Marianne : On reçoit enfin le premier versement de l’Union européenne prévu dans le plan de relance signé en 2020, pour le plus grand plaisir de Bruno le Maire. Mais ce retour compense-t-il vraiment l’investissement de la France dans l’Union ?
Frédéric Farah : Par rapport à notre contribution dans l’Union Européenne, on est loin d'être gagnants. En Europe, il y a très peu de contributeurs nets : la France, l’Allemagne, l'Italie et auparavant le Royaume-Uni. La France verse ainsi plus de 26 milliards d'euros à l’Union Européenne pour l'année 2021. En réalité, ceux qui bénéficient le plus du « plan de relance » sont ceux qui investissent le moins. Le fonctionnement l’Union européenne favorise le comportement de « passager clandestin », qui souhaite bénéficier de services mais n’en paie pas le coût. Et certains de ces pays, comme les Pays-Bas, osent encore râler en soutenant que leurs intérêts ne sont pas respectés…
La France pouvait emprunter sans passer par l'Europe, et à très bon marché. La dette nationale nous coûte beaucoup moins cher que par le passé car les taux d’intérêt ne sont plus les mêmes. On aurait pu obtenir des ressources bien plus considérables et faire une relance bien moins timide que les 40 milliards de l’UE. Les marchés financiers ne se détournent pas, en effet, des États à signature forte. Les 5,1 milliards que nous venons de récupérer sont dérisoires par rapport au montant des dépenses dans le budget national, autour de 224 milliards. À côté, le plan d’infrastructures de Joe Biden est un mammouth !
En plus de ça, les besoins français ont été pensés et calculés sur la situation de l’économie en 2020, au moment où les accords ont été signés, alors même que la pandémie n’a pas encore donné tous ses résultats… Or, le propre d’une crise économique est de présenter ses effets avec du retard. La crise des années 30, par exemple, montre son vrai visage en 1940 : la guerre. La tranche d'aides qui arrivera donc en 2026 aura été calculée sur des prévisions de croissance lancées six ans auparavant. C’est une opération d’intox !
« La Commission n’a pas les ressources pour rembourser cette levée de fonds. La France devra débourser 67 milliards d'euros pour compenser l'emprunt réalisé. »
Le plan européen sert par ailleurs une frange de la fonction publique dans le but d'engager des réformes structurelles. Pour obtenir ces aides, il y a une conditionnalité : le plan est fait en accord avec les objectifs du semestre européen, qui contiennent la réforme des retraites, de l’assurance chômage, ainsi qu'un plan de limitation des dépenses de santé. Il suffit de mettre côte à côte la préconisation de la Cour des comptes et le programme de stabilité 2021-2027 de la France pour se rendre compte que les recommandations sont peu ou prou les mêmes.
Enfin ce n’est pas une bonne opération car la Commission n’a pas les ressources pour rembourser cette levée de fonds. La France devra débourser 67 milliards d'euros pour compenser l'emprunt réalisé. Ce plan de relance est donc un beau marché de dupes, surtout pour des États contributeurs nets comme la France qui contribuent plus qu’ils ne reçoivent.
Le remboursement de cette levée de fonds ne pourra pas être assumé par la Commission ?
La Commission a investi sur les marchés financiers sur la base de recettes qu'elle n’a pas. Le principe de base pour lever des fonds est de disposer de ressources propres. Or, les ressources de l’Union européenne sont les tarifs douaniers. Mais comme on passe notre temps à faire du libre-échange, les ressources douanières diminuent. Afin de trouver des ressources propres, il a donc fallu créer des taxes : celles sur le plastique et sur le numérique. Elles n’existent toujours pas à l’heure actuelle. Il faudrait tout d’abord que tous les États tombent d'accord pour valider ces taxes. De plus, les États-Unis sont venus mettre leur grain de sel et ont refusé la taxe numérique. Qui a dit qu'ils n'avaient aucun droit de décision sur l'UE ?
La taxe plastique est quant à elle annoncée, mais n’a pas encore vu le jour. Si aucune entente n'est trouvée entre les pays pour imposer une nouvelle taxe, il incombe aux États membres de rembourser la dette, à la hauteur de leur contribution. La France sera sollicitée, en fin de procédure, à hauteur de 67 milliards d'euros. En cas de scénario catastrophe, la France devrait donner plus qu'elle n'a reçu. On se félicite aujourd'hui de récupérer 5,1 milliards qui ne sont couverts par aucune recette…
Quand on parle de plan de relance, on imagine un plan économique. Pourtant, une grande partie de l'aide doit être investie dans la transition écologique. Les pays du nord de l'Europe ont aussi veillé à ce que cet argent ne serve pas au financement du chômage partiel ni à la santé pour la hausse des salaires des personnels, par exemple. Qui sont les grands perdants de ce plan ?
Il s’appelle improprement plan de relance, car dans l'imaginaire collectif, il renvoie à la relance keynésienne, traditionnelle. Mais ici, on a plutôt affaire à un plan de transformation des économies, avec le fait d’implanter des réformes structurelles. L'objectif est d’investir dans le numérique, dans la transition écologique, de digitaliser la société, et de soutenir la formation professionnelle. Peu importe la manière dont les rapports de force entre capital et travail sont organisés, si vous êtes en position de négocier un salaire ou non. Si vous avez les compétences et si vous êtes formés, vous trouvez un emploi comme si de rien n’était, d’après la fable libérale.
« Désormais, la revalorisation des salaires des fonctionnaires est perçue comme un frein à l'économie. »
Ce plan de relance soutient aussi l’idée qu’il faut rendre les administrations plus productives, plus efficaces. Sauf que quand vous écoutez les spécialistes de la condition écologique, comme Gaël Giraud par exemple, vous voyez que les montants sont insuffisants… Ce n’est pas avec 750 milliards que vous faites de la transition énergétique et numérique, d’autant plus que ces milliards sont répartis entre chaque pays. Ce plan de relance est l’illusion du capitalisme vert. Si on rend les technologies propres, on continue comme avant et tout ira bien.
Les perdants sont les secteurs considérés comme un poids pour l’économie : les dépenses sociales. Pourtant, ces dépenses sociales sont la signature de l’Europe dans la mondialisation. Près de la moitié des dépenses sociales du monde est fait dans le cadre de l’UE. Mais on ne raisonne plus comme après la Seconde Guerre mondiale, où on articulait le social et l’économique au lieu de les opposer. Désormais, la revalorisation des salaires des fonctionnaires est perçue comme un frein à l'économie.
Rien n’est prévu pour faire de grandes dépenses de santé, afin de rouvrir des lits, relancer des hôpitaux et des cliniques ou rapatrier la production de médicaments… L’idée est plutôt de rationaliser les soins, mieux structurer et organiser. En clair, débrouillez-vous avec moins. Ce plan n’évoque pas non plus ce qu’on va faire des grands secteurs comme l’automobile ou l’aérien. Ces secteurs qui ont été sauvés à coups de milliards pendant la période de confinement, afin de maintenir l’économie productiviste, carbonée et d'éviter le chômage de masse. Pour la France, ce plan n'est ni comptablement ni politiquement ni socialement une bonne opération.
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