Les batteries au lithium des véhicules électriques soulèvent de plus en plus de questions sur les normes de sécurité. Cette technologie représente-t-elle un danger ?
Atlantico : Les batteries au lithium des véhicules électriques sont-elles dangereuses ?
Jean-Pierre Corniou : L’histoire des techniques nous enseigne que la réussite du développement de chaque technologie est caractérisée par ses propriétés propres qui déterminent les conditions d’usage, et l’ampleur de son adoption, mais aussi par la maîtrise du risque qu’elle représente et l’adoption de normes et règlements de sécurité d’emploi. A chaque étape dans l’histoire de l’innovation à grande échelle, comme ce fut le cas avec le chemin de fer à vapeur, le métro, l’électricité, l’automobile, l’aviation, les risques paraissent, initialement, démesurés par rapport aux gains et suscitent beaucoup d’inquiétudes, amplifiées par chaque accident. Mais au fil du temps, se crée une maitrise des conditions de mise en œuvre des technologies qui tend vers un équilibre accepté entre bénéfices et risques.
Le large développement des batteries Lithium-ion, depuis trois décennies et dans tous les secteurs qui ont besoin d’énergie stockable, suit cette même tendance. Les performances de cette technologie ont permis, depuis la fin des années 90, un développement rapide de l’adoption par les utilisateurs de téléphones mobiles, d’équipements électroniques et d’outillages électroportatifs. Les qualités intrinsèques de ces batteries et la maturité de l’industrie, dominée par quelques firmes mondiales qui ont massivement investi en recherche développement et en outils industriels, ont conduit à l’adoption par l’industrie automobile des batteries lithium-ion. C’est la généralisation dans l’automobile des batteries Lithium-ion qui a permis un décollage spectaculaire de l’électromobilité, passée du statut de curiosité marginale - on parlait ironiquement de solution pour voiturette de golf - à tendance de fond de l’industrie automobile en moins de quinze ans. Le lithium s’est imposé comme la meilleure solution actuelle grâce à sa densité énergétique, qui a permis à l’automobile électrique de devenir une solution viable en termes de performance, d’agrément et d’autonomie. Bien évidemment, la gestion des risques liés à cette technologie a pris, simultanément, une importance croissante et la sensibilité du public aux incidents a été exacerbée. Comment l’industrie qui mise sur cette technologie Lithium-ion entend-elle en maîtriser les risques pour généraliser l’usage du véhicule électrique ?
Le 4 et 29 avril derniers, deux bus électriques ont pris feu à Paris, sans faire de victime. Observons-nous une multiplication des incendies liés aux batteries au lithium ? Comment l’expliquer ? Peuvent-elles représenter un danger ?
Plusieurs incendies ont déjà marqué la courte histoire contemporaine des véhicules électriques. A chaque fois ils ont été largement commentés pour leur caractère impressionnant et apparemment spontané. Les Tesla ont connu à l’origine de leur commercialisation une série d’incendies qui ont été exploités par les détracteurs de la marque. Mais compte tenu du faible nombre mondial de véhicules électriques face au 1,4 milliard de voitures thermiques en circulation, les statistiques sont difficiles à comparer. Les chiffres, dont on dispose aux Etats-Unis, issus de la National Transportation Safety Board, montrent que les véhicules hybrides sont plus exposés que les véhicules thermiques, et largement plus que les véhicules purement électriques, soit 25 incendies de voitures électriques pour 100 000 véhicules contre 1530 incendies de véhicules thermiques. Techniquement, toutes les batteries peuvent s’embraser par emballement thermique, quelle que soit la combinaison technique, lithium métal polymère ou lithium ion manganèse. Car c’est l’électrolyte liquide qui contient des carbonates inflammables. La conception et l’usage des batteries Lithium-ion intègre les risques liés aux propriétés du lithium. La gestion thermique de la batterie est un facteur essentiel de la sécurité. La ventilation, les systèmes d’alarme sont essentiels dans la conception des unités de batteries et dans leur insertion dans le véhicule. Les batteries de véhicules électriques sont des équipements qui délivrent la puissance nécessaire à l’avancement du véhicule et constituent un système technique complexe régulé par un système électronique, le BMS, battery management system. Les batteries étant sensibles aux variations de température, il faut en effet monitorer leur température de fonctionnement et bien entendu le niveau de charge résiduel pour gérer l’autonomie.
Si c’est un incident rare, les incendies de véhicules électriques sont plus difficiles à éteindre pour les services de lutte contre l’incendie que les incendies de véhicules thermiques. Les constructeurs ont développé des programmes de formation destinés à leurs réseaux comme aux services de lutte contre l’incendie pour faire connaître les risques et les procédures d’intervention. Au moment où le marché croit de façon spectaculaire, la maitrise de l’image écologique et de l’innocuité environnementale du véhicule électrique est un axe essentiel pour les constructeurs, comme pour les pouvoirs publics qui en soutiennent fortement le développement.
Alors que les batteries au lithium sont souvent critiquées pour leur impact environnemental, cette problématique met-elle également en lumière des problèmes liés au recyclage ?
L’incendie du Shoreway Environmental Center de San Carlos, en Californie (centre de recyclage) en septembre 2016, entrainant 6,8 millions de dollars de dommages, avait attiré l’attention sur les difficultés potentielles du recyclage des batteries au lithium. L’incendie, causé par une batterie au lithium d’un objet électronique, a créée des dommages matériels importants. Cet accident a entrainé un durcissement de la réglementation californienne en matière de gestion des déchets électroniques contenant des batteries au lithium. Il est clair que la nature inflammable des piles au lithium impose un mode de traitement spécifique, d’autant plus que ces produits se généralisent dans tous les objets électroniques consommables ; néanmoins la réglementation en matière automobile est spécifique car ces batteries ne peuvent se jeter simplement, car elles sont part intégrante du véhicule et ne peuvent être traités que par des centres spécialisés dotés de compétences pointues et suivant des processus industriels certifiés.
Disposons-nous actuellement des filières et méthodes adaptées pour recycler les batteries au lithium ?
Une batterie de véhicule électrique n’est pas un composant banal, mais un ensemble complexe piloté par un système informatique.
Sur le plan réglementaire, les constructeurs de véhicules électriques ont l’obligation de recycler leurs batteries. C’est une obligation fixée depuis plusieurs années par la directive européenne 2006/66/CE et l’article R543-130 du code de l’environnement en France.
Les batteries d’un véhicule électrique sont bien différentes des batteries automobiles que nous avons l’habitude de manipuler. Elles sont composées d’ensembles de cellules connectées dans un boitier métallique, le module. Les ensembles de modules, regroupés en packs, sont insérés dans le plancher du véhicule, et sont inaccessibles et invisibles. Leur forme est variable et s’adapte à la structure du véhicule.
Un véhicule électrique embarque de 100 à 600 kg de batteries, donc de matériaux comme l’aluminium, le nickel, le cobalt, le cuivre qui constituent, avec le lithium, les éléments majeurs de leur structure. Le recyclage est une activité industrielle pointue opérée par des sociétés spécialisées qui vont valoriser tous les composants de la batterie. Plusieurs entreprises se sont développées sur ce marché technique comme la SNAM, qui a signé des partenariats avec la plupart des constructeurs, ou Euro Dieuze Industries, partenaire de Renault, ou TES Recupyl. Ces entreprises font l’objet d’aides à la recherche et au développement pour améliorer le taux de récupération des composants des batteries automobiles, jouant un rôle précurseur dans une filière qui va connaitre un développement important. L’objectif est d’obtenir des taux de valorisation de l’ordre de 95% permettant de résoudre à terme les problèmes de tension sur les minerais et composants des batteries.
Les batteries actuelles sont conçues pour 1000 à 1500 cycles de recharge, soit entre 200.000 et 500.000 kilomètres, ce qui représente entre dix et quinze années d’usage normal. Il faut noter que les moteurs électriques sont encore plus robustes et peuvent fonctionner pendant plusieurs millions de kilomètres. Il faut noter que compte tenu de la longévité des batteries, les volumes de batteries de voitures recyclées sont encore très faibles.
D’autres types de batteries, plus sûres, pourraient-ils arriver prochainement sur le marché ?
Compte tenu des enjeux qui pèsent sur l’industrie des véhicules électriques dans la lutte contre le "réchauffement climatique", tous les constructeurs comme leurs partenaires producteurs de batteries travaillent à rendre la batterie lithium-ion plus performante, moins coûteuse et plus sûre. Il n’y a pas en effet d’alternative industriellement viable pour la prochaine décennie à la filière batterie lithium-ion. Mais des évolutions incrémentales sont d’ores et déjà programmées.
On prévoit en effet de construire dans les vingt prochaines années plusieurs centaines de millions de véhicules à batteries. La filière hydrogène, qui peut prétendre également jouer un rôle majeur dans cette compétition, n'est pas encore en mesure d’offrir une alternative compétitive pour répondre à une demande en volume car il faut constituer une industrie spécifique de production et distribution d’hydrogène vert, alors que l’électricité est déjà diffusée partout sur la planète. C’est donc un vaste terrain de recherches, autour des batteries, mais aussi des moteurs électriques, de l’électronique de puissance et des logiciels, qui s’est développé dans le monde dans les laboratoires universitaires, les centres de recherche et chez les fabricants de batteries et de véhicules électriques, qui sont à la fois partenaires et concurrents. Mais c’est aussi un défi pour l’industrie minière qui doit fournir les métaux nécessaires, lithium, cobalt, manganèse… Comme c’est un domaine très concurrentiel, la compétition est vive entre acteurs industriels mais aussi entre pays.
La Chine, qui s’est imposée en vingt ans comme premier producteur mondial de voitures, a fait des véhicules à nouvelles énergies (NEV) sa priorité industrielle dans les marchés de la mobilité, voulant en prendre le leadership face aux constructeurs des pays historiquement leaders de l’automobile, Etats-Unis, Europe et Japon. Elle dispose de tous les atouts notamment avec des producteurs de batteries leaders comme CATL et BYD, mais aussi une maîtrise de l’aval minier. Les constructeurs historiques réagissent en développant dans leurs pays de nouvelles capacités de production et en invertissant directement dans la production de batteries comme Stellantis avec ACC et Volkswagen avec Northvolt.
Le développement des batteries de nouvelle génération, dites de quatrième génération,est un enjeu majeur, mais dans l’immédiat il s‘agit surtout pour les industriels de sécuriser les filières actuelles indispensables au succès des centaines de nouveaux modèles de véhicules électriques promis par les constructeurs dans les cinq prochaines années. L’objectif actuel est d’abord un objectif de volumes qui passe par la construction de dizaines de gigafactories dans le monde. Le second objectif est la densité énergétique, qui se mesure en Wh/kg, qui ne doit pas se traduire par une augmentation des temps de charge. On est donc actuellement dans une phase d’optimisation incrémentale des performances des batteries, mais qui, associée à une industrialisation de masse, a permis une baisse spectaculaire des coûts : 1200 $/kWh en 2010, 300 $/kWh en 2015, 140 $/kWh en 2020. Les meilleures batteries atteignent aujourd’hui 300 Wh/kg. On vise 400 Wh/kg à la fin de la décennie avec les batteries à électrolyte solide et on imagine 500 Wh/kg en 2040.
Ces usines produiront des batteries lithium-ion désormais classiques, avec un électrolyte liquide et des cathodes NCM (nickel, cobalt, manganèse) et LFP (lithium, phosphate de fer). La forme des batteries évoluera, les solutions cell-to-pack (CTP) permettant à la fois une augmentation de la densité énergétique de l’ordre de 15 à 20% et une baisse des coûts de l’ordre de 30%. L’évolution suivante pourra être d’intégrer les cellules dans le châssis, selon la formule CTC(cell-to-chassis) augmentant encore la capacité et donc l’autonomie pour dépasser les 700 km.
Dans l’immédiat, il n’est pas envisagé de migrer vers un électrolyte solide, oxyde solide, sulfures ou polymères, pour lesquels les recherches sont intenses mais n’ont pas encore atteint la performance souhaitée. On estime que la technologie, prometteuse en termes de sécurité incendie, de durabilité et de densité énergétique, devrait être opérationnelle à la fin de la décennie.
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