La victoire de Giorgia Meloni soulève de nombreuses questions en France, où ses détracteurs n'ont pas tardé soit à la traiter de "fasciste", soit d'opposition contrôlée. De fait, la rumeur d'un "pacte" entre Mario Draghi le mondialiste et Meloni la "populiste" met les conservateurs français en effervescence. La victoire de Fratelli d'Italia interroge en réalité la notion d'Europe et le rapport historique des conservateurs à la Russie et à la mondialisation. De mon point de vue, loin d'être une surprise ou une ruse, le ralliement de Meloni au multilatéralisme conduit par l'Occident n'est rien d'autre qu'un coming-out conforme à l'histoire de son mouvement... et le premier aveu assumé d'un ralliement de la caste à ce que l'on pourrait appeler un fascisme gris.
Conformément à mon analyse publiée dimanche sur la chaîne YouTube, on parle d’un « Pacte Meloni-Draghi » en une du journal La Repubblica !
Eh oui, sans promesse de Frexit et de sortie de l’OTAN, fausse opposition !
On espèrerait une bonne surprise, mais ça sent mauvais ! ⤵️ pic.twitter.com/77mFfz4Gtw
— Florian Philippot (@f_philippot) September 28, 2022
Conformément à mon analyse publiée dimanche sur la chaîne YouTube, on parle d’un « Pacte Meloni-Draghi » en une du journal La Repubblica !
Eh oui, sans promesse de Frexit et de sortie de l’OTAN, fausse opposition !
On espèrerait une bonne surprise, mais ça sent mauvais ! ⤵️ pic.twitter.com/77mFfz4Gtw
La victoire de Giorgia Meloni n’en a pas fini de faire couler de l’encre en France, où chacun s’interroge sur sa stratégie de pouvoir. Certains, comme Florian Philippot, ont parlé d’opposition contrôlée pour expliquer son ralliement à l’engagement de l’Italie au sein de l’Union Européenne et contre la Russie.
Hier, Edouard Husson posait l’hypothèse qu’il existe aujourd’hui deux mouvements conservateurs : l’un qui, mutatis mutandis, se retrouve dans la politique menée par Poutine en Russie, l’autre qui soutient Zelenski face à la Russie.
Je voudrais pour ma part proposer une lecture alternative aux interprétations courantes, en reprenant les historiques des idées en jeu et en les éclairant à la lumière des questions contemporaines.
Meloni, une opposition contrôlée ?
L’idée qu’être conservateur ou souverainiste implique forcément de ne pas soutenir Zelenski est tellement ancrée dans certains esprits qu’un Philippot ou un Asselineau ont spontanément parlé d’opposition contrôlée pour expliquer le programme de Meloni, et de son alliance étrange avec Forza Italia et avec la Lega.
Cette équation entre souverainisme et hostilité à l’Ukraine coule en réalité beaucoup moins de source qu’on ne le pense et c’est, de mon point de vue, une faute de méthode que de ne pas saisir qu’il existe un courant de nature conservatrice pour lequel la lutte contre la Russie est essentielle, et même systémique.
Au fond, dans ce programme de gouvernement, Meloni a sans ambiguïté assumé une certaine forme de conservatisme pour lequel l’Europe des nations est un projet qui se tient, et qui doit d’abord servir à endiguer les visées expansionnistes du monde slave. On retrouvera dans le programme de Meloni ci-dessus (son premier point de programme, d’ailleurs, signe qu’il n’y a guère de “mise sous contrôle” cachée, mais seulement un choix délibéré et clair) cette conviction très macroniste que l’Italie doit rester dans l’Union Européenne mais en renégociant le pacte de stabilité, et qu’elle doit soutenir l’Ukraine et l’OTAN contre la Russie.
L’Union Européenne, une idée d’essence fasciste ?
Certains conservateurs pensent que l’on ne peut être à la fois conservateur et “européiste”. L’erreur est peut-être de compter Giorgia Meloni dans le camp conservateur, car il me semble que son adhésion à l’Europe et à sa construction est assez naturelle au regard de l’histoire idéologique de son mouvement.
Bien entendu, beaucoup d’européistes aujourd’hui nous racontent une belle histoire, selon laquelle l’Europe serait l’oeuvre des Lumières contre l’obscurantisme nationaliste. La réalité est toute autre : l’idée d’une construction européenne fut clairement formulée par les forces de l’Axe pendant la Seconde Guerre Mondiale, comme un projet d’unification du continent autour de l’entité prussienne.
Si l’on en veut une preuve, on réécoutera attentivement le discours de janvier 1943 (au moment où l’armée allemande perdait la bataille de Stalingrad) où Léon Degrelle, figure de proue du nazisme belge, était venu expliquer l’unité politique de l’Europe face aux Slaves. Voilà une idée russophobe qui a retrouvé des accents d’actualité ! Défendre l’Europe “unie” face à la barbarie russe, l’idée est tout sauf nouvelle.
De ce point de vue, l’idée européenne telle qu’elle est pratiquée par Ursula von der Leyen s’inscrit dans une continuité évidente avec la conception européenne caractéristique du fascisme antislave, dont Fratelli d’Italia est l’héritière. On ne verra donc nulle trahison systémique dans l’allégeance à l’Europe que le programme de Giorgia Meloni affiche.
L’européisme et la haine du slave bolchevique
On doit à Zelenski et aux néo-nazis ukrainiens d’avoir ravivé avec une véritable acuité l’étrange confusion qui a régné dans les années 30, puis 40, entre la haine du Slave russe et la haine du bolchevique.
Depuis de nombreuses semaines, il est interdit d’évoquer le poids du néo-nazisme en Ukraine, et spécialement dans le régime Zelenski. Ce poids est par principe décrété anecdotique.
Pourtant, de longue date, ces mouvements ukrainiens expliquent leur continuité avec l’armée nazie. Je passe ici sur les nombreuses caricatures assimilant les Russes à des singes ou des orques, et je reproduirai simplement cette image tirée du fil Telegram du Bataillon Azov :
Que les Ukrainiens soient les héritiers nazis d’un Saint-Michel revisité, chargé de terrasser le dragon judéo-russo-bolchevique, voilà une idée qui appartient à la même famille que la pensée mussolinienne, et dont la construction européenne est la survivance historique après 1945.
Rappelons en effet le lien assez naturel qui s’est dégagé entre le projet hitlérien d’une Europe des nations, et la construction communautaire. C’est largement pour cette raison que le premier président de la commission européenne fut l’Allemand Walter Hallstein, nommé doyen de l’université de Rostock à 36 ans par les nazis (en 1936…). L’idéologie européiste n’a jamais été à rebours de la pensée fasciste ou nazie. Bien au contraire. Et assez naturellement, Giorgia Meloni peut s’y rallier sans rien renier de l’histoire de son parti.
Autrement dit, la guerre en Ukraine donne simplement à une Meloni l’occasion de réaliser sa catharsis et son coming-out, après des années d’atermoiements et de compromis de circonstances avec des forces conservatrices auxquelles elle est, en réalité, étrangère.
Le caste commence à assumer son fascisme gris
Le soutien de Meloni à Zelenski, et le soin qu’elle a pris à bâtir un programme européen, me semblent intéressants non parce qu’ils montrent jusqu’où pourrait agir une “opposition contrôlée”, mais tout simplement par ce qu’ils conscientisent et révèlent chimiquement l’acceptation de plus en plus ouverte par la caste de sa tentation fasciste et de son rejet de la démocratie.
Ce point mériterait de très longs développements qui n’ont pas forcément leur place ici, mais deux éléments majeurs me paraissent devoir être relevés.
Le premier élément est le montée continue au sein de la caste d’un courant totalitaire qu’Edouard Husson appelle à juste titre le “fascisme gris”. Nous en avions eu un premier indice lorsqu’un déferlement de haine s’est abattu sur les Britanniques qui ont voté en faveur du Brexit, et sur les Américains qui ont voté pour Trump. Depuis ces victoires “populistes”, la caste ne ménage ni son temps ni sa haine pour traîner ses adversaires dans la boue et pour les museler.
Je rappellerai simplement que dans son Great Reset, Klaus Schwab faisait très justement référence au trilemme de Rodrik, selon lequel on ne peut concilier mondialisation, nations et démocratie. La réalité qui se fait jour, que nous comprenons lentement, est que la caste assume de vouloir rompre avec la démocratie pour protéger la mondialisation et le libre-échange.
Le deuxième élément est que l’Ukraine est un puissant révélateur chimique de la russophobie qui cimente la caste. On comprend désormais qu’un point d’ancrage pour beaucoup, dans l’adhésion au “narratif” officiel, tient à la haine du Russe et de ce qu’il représente obscurément : un mélange de communiste et de sous-homme qu’on ne peut qualifier clairement comme tel, mais qui inspire crainte et répulsion.
Au fond, le Slave Russe incarne un frontière inconsciente pour beaucoup d’Européens. Il est la limite de notre continent et, à certains égards, l’incarnation de l’Autre. Cet Autre a reçu plusieurs noms ou qualificatifs dans l’Histoire. Le Russe des Prussiens n’est ni celui des Polonais, ni celui des Ukrainiens, des Turcs, des Anglais ou des Américains. Mais il est toujours l’Autre, celui que l’on craint et que l’on combat.
C’est bien pour cette raison qu’il parvient à unir dans un même camp les Fratelli d’Italia et les macronistes.
Il nous a fallu une guerre pour nous en rendre compte.
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