On dit qu'il faut parler des morts ou ne rien dire du tout, et bien que je serais heureux d'envoyer "Gorby" aux oubliettes, mes lecteurs m'ont demandé mon avis sur le sujet, alors je vais m'acquitter d'une brève nécrologie. Il y a peut-être quelque-chose à extraire du vieux et fatigué "Gorby". Comme je le soutiendrai ici, il n'est pas tant une personne qu'une unité pratique de dysfonctionnement organisationnel au sein d'un empire qui s'effondre.
Il est assez révélateur que "Gorby" (que Margaret Thatcher affectionnait comme le secrétaire général du Politburo du parti communiste de l'Union des républiques socialistes soviétiques) ait été célébré par les ennemis de la Russie et presque universellement méprisé par les Russes et les amis et alliés de la Russie. Pour les Chinois en particulier, il a donné une précieuse leçon sur le type de personnalité qu'il ne faut pas laisser s'approcher de la direction du parti communiste chinois. Les Chinois ont également appris de Staline qu'il n'est pas sage de permettre à vos ennemis au sein du parti de vous survivre, comme l'a fait Nikita Khrouchtchev, et de Khrouchtchev qu'il n'est pas sage de dénigrer vos prédécesseurs au pouvoir à moins que vous ne vouliez qu'on vous fasse la même chose. Les Chinois n'ont pas fini de tirer des leçons des Russes, mais de nombreux Russes souhaiteraient que cela se termine. Il est certain que les Chinois ont eux-mêmes donné de précieuses leçons aussi, notamment que la libéralisation économique et la libéralisation politique doivent être dissociées, afin que le libéralisme économique puisse être freiné lorsqu'il entre en conflit avec les intérêts nationaux.
Il convient également de noter que la plus grande réussite de Gorby au cours de sa vie, selon lui-même, a été de quitter volontairement son poste de président de l'Union soviétique (comme on l'appelait pendant son bref règne). Il a dit qu'il l'avait fait pour éviter les effusions de sang, or, c'est ce que son départ précipité et le vide du pouvoir qu'il a créé, ont produit, ayant donné libre cours à de petits nationalistes et à leurs marionnettistes étrangers, parmi les ennemis permanents de la Russie. En cela, il a échoué, il a également échoué dans sa campagne de "glasnost" (remplaçant la censure d'État par un déluge de "fake news"), dans sa campagne de "perestroïka" (détruisant l'économie soviétique en quelques années seulement), dans sa campagne de lutte contre l'alcoolisme (conduisant à un accès historique d'alcoolisme dans tout le pays), dans sa tentative de réforme du parti communiste (remplaçant les personnes réellement compétentes par des opportunistes, des arrivistes, des carriéristes et des criminels purs et simples) et dans la négociation (ou la capitulation) de la fin de la guerre froide à des conditions qui, à long terme, se sont avérées inacceptables pour la Russie. Il a échoué, et a échoué, et a encore échoué...
Les homologues occidentaux de Gorbatchev ont été choqués par sa volonté d'abandonner ce pour quoi des millions de soldats russes étaient morts et ce que ses prédécesseurs au pouvoir avaient fermement défendu. Mais il n'est qu'un homme, alors que la Russie est un vaste pays dont la mémoire remonte à un millénaire, et ce n'était qu'une question de temps avant que ses erreurs ne soient corrigées. L'actuelle opération spéciale russe, dans l'ancienne Ukraine, n'est qu'une de ces corrections. Ce n'est qu'un des territoires qu'il a cédés aux ennemis de la Russie, l'Allemagne de l'Est, qui a été rapidement occupée par l'Ouest, en est un autre. Aujourd'hui encore, les habitants de l'Allemagne de l'Est sont traités comme des citoyens de seconde zone par les envahisseurs occidentaux mal dénazifiés qui les dominent désormais dans tous les domaines.
De nombreux Russes l'ont appelé "Michka le Marqué", en référence à la "marque du Diable" sur son vaste crâne chauve, ce qui impliquait qu'il soit diabolique. Mais il n'est même pas mauvais, il n'est tout simplement pas très bon. Dans le Faust de Goethe, Méphistophélès se caractérise comme étant "une puissance qui veut le mal éternel, mais qui fait le bien pour toujours". Gorbatchev était à l'opposé de cela : il se vantait de faire le bien et faisait le mal. En tant que mini-Méphistophélès, il est tombé à l'eau, mais il ne mérite probablement pas un tel intérêt de toute façon. Alors, qu'était-il vraiment ?
De nombreux Russes le considèrent comme un traître. En fait, il a donné la carte top secrète des sites nucléaires russes comme cadeau de bonne volonté à Margaret Thatcher, sapant ainsi l'efficacité de la dissuasion nucléaire russe. Cet acte aurait dû être puni comme il se doit par son exécution par un peloton d'exécution. Mais la structure du pouvoir soviétique était tellement désordonnée et affaiblie à l'époque que cet acte est resté impuni. Néanmoins, de nombreux Russes, suivant le vieux dicton romain "Roma traditoribus non premia" (Rome ne favorise pas les traîtres), préféreraient simplement rayer Gorbatchev de la mémoire publique comme un fait divers particulièrement honteux. Mais était-il un traître, ou simplement un idiot ? Peut-être n'avait-il tout simplement aucune idée de ce qu'il faisait, lui le simple provincial d'un village d'un peu plus de 3.000 habitants de la région de Stavropol, dans le sud de la Russie.
S'il était un idiot, comment a-t-il pu accéder à une telle notoriété et diriger, pendant un bref moment historique, le plus grand pays du monde ? Une théorie simple est qu'il était un savant idiot. Oui, il était un idiot en matière de politique, de diplomatie, d'économie, de défense, de santé publique et d'à peu près tout le reste, ce qui explique l'échec lamentable de ses initiatives dans tous les domaines, à une grande exception près : il était un savant idiot lorsqu'il s'agissait de faire de la lèche, de se mettre en valeur, de manipuler avec de fausses promesses et d'autres techniques de manipulation. Ses talents de rhétoricien se résumaient à une capacité à délivrer un flot ininterrompu de paroles insipides et duplicites qui berçaient les esprits simples de faux espoirs sur un avenir radieux. Ces capacités étranges, associées à son désir sans limite d'être populaire, apprécié et sous les feux de la rampe, lui ont permis de gravir les échelons du parti communiste soviétique, puis de le détruire rapidement de l'intérieur. On peut retracer sa trajectoire en observant l'opinion publique russe : en six ans à peine, il est passé du statut de favori à celui de détesté.
Gorbachëv était-il un cas unique ? Bien sûr que non ! Ce qui a permis son ascension fulgurante, c'est la décrépitude du régime soviétique. Il est le seul dirigeant soviétique à être né alors que l'Union soviétique existait. Le mariage de la civilisation russe et eurasienne millénaire, avec l'interprétation bolchevique de la philosophie politique du célèbre russophobe Karl Marx, était stérile comme une mule. Il a simplement vieilli et s'est décrépi, puis un personnage imparfait comme Gorbatchev a pu s'insinuer dans les coulisses du pouvoir et détruire de l'intérieur ce qui restait du système. Nous voyons aujourd'hui des personnages similaires apparaître dans l'Union européenne et aux États-Unis. L'idée que les États-nations d'Europe occidentale, qui se chamaillent sans cesse, forment une famille heureuse dirigée par un commissariat autosélectionné installé à Bruxelles, est aussi absurde que l'étaient l'URSS et son politbureau. Quant aux États-Unis, la deuxième guerre civile se profile à l'horizon... nous y reviendrons plus tard.
Que sont la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock ou le nouveau premier ministre britannique présumé Liz Truss, avec leur vague formation de secrétaire, leur incompréhension de tout ce qui est physiquement réel et leur incapacité à réaliser quoi que ce soit, si ce n'est davantage de Gorbies ? Et qu'est-ce que ce showman et agitateur de populace qu'est Donald Trump, fléau de l'État profond, chouchou du commun des mortels et ennemi juré de l'élite libérale bicéphale, sinon un Gorbie surdimensionné ? A-t-il toujours l'intention de rendre sa grandeur à l'Amérique ou a-t-il trouvé une meilleure ruse ? Peut-être qu'un Gorbie n'est pas du tout une personne mais juste une unité pratique de dysfonctionnement organisationnel qui se manifeste facilement dans tout empire qui s'effondre ?
Dmytri Orlov
Source : https://boosty.to/cluborlov/posts/9c5b69f7-9d49-435e-bf54-4f12f24b59e1?from=email&from_type=new_post
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