Ils étaient près de 200 au départ de Pont-d’Hérault. Des troupes qui se sont renforcées sur le trajet menant, en tracteur, les manifestants vers la sous-préfecture du Vigan. Alors que la récolte d’oignons doux est réduite par l’attaque de cicadelle, ils protestaient contre l’impossibilité d’arroser et les contrôles inopinés de l’Office français de la biodiversité.
Une large délégation a été reçue par la sous-préfète, Saadia Tamelikecht, tandis qu’un nouvel arrêté préfectoral autorise désormais le territoire concerné à arroser une nuit sur deux. « Il faut montrer que le monde agricole sait se mobiliser, harangue Philippe Boisson, président de la coopérative Origine Cévennes, avant le départ de Pont-d’Hérault. Dans les Cévennes, l’agriculture fait vraiment vivre. On contribue aux paysages et à la beauté de ce coin. Qu’on fasse ça de la façon la plus souple possible. Mais on renversera quelques bennes parce que c’est symbolique… » Certains des nombreux tracteurs présents contiennent, effectivement, des oignons pourris par l’attaque de cicadelle, d’autres des pommes qui ne pourront plus grandir. Deux autres enfin, du fumier.
« Les filières de l’oignon et de la pomme dans une situation catastrophique »
« Nous sommes ici en soutien aux producteurs, avec la volonté de faire reculer l’État sur son arrêté du 2 août qui place les filières de l’oignon et de la pomme dans une situation catastrophique deux ans après les inondations de septembre 2020, résume Régis Bayle, maire d’Arrigas, président de la communauté de communes du Pays Viganais et conseiller régional PS. On a donné des dérogations pour des activités récréatives et quand on a interpelé la préfète pour pouvoir arroser, elle a seulement répondu non, sans discussion ni aménagement possibles. »
« Les revendications sont justifiées, reprend Irène Lebeau, suppléante du député de la circonscription, Michel Sala, et maire de Dourbies. Les agriculteurs sont les forces vives de cette nation. Ce sont eux qui produisent et nous nourrissent. Au niveau de la préfecture, la différence faite entre le Gard et l’Hérault est un aberration, un manque de considération des acteurs. »
Le convoi lancé, Jean-Luc Hébrard, agriculteur retraité venu soutenir son fils, veut croire au bon sens paysan, une expression régulièrement entendue dans la manifestation. « En situation de sécheresse, évidemment qu’on arrose la nuit. Il faut comprendre que les Cévennes, c’est un pays qui vivait de l’agriculture, rembobine Jean-Luc Hébrard. Maintenant, on vit avec le tourisme et je ne critique pas. Le développement des gîtes a été une chose très intéressante. Les touristes ont leur place. Mais sans agriculture, il n’y aura plus de tourisme. »
« Créer de nouveaux bassins avec des volumes plus importants »
Propriétaire d’un hectare et demi planté d’oignons dans la vallée de Taleyrac, Guy Journet sent effectivement sa profession menacée. « On a connu une baisse de la production de 40% alors qu’on est pratiquement indépendants en eau. Enfin, cette année, on en a utilisé 20 à 30% de plus, on a pompé pour reremplir mais ça n’a pas été apprécié… » Pour lui, le nerf de la guerre reste les bassins, très utilisés sur la fin de la croissance des bulbes, en juillet. « On demande à en créer de nouveaux, avec des volumes plus importants. » Le but étant qu’ils soient remplis par le trop plein des pluies, dans les mois d’automne et d’hiver.
« Aujourd’hui, il n’y a pas de plan de gestion de l’eau adapté au monde agricole, pense le trésorier de la FDSEA (fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles), Olivier Crégut, venu soutenir la manifestation. On va vers de grosses difficultés. On ne nie pas le réchauffement et le mouvement climatique perdure. Mais quand on parle de Cévennes, on ne comprend pas que les gens ne puissent pas créer de retenues collinaires. Dans la plaine, c’est autre chose. Mais on ne comprend pas ce débat de ne pas retenir l’eau dans les endroits aussi pluvieux. »
Pendant qu’une large délégation de représentants des filières et d’élus était reçue – durant près de deux heures – en sous-préfecture au Vigan, et que le bar-tabac le Jeanne d’Arc faisait son chiffre d’affaires de l’année en désaltérant les manifestants, les discussions se sont poursuivies en terrasse ou dans la rue.
Notamment avec David Lafont, producteur d’oignons à Saint-André-de-Valborgne, qui a vu débarquer des contrôleurs sur sa propriété en juillet. « Je devais arrêter l’arrosage à 10h, explique l’exploitant agricole. J’ai eu une panne de tracteurs et, de fil en aiguille, l’heure a filé. Quand je suis arrivé, les contrôleurs étaient là et m’ont dressé un procès verbal. »
« Je serai convoqué en septembre »
« Avec eux, on a décidé de laisser passer août parce qu’il y a trop de travail, poursuit David Lafont. Mais je serai convoqué en septembre. » Lui qui se dit attentif à ces questions n’en revient toujours pas. « Ils auraient quand même pu me dire : « C’est la première fois, ça ira mais on vous a à l’œil ». Mais non. Ils étaient deux de la police de l’eau et un de la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer). Je n’avais jamais eu de contrôle comme ça. En même temps, on avait eu des restrictions. Mais une interdiction totale d’arroser, je ne sais pas si on l’avait eue. La prochaine fois, ce sera quoi ?, s’interroge le paysan. En attendant les plantes périssent et, pour nous, c’est très violent. »
Olivier Nicolet, lui, vient de s’installer en maraîchage. « Je comptais faire pousser des légumes, je fais pousser des papiers, ironise le néo-paysan. Je ne m’attendais pas à ce que la partie administrative soit si lourde que ça. Ce n’est plus du bon sens mais la volonté de mettre des bâtons dans les roues. » Pour preuve, le bassin qu’il a voulu installer mais pour lequel l’autorisation a réclamé tellement de temps de la part des services de l’État que « les travaux de terrassement ont pu commencer en juillet… ».
La prochaine mobilisation agricole sera à Nîmes
Sortie de la sous-préfecture, la délégation n’a pas noté d’avancées significatives. Et pour cause, comme l’a souligné Philippe Boisson, c’était une audience pour faire remonter les revendications. Jointe peu après au téléphone, la sous-préfète, Saadia Tamelikecht, dit avoir pris la mesure de « la détresse des agriculteurs » ainsi que « la grande complexité » du sujet dont ils dépendent.
Elle a tenu à entendre les cultures représentées : oignons et pommes en premier lieu, mais aussi la position des éleveurs d’ovins. « Mon rôle est désormais de faire remonter un maximum d’informations à ma hiérarchie, poursuit Saadia Tamelikecht. Des décisions vont être prises au niveau du Gouvernement après passage par la cellule interministérielle de crise. » Ministres de l’agriculture et de l’écologie pourraient ainsi être invités à appliquer les règles avec assouplissement, ce qu’espèrent évidemment les agriculteurs qui manifestaient, hier, en soulignant que, avec les inondations qui ont ravagé les vallées Borgne et de l’Hérault en septembre 2020, ils ont dû faire face à trois années de problèmes.
Les manifestants ont tout de même appris que, le matin même, un nouvel arrêté sécheresse avait été pris à la suite du comité sécheresse tenu la veille en préfecture (lire ici). Pays viganais et Cévennes de l’ouest sont ainsi sorties de la zone de crise pour celle d’alerte renforcée, permettant l’arrosage une nuit sur deux. Une décision opportune motivée par la baisse des températures et surtout une pression touristique moins forte.
« Vous représentez 5 000 acteurs sur le territoire », a déclaré Régis Bayle dans son compte-rendu d’audience en sous-préfecture. Il a aussi promis de « veiller à ce que la problématique des réserves d’eau soit prise en considération par la Région », notamment au travers des fonds européens qu’elle gère. Avant d’inviter tout le monde à grignoter en bord de route, Gaël Martin, président de l’appellation d’origine Oignons doux des Cévennes, a tenu à retenir le positif du fait « que toutes les filières se soient réunies aujourd’hui. Une mobilisation sera bientôt prévue à Nîmes, il va falloir bouger ». Car au-delà des oignons et des pommes, toutes les filières agricoles souffrent de la sécheresse. En partant, un paysan résume le moment. « On est tous touchés, on ne pourra pas être tous indemnisés… »
François Desmeures
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