Le président de la République souhaite mener à bien plusieurs chantiers d’ici à la fin de l’année : retraites, chômage, énergies renouvelables, loi sur la sécurité, débat sur l’immigration… Une stratégie risquée, qui divise ses soutiens.
Ce cadre de la majorité présidentielle a cessé d’y croire. « Je pense qu’on ne va pas le faire, tranche-t-il. Il a lancé un ballon d’essai pour perturber le jeu et voir ce que ça donnait. » Après dix jours de spéculations en tout genre, l’exécutif pourrait écarter, ces prochains jours, l’option d’une réforme des retraites via l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) cet automne. Elle avait pourtant été avancée par Emmanuel Macron lui-même face à une centaine de journalistes, le 13 septembre.
Entre-temps, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer l’inopportunité d’un tel scénario. Laurent Berger, l’influent leader du syndicat CFDT, a promis au gouvernement « une conflictualité très, très forte » face à ce « passage en force ».
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a fait savoir qu’elle n’était « pas favorable » à une réforme par amendement et demandé à ce que soit pris « le temps de la concertation ».
Pire encore pour le chef de l’État : François Bayrou, censé incarner l’un des trois piliers de sa majorité, a dit pis que pendre de l’idée présidentielle. Et son parti, le MoDem, a annoncé qu’il voterait contre le cas échéant.
La volée de bois vert aurait-elle été si spectaculaire qu’elle a fait flancher Emmanuel Macron ? Jeudi, ce dernier avait préparé le terrain en disant son souhait de mener la réforme « de manière transparente, claire et la plus apaisée possible ». « Je ne préempte pas ce que le gouvernement et le Parlement auront à faire, a-t-il affirmé dans un entretien à BFMTV. Le gouvernement doit lancer des discussions avec les forces sociales et politiques, et trouver avec le Parlement la bonne méthode. »
L’arbitrage devrait être rendu dans les prochains jours. À défaut de trancher, l’Élysée a annoncé que se réuniraient « la semaine prochaine » les chefs de la majorité et les ministres concernés. L’entourage du président de la République a fait savoir à l’Agence France-Presse, comme à l’époque de la crise sanitaire, que « toutes les options » restaient « sur la table ».
En interne, des voix plaidaient encore ces jours-ci pour une réforme par amendement, à commencer par Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée. « Il est très allant, confirme le cadre de la majorité cité plus haut. Il voulait même attaquer la réforme avant, dès la réélection du président. » Bruno Le Maire, ministre de l’économie, pousse dans le même sens. Comme Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, ou Éric Woerth, député de l’Oise et ancien ministre du travail de Nicolas Sarkozy.
Quant à Édouard Philippe, il a assuré le gouvernement du soutien d’Horizons, le parti qu’il préside. « Nous serons derrière vous pour améliorer notre système de retraites […], que vous choisissiez de le faire en octobre, en décembre, en mars. Quand vous voudrez, nous serons là », a affirmé l’ancien premier ministre face à Élisabeth Borne, lors des journées parlementaires de son mouvement.
Continuer à se poser en réformateur
Qu’il aille ou non au bout de son idée, le simple fait qu’Emmanuel Macron n’ait pas encore refermé « l’hypothèse PLFSS » raconte la façon dont il envisage sa rentrée. Entre le 3 octobre, date de la rentrée parlementaire, et les fêtes de fin d’année, l’exécutif souhaite faire passer le budget de l’État, le budget de la Sécurité sociale, la réforme de l’assurance-chômage, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) et la loi sur les énergies renouvelables. Une liste à laquelle il faut ajouter l’inflammable débat sur l’immigration, prévu courant novembre.
Le tout avec un Parlement instable comme il ne l’a jamais été depuis trois décennies, dans un contexte d’inflation record, de guerre aux confins de l’Europe et de crise énergétique. Le panorama donne le tournis, y compris à certains des macronistes les plus zélés. « Il attaque les Grandes Jorasses [un sommet des Alpes – ndlr] par la face nord », estime François Patriat, président du groupe macroniste au Sénat.
Fidèle parmi les fidèles, l’élu bourguignon fait partie de ceux que cette accélération du tempo du quinquennat séduit. « En faisant ça, il montre qu’il est tout sauf le roi fainéant, salue-t-il. Il n’est pas endormi, triste ou découragé, contrairement à ce qu’ont dit certains. » Un ministre abonde dans ce sens : « Il veut montrer qu’il a été élu pour agir. En faisant ça, il réveille aussi tout le monde, notamment la majorité, à qui il veut montrer qu’elle n’a pas été élue pour rien. »
Autour du chef de l’État, certains ont théorisé l’importance d’agir vite, et il devient rare d’échanger avec un soutien d’Emmanuel Macron sans qu’il ne vous parle du spectre de la « chiraquisation », en référence au second mandat de son prédécesseur (1997-2002).
« Avant, on parlait des 100 premiers jours pour agir, note un parlementaire influent. Là, il y a un an ou deux, pas plus. Plus le temps va passer, plus ce sera difficile pour lui. » Et notre interlocuteur de craindre, avec d’autres, que la prochaine échéance présidentielle ne phagocyte bien vite l’action du président réélu.
La « guerre de mouvement » qu’entreprend de mener l’exécutif, en lançant plusieurs offensives en parallèle, n’est pourtant pas sans risque. Trois mois après avoir perdu sa majorité absolue à l’Assemblée, après des semaines passées à vanter sa « nouvelle méthode » de gouvernance, quelques jours à peine après avoir lancé son Conseil national de la refondation (CNR), elle fait même rire jaune celles et ceux qui ont cru à la « réinvention démocratique ». D’autant plus que les parlementaires s’attendent à ce que l’exécutif dégaine, une ou deux fois, l’article 49-3 sur les textes budgétaires.
Emmanuel Macron se serait-il laissé griser par la réussite de sa première séquence législative ? Certes, à l’époque, le gouvernement avait su trouver une majorité (avec la droite des Républicains – LR – principalement) pour adopter le « paquet » pouvoir d’achat. Mais l’été est passé et les temps ont changé. La droite LR, d’abord, est en pleine campagne interne pour choisir son nouveau président. Et les trois principaux candidats (Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Aurélien Pradié) rivalisent d’hostilité au camp présidentiel.
Contrairement aux attentes, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) tient bon et les socialistes font encore bloc avec les autres formations de gauche, malgré des appels du pied répétés de la majorité. L’opposition tout entière a boycotté le lancement du CNR et elle n’a participé qu’à reculons aux « Dialogues de Bercy », la nouvelle invention du ministère de l’économie. Enfin, Horizons et le MoDem ont manifesté ces dernières semaines des signes d’émancipation à même d’inquiéter l’Élysée.
Bref, quasiment tous les voyants politiques sont au rouge mais le train macroniste entend continuer d’accélérer. Au cours d’une rencontre avec quelques élus de sa majorité, une députée lui a récemment glissé : « Les gens ne sont pas prêts, ils ne sont plus du tout dans le même contexte et la même configuration qu’en 2020. Ce n’est pas le bon moment. » Il lui aurait répondu : « OK, mais c’est quoi, le bon moment ? Dis-moi quel moment est le mieux. »
Réelle ouverture ou question rhétorique ? Un de ses proches est d’avis de foncer. « Si on peut le faire maintenant, pourquoi attendre ? On sait tous ce que pensent les uns et les autres, estime-t-il. Alors oui, il y a un risque, mais à ce moment-là, on ne fait plus rien. » Un ministre s’interroge à haute voix. « La question, c’est : est-ce que les gens vont dans la rue ? Est-ce que le CNR tombe ? Est-ce qu’on perd des députés ? », égrène-t-il. Comment se permettre, en effet, de perdre à la fois l’opinion, les partenaires sociaux et la majorité ?
Le même ministre note au passage un intérêt à passer l’allongement de la durée légale avant les fêtes : « L’autre option, c’est le printemps. Et le printemps, c’est le moment où on n’a pas envie de faire une réforme sociale. Il y a des grèves, des ponts… » L’offensive médiatique de Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, est d’ailleurs une de celles qui ont le plus inquiété le camp présidentiel.
Un autre point qui suscite l’inquiétude du pouvoir n’est pas tant politique que financier. C’est d’ailleurs ainsi qu’Emmanuel Macron justifie la remise à l’agenda de la réforme des retraites. « La vérité, c’est qu’il faut travailler plus et produire plus de richesses dans notre pays si nous voulons […] défendre le modèle social français, a-t-il plaidé. Tous ces investissements, […] nous ne pouvons les faire que si nous produisons plus de richesses. »
S’il ne le dit plus aussi clairement qu’au printemps, l’enjeu n’est donc plus tant d’équilibrer le système que de réduire le déficit. « Ce sont deux réformes qui garantissent notre crédibilité à l’échelle européenne, ajoute une députée de la majorité bien au fait des enjeux budgétaires. Le “quoi qu’il en coûte”, la politique sociale, l’augmentation des moyens de la justice ou de la santé, c’est bien mais il faut le financer et on doit le faire vite. »
À Bercy, mais pas seulement, la menace d’un abaissement de la note de la France sur les marchés financiers bruisse régulièrement pour justifier l’urgence de réformes structurelles.
Ilyes Ramdani
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