18 novembre 2022

Souveraineté : un concept à préciser

Longtemps inexistant dans le débat public, le concept de « souveraineté » a débarqué en force depuis une petite dizaine d’années. Les confinements d’une part, la guerre en Ukraine d’autre part ont montré la nécessité d’une véritable souveraineté, comme garantie de l’indépendance et donc de la puissance des nations. Mais comme toujours, un mot trop employé finit par perdre son sens, voire à aboutir à l’inverse de ce qui était recherché.

Une souveraineté socialisante

Le danger du terme est de défendre une souveraineté qui aboutirait à un socialisme exacerbé. Retirer des pouvoirs à Bruxelles pour renforcer ceux de Paris n’améliorerait pas nécessairement la souveraineté de la France si cela devait aboutir à davantage d’administration et d’étatisme national. De même, l’autarcie et le made in France plutôt que le made in China n’est pas une réponse au problème, d’autant qu’il est impossible de se couper du monde et de tout faire entre les murs de l’Hexagone.

De la personne à la subsidiarité

Une bonne souveraineté est d’abord personnaliste, c’est-à-dire qu’elle repose sur les libertés des personnes. La souveraineté est un moyen, non une fin, en vue d’obtenir un bien plus grand, c’est-à-dire le développement tant matériel qu’immatériel des personnes. Une souveraineté qui irait à l’encontre des intérêts et des biens des habitants d’un pays serait absurde. N’attendons donc pas la venue d’un sauveur politique ou d’un homme providentiel. Chaque personne peut être souveraine, par la culture, l’histoire, l’éducation, l’usage des libertés fondamentales qui sont en notre possession. Une grande partie des libertés périssent non par restriction, mais par non-usage de celles-ci. Les confinements en furent un bon exemple : il était tout à fait possible, et légal, de sortir de chez soi, pour aller travailler et faire des courses, en remplissant les attestations nécessaires. Certains, pour diverses raisons, n’ont pas fait usage de cette liberté de circulation qui leur était octroyée.

Dans son célèbre ouvrage De la servitude volontaire, La Boétie a très bien démontré comment la tyrannie s’installe toujours par adhésion des personnes au sein d’un État. Un fait confirmé par toutes les expériences dictatoriales et totalitaires du XXe siècle.

Le deuxième concept de la souveraineté est celui de la subsidiarité ; une notion essentielle en philosophie politique, mais aujourd’hui oubliée. La subsidiarité, c’est permettre aux échelons inférieurs de faire et de n’accorder du pouvoir à l’échelon supérieur que si l’inférieur ne peut pas le faire. Une commune, regroupée en syndicats, peut très bien gérer la question du ramassage des ordures ménagères. Nul besoin donc que l’État s’occupe de cela. Les familles peuvent choisir l’école de leurs enfants voire, dans certains cas, se regrouper pour créer des écoles. En revanche, pour ce qui concerne la protection du pays, via l’armée, l’échelon national est le plus pertinent. La décentralisation n’est ainsi pas un gage de souveraineté ; c’est même parfois l’inverse. En transférant des pouvoirs étatiques aux régions ou aux départements, l’État a créé des féodalités locales, plus enclines à pratiquer le clientélisme électoral et l’achat de voix qu’à mener une politique de défense commune de ses habitants. Tout est donc question d’échelle et de sujets.

Troisième élément nécessaire à une bonne souveraineté : la concurrence. Un pays ne peut pas tout produire chez lui. Que la France n’ait ni pétrole, ni gaz, ni lithium, ni autres matériaux essentiels est un fait géologique contre lequel il n’est pas possible de se lever. Nous sommes nécessairement dépendants des autres, au même titre que les autres sont dépendants de nous. Le danger ne résulte pas dans l’existence de cette dépendance, mais dans le fait qu’elle soit unique. Avoir un seul fournisseur de gaz, par exemple la Russie, est particulièrement dangereux, surtout quand survint une crise. Faire jouer la concurrence afin de disposer de plusieurs fournisseurs (de gaz, de matières premières) est donc essentiel afin de réduire au maximum la dépendance. Il n’y a évidemment nulle situation parfaite, l’objectif n’étant pas d’atteindre 0 risque, mais de tendre vers 0.

Quatrième élément, l’indépendance financière. Disposer d’une monnaie certes, mais aussi d’un pays aussi peu endetté que possible. Il est d’ailleurs curieux que beaucoup de personnes se définissant comme souverainistes omettent la question de la dette qui est pourtant la servitude des peuples. L’une des premières actions d’une indépendance nationale est de se libérer de l’étranger en réduisant sa dette, ce que fit très bien de Gaulle lors de son retour au pouvoir en 1958.

Cinquième élément, participer à des alliances qui ne soient pas des servitudes. La souveraineté n’est pas une individualisation des pays : nul ne peut vivre seul et coupé des autres. Il est normal et logique que les États participent à des alliances, qu’elles soient militaires ou économiques. Mais celles-ci doivent être des alliances, non des servitudes. Ou pour employer un langage économique, une mutuelle non une sécurité sociale. Que des pays mutualisent leur force militaire, s’entendent pour définir des règles commerciales communes, créent des normes internationales afin d’ordonner les fonctionnements entre les pays sont choses tout à fait normales. Mais cela doit rester dans un cadre de mutualisation, même si, dans les faits, très souvent, un pays plus puissant que les autres prend le pas et impose son ordre.

Ces cinq éléments pourraient être complétés par d’autres. Ils se veulent des référents à développer non des propositions définitives. Mais ils permettent d’éviter un contresens sur la souveraineté qui n’est ni développement tout puissant de l’État ni atomisation des nations vivant fermées et recluses. La souveraineté ne doit pas être un cache-nez à socialisme qui conduise à l’étouffement des personnes, de leurs libertés et, in fine, de leur développement.

Jean-Baptiste Noé

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