Depuis plusieurs années, les discussions de fin de soirée ont pris des allures de débriefing médical dans un centre de soins palliatifs. On ne refait plus le monde, on regarde comment il meurt. Parfois, ça ressemble à une discussion entre experts analysant une malfaçon de charpente industrielle. L’un soutient que c’est telle charnière (dette, masse monétaire, Euro, pénuries, inflation, déliquescence occidentale, écolo-talibanisme, etc.) qui va céder avec effet domino garanti, l’autre que c’est telle poutre maîtresse qui va tout faire péter, le dernier (qui a un rapport affectif avec le bois) voyant, lui, un travail de termites avec grand final façon tas de sciure.
Entre libéraux, c’est encore plus sportif car si chacun est d’accord sur l’essentiel, tout le monde s’engueule sur le reste (c’est pourquoi il est recommandé d’inviter un socialiste bon teint ou un bobo crispé pour entrelarder les débats de séquences agréablement farfelues).
Lors de ma dernière soirée fin du monde, nous nous sommes quand même félicités du vote à l’Assemblée nationale contre le passe sanitaire (ou vaccinal, on ne sait plus). Mais ça rechignait. Les temps présents demandent beaucoup de travail sur soi : se réjouir d’un vote auquel les députés LFI ont contribué est grisant mais équivoque, comme un match de foot que vous gagnez grâce à un but de la main. Je ne me connaissais aucun point commun avec Clémentine Autain ou le député rouquemoute du Nord dont je ne retiens jamais le nom, eh bien en voilà donc un.
Cela m’amène à une première conclusion. Entre le bonheur pour chacun (la voie libérale) et le bonheur pour tous (la voie du goulag), il y a en ce moment une sorte d’alliance objective dont il faudrait qu’elle ne durât pas trop longtemps pour l’équilibre psychique du quidam et pour la clarté des débats. On n’en est pas là. Naviguer à l’estime sur une mer oublieuse fait donc partie du charme de l’époque (on mélange tout ; je parie que dans six mois, l’affaire Dupont de Ligonnès fusionnera avec la disparition de Manuel Valls).
La discussion a ensuite dérivé sur l’affaire Uber et sur les motivations du mouchard ex- lobbyiste de la compagnie américaine (pas mouchard, a objecté le bobo : « lanceur d’alerte » ; on a rigolé). Je ne vais pas en faire des tartines sur nos spéculations, mais ça ne sent pas bon pour notre président ça-m’en-touche-une 2.0, dont le pouvoir vacille. Il est possible que le coup, en forme d’avertissement, vienne des Etats-Unis. Je verrais bien les néocons à la manœuvre pour punir notre jacto-président de sa mollesse Ukrainienne (reconnaissons ici qu’il est globalement moins taré que Bruno Le Maire et Olaf Scholz réunis, mais ça n’est pas non plus un exploit). Sur cette hypothèse, j’étais isolé, alors j’ai sorti une bouteille de Mirabelle de tonton Robbie et j’ai servi tout le monde.
On verra si notre ego-président a fait d’une pierre libérale (l’ouverture du marché des taxis à la concurrence) deux coups (financement de sa campagne), mais le fait est que sa capacité à encaisser commence à bien faire. Gilets jaunes, rebuffades régulières à l’étranger (il est vrai amorties en chansons de geste par nos médias), législatives foirées (je regretterai Richard Mutuelles-de-Bretagne Ferrand, je le trouvais délicieusement méphitique) : ça sent la fin, mais le cuistre est toujours debout.
C’est à ce moment de la soirée que la seule question valable a été posée (par mon ami théoricien de l’attaque de termites) : mais que fait Obélix ?
Ça nous a tous donné à réfléchir et un travail de mémoire a été entrepris. Avec le résultat suivant : oui, Obélix arrive. A sa manière, erratique, mais il arrive. Il s’est d’ailleurs annoncé une première fois voilà trois ou quatre ans. On s’en souvient, le président des Français (sic) avait reçu une taloche en public accompagnée du cri « Montjoie et saint Denis ! ».
La beigne était fugitive, mais le « Montjoie et saint Denis ! » bien envoyé. « Montjoie et saint Denis ! » vient en effet de loin (et même au-delà). C’est la thèse (écrite bien avant la baffe susmentionnée) d’une éminente historienne aujourd’hui disparue, Anne Lombard-Jourdan. Selon elle, les sources profondes du cri « Montjoie et saint Denis ! » sont à chercher du côté des… Gaulois. « Montjoie et saint Denis ! », selon l’historienne (formée à l’Ecole des chartes, le pédigrée est solide), trouverait ses racines dans une tradition celte qui signifiait « protège-pays ».
Alors, c’est vrai, le cri de ralliement n’a encore pas tout à fait pris. Il y a bien eu, quelques temps après, un jet d’œuf sur la tête de l’entité élyséenne, mais c’était médiocrement exécuté, brouillon et, bien sûr, sans le cri immémorial. De toute évidence, ce lancer d’œuf était le fait d’un individu n’ayant bénéficié d’aucune formation initiale (je crois même me souvenir que l’œuf était dur, ce qui, dans la discipline, vaut sûrement élimination directe). Plus proche de nous, juste après l’élection présidentielle (ce moment-zombie où, tous les cinq ans, nous sommes appelés faire barrage au peuple des vivants et au 4e Reich), il y a eu ce jet de tomates à Cergy-Pontoise sur le crâne de l’ego-président.
Ces signes ne trompent pas. Obélix arrive. Le problème, avec les baffes d’Obélix, c’est qu’elles emportent tout sur leur passage. Comme dans un roman de Julien Gracq, quelque chose vient, de radicalement inattendu, espéré et redouté.
Une affaire de vivants, quoi. Qui vive.
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