23 octobre 2022

ONU : l’Ukraine l’a tuée

Si beaucoup de voix se sont élevées depuis le début de la guerre en Ukraine, l’ONU est restée totalement muette. Il semble même que personne n’envisage que cette organisation puisse jouer un rôle dans la fin du conflit et la mise en place d’un ordre institutionnel de paix. Si la guerre a ressuscité l’OTAN, elle a en revanche définitivement tuée l’ONU.

Rêves d’Occident

Qui accorde encore une quelconque importance à ce « machin » ainsi qualifié par Charles de Gaulle ? Le rêve du multilatéralisme et de l’universalisme a vécu et a échoué. On voit des chefs d’État venir parler à la tribune de l’ONU, face à une salle vide, prononcer des discours que leurs conseillers ont mis des heures à écrire, pour lesquels chaque mot, chaque virgule a été pesé, et qui n’intéressent personne et que personne ne retient. Immense machine administrative, concession bureaucratique étouffante dans sa grande « boîte d’allumette » à New York, l’ONU est à la fois une machine à fournir des emplois internationaux aux proches des présidents et un cénacle vide où certains croient disposer d’une petite importance. Avec ses multiples satellites, FAO, UNESCO, OMS, elle est le produit des rêves occidentaux de l’universalisme que la fin de la Seconde Guerre mondiale pensait pouvoir appliquer au monde. On retrouve encore l’ONU comme passage obligé des manuels scolaires et des cours fastidieux de droit et de sciences politiques, mais on ne la croise jamais dans les réunions qui comptent et les discussions diplomatiques sérieuses. Pas d’ONU donc pour régler le conflit en Ukraine, ni celui de Taïwan, ni même la Syrie ou l’Afghanistan. Nous voilà revenu à l’époque de la SDN. Le machin tourne et fonctionne, mais la scène internationale est bien dominée par le concert des nations.

La nation et l’État n’ont pas été tués, les rêves d’un État mondial ne sont pas encore au rendez-vous. L’ONU peut avoir, ici et là, quelques structures utiles, pour faire des rapports et analyser les phénomènes mondiaux, mais son action quant à l’établissement de la paix est inaudible.

Pas de monde sans principes

L’Occident a échoué à imposer ses idées. La démocratie ne s’est pas installée, les autres pays ne se sont pas alignés sur lui, les empires se sont réveillés. L’ONU a été pensée alors que les empires coloniaux étaient encore debout et que la démographie occidentale pouvait encore tenir la route. Depuis, la population chinoise n’a cessé de croître et l’Afrique connait une explosion démographique, qui empêche par ailleurs son développement. En 1945, il y avait 72 États dans le monde contre 324 aujourd’hui. Si tout a changé, en terme politique et démographique, il est normal que le monde pensé dans les années 1940 ne puisse plus exister sous la même forme 80 ans plus tard.

Le défi posé aux Occidentaux est celui des principes communs. Il ne peut y avoir d’ordre international et de droit international que si tous les pays reconnaissent les mêmes principes et acceptent volontairement de participer à cet ordre. Sauf à disposer de la force pour imposer l’ordre aux récalcitrants. Aujourd’hui, l’Occident n’est plus assez fort pour imposer son ordre et plus assez attrayant pour y faire adhérer. Il n’a plus ni la potestas, ni l’auctoritas. Privé de cela, il lui est donc impossible de disposer de l’imperium. Il peut accepter de ne plus disposer du monopole et de devoir composer, même avec des puissances pauvres comme la Russie et l’Inde. C’est un fait que, dans la plupart des pays musulmans, le Coran est perçu comme un texte supérieur à la Déclaration des droits de l’homme.

Néanmoins, la question de l’ordre international reste posée. Si nous ne partageons pas la même culture et la même civilisation, comment faire pour assurer un monde commun, une philia commune ? Si cela ne peut pas se faire sur les principes, il faut trouver autre chose, car il est impossible d’envoyer sur une autre planète les peuples et les États qui ne nous plaisent pas. Si ce n’est par fraternité d’esprit et de culture, ce peut être par intérêt économique. On a souvent moqué la position des libéraux qui pensaient que le commerce allait réduire les guerres car, les États étant si imbriqués, ils auraient trop à perdre à déclencher un conflit mondial. Il est vrai que cela n’a guère fonctionné en 1914, même si personne n’imaginait l’ampleur du drame. Cela n’a pas non plus fonctionné en 1940, mais il y avait en face des dictateurs qui avaient intérêt à la guerre pour maintenir leur régime. En revanche, il n’y a jamais eu de confrontation directe entre les États-Unis et l’URSS en partie à cause de cette imbrication.

Guerre mondiale ?

Si l’on parle beaucoup de guerre mondiale, c’est à la fois pour se faire peur et pour se rassurer, en se rattachant à une histoire passée donc connue. Mais la configuration n’est pas celle-ci. La guerre en Ukraine est un conflit très localisé, à l’Ukraine et même à quelques régions de celle-ci. Le fait que Taïwan dispose du quasi-monopole de la production de semi-conducteur la protège d’une invasion de la Chine. Quant aux pays européens, la guerre armée n’apparait plus possible. Les conflits qui durent et qui sont les plus meurtriers sont tous situés dans des États qui ont un intérêt économique faible : le Yémen, le Soudan, l’Éthiopie… Des conflits qui se déroulent à l’intérieur de leurs frontières, parfois avec intervention de pays tiers, mais auxquels personne ne s’intéresse. Si elle n’est pas parfaite, l’imbrication économique limite donc la prolifération des conflits et contraint à la paix. C’est la vieille formule de l’Évangile : « Faites-vous des amis avec l’argent trompeur ». C’est plus efficace que l’ONU, et pour moins cher.

Jean-Baptiste Noé

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