est que, comme l’a écrit le commentateur israélien Gideon Levy avant les récentes élections, « En politique israélienne, ce n’est pas la droite contre la gauche mais les Ashkénazes contre les Mizrahim » :
Pas besoin d’être Colombo pour découvrir que le camp libéral, éclairé, du moins à ses propres yeux, riche et progressiste – en bref, le centre-gauche – est en grande partie ashkénaze. Il n’est pas nécessaire d’être Einstein pour conclure que la source de motivation de l’autre camp est avant tout constituée par des générations de sentiment de discrimination et de frustration, en plus d’une religiosité accrue…
Les colons et leurs partisans, la plus forte puissance de droite en Israël, gâtent un peu les rangs ; la direction et la majorité du camp sont ashkénazes. Cependant, ils sont maintenant défiés par Itamar Ben-Gvir, dont les origines Mizrachi contribuent largement à son attractivité, même s’il le nie.
Une autre explication réside dans le changement stratégique de Netanyahou, qui s’éloigne des 75% de Juifs américains qui votent Démocrate pour la présidence et le Congrès, pour s’allier avec les chrétiens évangéliques américains conservateurs (au lieu de la majorité des Juifs américains). En clair : son « Israël » (« rouge ») n’aime pas les 75% de Juifs américains (bleus).
C’est une question de chiffres, ainsi que de schisme culturel rouge/bleu croissant. Il y a environ 6 millions de Juifs aux États-Unis. À l’époque du « changement » de Netanyahou, environ 25% des Américains s’identifiaient comme évangéliques ; aujourd’hui, ce chiffre est plus bas, à 14 %. Pourtant, cela représente toujours 49 millions d’Américains.
La troisième explication est que Netanyahou ne veut pas aller en prison. Et sa meilleure chance d’échapper à la prison réside dans une coalition de la droite religieuse et des suprémacistes juifs. Ils se sont engagés à le garder à l’écart de la « prison » – à un prix.
Alors, que suggère ce point d’inflexion ? Eh bien… que les choses seront différentes. Le partenaire de coalition de Netanyahou, le sionisme religieux, est un parti dont les dirigeants ont déclaré :
Seuls les Juifs possèdent la terre ; les Palestiniens devraient être encouragés à émigrer ; ceux qui s’opposent à la suprématie juive devraient être déchus de leur citoyenneté et expulsés ; les femmes juives et arabes doivent être séparées dans les maternités ; l’homosexualité est une maladie ; et les manifestations de fierté sont des « défilés de bêtes et d’animaux ».
Imaginez comment cela va se passer au sein de l’UE ! Surtout après le fracas de la Coupe du monde au Qatar !
En bref : c’est la « guerre » contre les Palestiniens. La menace iranienne est donc reléguée au second plan, même si elle reste le premier recours de Netanyahou, au cas où une crise de diversion serait nécessaire pour détourner l’attention de la « guerre civile » interne israélienne.
Et, prévient Gideon Levy :
[Ce] fossé ne se refermera pas avec le temps ; au contraire, il s’aggravera. Non, il ne s’agit pas d’incitation, mais de la réalité de la vie. Contrairement aux contes de fées selon lesquels il n’y a pas d’écarts socio-économiques et pas de discrimination, selon lesquels l’armée est un melting pot et les mariages sont mixtes, l’élection de 2022 [a été] en fin de compte, Ashkénaze contre Mizrahi, ou l’inverse.
Cette composition de la coalition israélienne est aussi un « doigt d’honneur » à l’équipe Biden. Dans le passé, le « raisonnement bleu » a toujours été que les États-Unis et « Israël » sont unis par leur engagement en faveur d’une société pluraliste, ouverte, tolérante et diverse et par des « valeurs communes » . Ils chérissent l’État de droit, la séparation des pouvoirs, l’indépendance judiciaire, les droits des minorités, les droits des femmes, les droits des LGBTQ, les freins et les contrepoids, etc.
Eh bien, même si ce récit n’est pas exactement vrai pour les États-Unis aujourd’hui, c’est néanmoins le mantra qui a conféré à Israël un pouvoir inégalé au Capitole. La question est de savoir si cela peut et va être maintenu ?
Et cette dernière question est également le point où la politique israélienne s’inscrit dans une géopolitique en pleine mutation. En effet, l’Amérique et l’Europe (comme « Israël ») sont divisées de manière toxique, s’accrochant à des visions contradictoires de l’avenir, et à un récit déterminant qui s’évapore : celui de l’ordre « libéral » mondial.
Les États-Unis et l’Europe ont misé leur avenir – « notre démocratie » – en insistant pour que le monde considère la « voie occidentale » comme la seule vision valable pour son avenir également. Faire plier la Russie sur les « règles » est alors devenu la condition sine qua non pour maintenir intacte cette contingence vitale.
Cet objectif est assez clair – lorsque la classe politique occidentale admet que la défaite de l’Occident en Ukraine déclencherait la fin de l’ordre libéral.
Les États-Unis, avec l’Europe, qui tend impatiemment la laisse pour se joindre à eux, ont préparé le début de ce conflit en Ukraine en constituant une énorme armée entraînée et équipée par l’OTAN, prête à faire exploser la mine du Donbass dans l’arrière-cour du président Poutine au moment opportun. Poutine apprendrait ainsi à se conformer. Et le reste du monde comprendrait également que défier la primauté occidentale ne paie pas.
Cependant, dans ce qui sera probablement considéré rétrospectivement comme l’échec le plus flagrant de l’ère actuelle en matière de renseignement stratégique, les services de renseignement ont colporté aux États occidentaux l’évaluation arrogante selon laquelle la Russie était un État arriéré et défaillant. Avec une telle affirmation erronée, les services ont créé en Europe la conviction que des sanctions massives à l’encontre de la Russie et des opérations psychologiques effrénées provoqueraient des troubles économiques, suivis d’un bouleversement politique au Kremlin (au profit de l’Occident).
Le contrecoup de cette erreur de jugement spectaculaire se répercute aujourd’hui bruyamment dans le monde entier. Loin d’avoir cimenté l’ordre libéral, la guerre contre la Russie a éloigné la majorité de la planète du camp occidental. La ruée vers les BRICS est en marche et le récit occidental est irrémédiablement percé. Le « nous » militaire de l’OTAN est remis en question. Et l’Europe se débat désespérément.
Israël est devenu une « île » dans un monde en pleine transition. Netanyahou peut supposer que la position de sa coalition sur les LBGTQ et les « parades homosexuelles bestiales » peut trouver grâce aux yeux de Moscou. Si tel est le cas, il aura tort. Les mœurs sociales sont peut-être assez traditionnelles en Russie, mais elles ne permettent PAS de voir un peuple supprimé et piétiné par un autre : lisez les leçons du Donbass correctement, et sans préjugés.
Alastair Crooke
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