Les proverbes boursiers sont souvent à la fois assez justes et plutôt amusants.
L’un d’entre eux s’applique particulièrement bien à la situation actuelle : « les marchés prennent l’escalier pour monter et l’ascenseur pour descendre »
Nous venons d’en avoir un merveilleux exemple.
Que le lecteur veuille bien considérer le graphique ci-dessous :
De 2014 à la fin de 2021, les taux d’intérêts sur le 10 ans britannique (les Gilts) passent de 3 pour cent en 2014 à 0.2 pour cent pendant la panique sur le Covid.
Du coup, celui qui avait investi 100 livres dans une obligation à 10 ans à duration constante voyait son capital passer de 100 à 134 en huit ans.
Et en 8 mois, notre investisseur se trouve à moins de 100 (97.8) , n’ayant eu aucun moyen pour sortir « à temps ».
Nous venons en fait d’avoir le marché baissier (Bear) le plus sanglant depuis 1971 sur les marchés obligataires étatiques quasiment dans tous les pays développés à la fois.
Le lecteur attentif de l’IDL reconnaîtra que je disais au moins depuis trois ans de ne pas avoir une seule obligation longue ni aux USA, ni en France, ni en Allemagne, ni en Grande Bretagne.
J’ai peut-être été pessimiste un peu trop tôt , mais je ne regrette rien, tant la baisse a été lourde, brutale et n’est peut-être pas finie.
Ce qui, à ce point du raisonnement, amène à faire quelques remarques.
- De 2014 à 2022, les taux longs sur les obligations de tous les pays développés avaient vu leur cours constamment manipulés par les banques centrales locales, au point que les déficits budgétaires insensés créés dans cette période avaient été financés complètement par lesdites banques centrales faisant marcher la planche à billets en sur régime.
- Ce qui veut dire que les taux d’intérêts payés sur ces obligations n’étaient ‘’ le prix du temps » déterminé dans un marché libre entre acheteurs et vendeurs, mais un faux prix imposé par les banques centrales au profit des états locaux, ce qui revenait simplement à une imposition à 100 pour 100 de l’épargne si les taux étaient à zéro.
- Acheter des obligations à ce faux prix, c’était être sûr que dès que l’acheteur « banque centrale » disparaitrait, les marchés reviendraient tres rapidement vers le vrai prix, ce qui impliquait une baisse en capital considérable et très rapide, et c’est exactement ce qui s’est passé.
Donc ce qui s’est passé en Grande Bretagne la semaine dernière est parfaitement normal et tout va rentrer dans l’ordre tres vite ?
Je n’en suis pas si sûr, et voici pourquoi .
- Imaginez que vous soyez le gérant d’un fonds de pension britannique qui doit servir des pensions indexées sur l’indice des prix de détail en Grande Bretagne.
- Imaginez qui plus est que les réglementations vous forcent à avoir 40 pour cent au moins d’obligations de l’Etat Britannique.
- Comment faites vous pour respecter l’obligation de servir une pension indexée sur l’inflation si les taux sur le 10 ans sont à zéro et l’inflation à 2 ou à 3 pour cent ?
Réponse, vous ne pouvez pas !
Et c’est à ce point qu’arrivent vos vrais amis, les banquiers d’affaires.
Que vous proposent-ils ?
Quelque chose de fort simple : grâce à leurs profonde technicité et à leur connaissance des marchés, ils ont bâti des produits structurés « qui vous permettront de gagner deux ou trois pour cent de plus, sans augmenter de façon significative le risque de votre portefeuille. Et le pauvre gérant de se précipiter sur ces produits extraordinairement compliquées auxquels personne, et surtout pas le gérant ou son conseil d’administration ne comprend quoi que ce soit.
Et je vais faire une révélation à tous les lecteurs.
Les grandes crises financières détruisent les marchés des actions, mais elles y trouvent rarement leur origine.
En réalité, toutes les grandes crises financières que j’ai pu subir ou étudier dans ma carrière commencent par une recherche effrénée d’une rentabilité plus forte sur le marché obligataire, tres souvent parce que la banque centrale a mis les taux trop bas.
Revenons à la grande crise de 2008 2009.
Monsieur Bernanke maintient les taux d’intérêts trop bas pour « stimuler la croissance » ce qui n’a jamais marché dans l’histoire.
Les taux d’intérêts sur les obligations AAA ‘c’est-à-dire de grande qualité ou sur les obligations d’Etat sont trop bas pour les compagnies d’assurance et les caisses de retraites.
Qu’à cela ne tienne. Wall Street se met au travail et , à partir d’obligations pourries, bâtit des pyramides d’instruments dont la partie supérieure recevra la note AAA. Comment font-ils ? Ils prennent plusieurs obligations pourries et disent que les premiers 10 pour cent des paiements iront sur une nouvelle obligation, qui du coup est notée AAA et peut être achetée par les compagnies d’assurance.
Bien entendu, quand la récession arrive, les débiteurs sous-jacents ne payent même pas 10 pour cent et font défaut sur le nouvel instrument et nous avons une crise financière gigantesque dont nous n’avons pas fini de payer la note.
Pour ceux que cela intéresse, j’ai décrit ces manipulations dans mon livre « Liberal mais non coup coupable » que vous pouvez commander sur le site.
Que s’est il passé cette fois-ci en Grande Bretagne ?
Je simplifie.
Les banquiers d’affaires sont venus voir les fonds de retraite et leur ont dit « les taux d’intérêts sont à zéro. Vendez des options d’achat sur les obligations à 10 ans qui vous forcerait à acheter les obligations si les taux allaient à 3 pour cent par exemple, et nous , nous achèterions ces options. Il n’y a que peu de risque pour vous car les taux vont mettre un temps fou à arriver à 3 pour cent, et vous aurez tout le temps pour dénouer vos positions »
Ce qui fut fait.
Hélas, un nouveau premier ministre (Liz Truss) est nommé en Grande Bretagne avec un nouveau ministre des Finances et les deux décident que les taux d’intérêts doivent retrouver des niveaux de marché et du coup le 10 ans passe de 2 pour cent à 4 pour cent en quelques jours.
Les fonds de pension sont obligés d’acheter les obligations à 3 pourcent, et ils n’ont pas le moindre sou.
Ils vendent donc ce qu’ils peuvent vendre, actions, obligations etc… dont les cours s’écroulent et les marchés entrent dans un cycle infernal où la baisse devient inarrêtable tandis que le taux de change s’écroule.
Panique à la banque d’Angleterre qui ne savait pas que ces positions extraordinairement spéculatives existaient .
Mais où étaient les autorités de contrôle, les réviseurs comptables, les agences de notation ?
Aux abonnés absents, je suppose
Et du coup, la banque d’Angleterre doit acheter en catastrophe 70 milliards d’obligations du gouvernement britannique, faute de quoi, le Crash était inévitable.
Mais racheter ces 70 milliards, encore une fois, c’est faire marcher la planche à billets, ce qui risque de faire rebondir l’inflation plus haut et plus vite.
Nous sommes ramenés au problème précédent.
Résumons-nous, le scénario de cycle en cycle est toujours le même :
- La banque centrale met les taux beaucoup trop bas.
- L’épargne longue n’est plus rémunérée
- Les gérants de cette épargne longue se voient proposés des produits miracles par les banques d’affaires qui cherchent à les aider
- Ces produits explosent et les systèmes de retraite et d’assurances sont au bord de la faillite.
- Les banquiers d’affaires s’enrichissent.
- La banque centrale intervient, et fait baisser les taux et nous avons encore une fois un faux prix de marché sur les taux d’intérêts, ce qui permet aux banques d’affaires de proposer de nouveaux produits miracles aux pauvres gérants , qui d’ailleurs ont été remplacés pour s’être laissés avoir.
Et en fin de parcours, le gérant des actifs longs embauche le banquier central à la fin du mandat de ce dernier, pour lui assurer une retraite paisible
- Ainsi Bernanke sauva le plus grand gérant américain en 2009 de l’époque, en lui rachetant toutes ses obligations pourries, pour se retrouver au conseil de ce même gérant quand son mandat arriva à échéance
- Ainsi, monsieur Draghi fut nommé au conseil de l’une des plus prestigieuses banques d’affaires, après avoir « sauvé » l’euro en 2012.
Pour retrouver nos démocraties, il faut enlever le contrôle des taux d’intérêts et des taux de change aux banquiers centraux, et peut-être faire un audit des opérations des banques centrales dans les périodes ou nous avons eu des crises financières.
Les résultats seraient intéressants.
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