Un rapport d'information du Sénat du 3 juin détaillait un éventail de mesures possibles pour s’adapter à de prochaines pandémies, bien plus grave que le Covid-19. Les mesures explorées seraient bien plus contraignantes que celles appliquées jusqu'ici.
Drones, reconnaissance faciale caméras thermiques et dernièrement passe sanitaire. L'épidémie de Covid-19 aura ouvert la voie, de manière localisée, à de nombreux moyens de surveillance dans le but d'assurer le respect du confinement, de la vaccination ou du port du masque. Mais que se passerait-il si un virus encore plus dangereux se propageait ?
Les sénateurs Véronique Guillotin (Rassemblement démocratique et social européen, RDSE), Christine Lavarde et René-Paul Savary (Les Républicains) ont justement étudié, dans un rapport d'information du 3 juin dernier intitulé « Crises sanitaires et outils numériques : répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés », ce que la technologie peut permettre pour éviter des confinements et protéger les citoyens. « Les rapporteurs de la délégation à la prospective du Sénat ont une position claire : le recours à des technologies plus intrusives, mais très ciblées et limitées dans le temps, est la contrepartie d'une liberté retrouvée plus vite, pour ne pas avoir, à chaque fois, à remettre sous cloche le pays tout entier », annonce la synthèse du rapport.
Il ne s'agit pas pour autant des mesures souhaitées ni proposées par les trois sénateurs, mais imaginées dans le cas d'une pandémie aussi pathogène que la variole ou un épisode nucléaire. Inspirés par les politiques de certains pays asiatiques dans la lutte contre le Covid-19, ils placent les outils numériques au cœur de la sortie d'une crise sanitaire. « On a voulu montrer ce qu'on est en mesure de faire avec le numérique, en évaluant le bénéfice risque pour éviter de confiner tout le monde », précise René-Paul Savary à Marianne. Le sénateur préférerait pour une prochaine crise de « l'anticipation plutôt que de la précipitation », quitte à imaginer le pire.
Alertes sonores
Finis les contrôles humains à l’entrée des métros : un portique d’entrée sonore ferait l'affaire, pour les sénateurs. Vous êtes contagieux ou censé être confiné, ce portique vous le fera savoir, ainsi qu’à tous les utilisateurs du métro, en sonnant très fort à votre passage. Les entreprises de sécurité italienne Antares Vision et Vigilate avaient conçu en 2020 une technologie similaire qui repérait le non-port du masque grâce à des caméras et vérifiait la température corporelle. « Ce serait dans la plupart des cas suffisamment dissuasif pour qu’il ne soit même pas nécessaire de transmettre cette information aux autorités chargées de contrôler le respect des règles », argumente la délégation sénatoriale.
Les trois sénateurs reprennent aussi l’idée de l’entreprise suédoise Essity, qui avait voulu équiper ses employés d’un boîtier connecté pour faire respecter les distanciations, en janvier 2021. Porté autour du cou, il devait émettre un son de 85 décibels, soit l’équivalent d’un réveille-matin, si deux employés étaient trop proches. « L’initiative a été dénoncée comme anxiogène et inacceptable rappelle le rapport. Techniquement, toutefois, nul besoin d’un boîtier autour du cou : un smartphone peut faire la même chose avec son Bluetooth, et un son de 100 décibels. »
Contrôles à tout-va
Contrôle des déplacements, de l’état de santé, des transactions… les outils numériques ont réponse à tout. « Ce sont les plus efficaces, mais aussi les plus attentatoires aux libertés, prévient le rapport. Mais une fois de plus, il serait irresponsable de ne pas au moins les envisager, ne serait-ce que pour se convaincre de tout faire en amont pour ne pas en arriver là. » Mieux vaut y aller avec des pincettes quand on imagine imposer à une personne en quarantaine un bracelet électronique. L'idée apparaît en ultime recours dans le texte des sénateurs. Mais il ne serait pas seul pour surveiller les déplacements : il faut y ajouter une « désactivation du titre de transports en commun, une détection automatique de la plaque d’immatriculation par les radars, des caméras thermiques dans les restaurants… » Avec tout ça, difficile d'aller bien loin…
Les paiements par carte bancaire pourraient eux aussi être scrutés. L'objectif : détecter si un commerce poursuit illégalement son activité, « imposer une amende automatique » ou repérer « un achat à caractère médical » suggérant une potentielle contamination. « C'est une méthode qui existe déjà pour la sécurité routière : on identifie le propriétaire du véhicule par sa plaque d'immatriculation pour envoyer directement chez lui la contravention en cas d'excès de vitesse justifie René-Paul Savary. Pourquoi ce ne serait pas envisageable pour le domaine de la santé ? »
Tu sors, tu paies
On connaissait les tickets d’entrée pour aller au cinéma ou dans un parc d’attractions. Les trois sénateurs imaginent des cotisations pour sortir pendant le confinement. « Chaque sortie de mon domicile comporte un risque détaille le rapport, non seulement pour moi-même mais aussi pour le système de santé dans son ensemble. Si je préfère malgré tout disposer de ma liberté d’aller et venir, et que je sors effectivement de chez moi, il est légitime que j’assume en contrepartie une fraction du surcoût payé par la société du fait de l’épidémie, par exemple sous la forme d’une petite hausse de mes cotisations sociales si le nombre ou la durée de mes sorties excède un certain seuil. »
Les sénateurs précisent ensuite que ce surcoût serait « très minime », heureusement. Mais comment choisir qui va payer et le montant de la facture ? Là aussi, les sénateurs anticipent trois scénarios. Un système « universel », où chaque sortie compte de façon identique. Un système « assurantiel », où les personnes à risque, notamment les personnes âgées, paient un prix plus élevé car elles pourraient peser plus lourd sur le système de santé. Un troisième système de « responsabilisation », jugé comme le plus « juste », où le surcoût dépend du risque que l’on fait prendre aux autres. Concrètement, il répond à plusieurs facteurs : l'état de santé (vacciné ou non), les motifs du déplacement et les circonstances (en ville, à l’heure de pointe…). Dis-moi ce que tu fais je te dirai combien tu paies.
Un avenir inquiétant
« Et encore ne s’agit-il ici que de technologies limitées à la détection d’un état de santé avéré ou au contrôle d’un comportement effectif nuancent ensuite les sénateurs. Il est probable qu’émergent des technologies prédictives, soulevant des questions bien plus difficiles encore. » Le rapport développe en effet plusieurs situations peu souhaitables, où le virus serait un facteur discriminant à l'avenir, dont celui d'un employeur qui refuserait un postulant parce qu'il présenterait une comorbidité ou une propension trop importante à sortir avec des amis.
« Les immenses perspectives qu’ouvrent les technologies numériques à moyen et long terme dans le cadre de la gestion des crises sanitaires soulèvent en même temps de vertigineuses questions sur les moyens de garantir les libertés individuelles, à commencer par la vie privée », reconnaissent les auteurs du texte. Ils s'inquiètent par exemple des risques de dérives « évidents ».
Mais Véronique Guillotin, Christine Lavarde et René-Paul Savary soulignent que dans le cas d'une crise sanitaire bien plus grave que la pandémie actuelle, il faudrait se demander si le risque d'un manque de préparation technologique n'est pas plus grand que celui d'atteinte aux libertés et de dérives politiques. « Si nous ne nous préparons pas, d’autres le feront à notre place. Ce n’est certainement pas en laissant les régimes les plus autoritaires prendre une avance décisive en ce domaine, ou en abandonnant aux GAFA le soin de lutter contre les épidémies, que nous défendrons au mieux nos "valeurs démocratiques" ». Ce n'est pas rassurant pour la suite…
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