Emmanuel Macron a annoncé le 14 juillet un plan de sobriété énergétique. En quoi consiste-t-il ?
Ce plan s’inscrit dans une stratégie énergétique globale qui vise à faire un effort de 40 % sur notre consommation d’ici à 2050. Il s’appuie sur trois piliers annoncés par le Président le 10 février : la sobriété et l’efficacité énergétiques, l’accélération du développement des énergies renouvelables et la relance du programme nucléaire. D’ici à 2024, notre consommation d’énergie doit baisser de 10 %. Cette première marche est la plus facile à franchir.
Comment ?
On commence par les gros acteurs, l’État et les grandes entreprises, car les Français ne peuvent légitimement accepter qu’on leur demande de faire des efforts si les grands acteurs n’en font pas. Pour montrer l’exemple, l’État, les administrations et les ministères sont les premiers concernés. Nous travaillons aussi avec les partenaires sociaux ; les établissements qui reçoivent du public, centres commerciaux et grande distribution ; mais aussi le tourisme, le logement résidentiel et les collectivités locales. Avec la Première ministre, nous attendons de ces acteurs des plans d’action à l’automne : concrètement, chacun nous dira comment il compte s’y prendre pour réduire sa consommation.
La grande distribution a pris des engagements cette semaine, vous l’incitez à aller plus loin. De quelle façon ?
Les mesures annoncées sont très concrètes : baisse de l’intensité lumineuse, interruption de la ventilation la nuit, respect des températures de consigne (19 degrés en hiver, 26 en été). On va chiffrer les économies d’énergie que cela représente et qui sont considérables. Mais il y a encore des marges de manœuvre en utilisant par exemple un système de détection dans les parkings pour que la lumière ne s’allume que quand il y a quelqu’un.
Qu’en est-il des commerces ?
Les Français sont à juste titre choqués par certaines pratiques. Dans les prochains jours, je vais prendre deux décrets : le premier généralise l'interdiction des publicités lumineuses quelle que soit la taille de la ville, entre 1 heure et 6 heures du matin, sauf rares exceptions comme les gares et les aéroports qui ne ferment pas la nuit ; et le deuxième interdit, pour un magasin, d’avoir ses portes ouvertes alors que la climatisation ou le chauffage fonctionne. La clim à fond la porte ouverte, ce n’est plus acceptable ! Et cela permettra aux commerçants de réduire leur facture énergétique de près de 20 %.
Les contrôles vont-ils être renforcés ?
Avec Olivia Grégoire, nous allons d’abord informer sur ces mesures qui ne fonctionnent que si tous les commerçants les appliquent. Mais il ne faut pas s’interdire de sanctionner si besoin : jusqu’à 750 euros d’amende pour des portes ouvertes et 1.500 euros pour les enseignes lumineuses.
Faut-il augmenter le recours au télétravail pour diminuer notre consommation de carburant ?
Le sujet est sur la table. J’attends des organisations professionnelles qu’elles fassent des recommandations à leurs membres en fonction de chaque situation, car il n’y a pas de vérité unique. Ce n’est pas à l’État de se substituer au dialogue social.
L’Agence internationale de l’énergie conseille de diminuer la vitesse de circulation sur les autoroutes de 10 km/h. Allez-vous suivre cette recommandation ?
Les entreprises pourraient prendre position sur ce sujet, dans le cadre des déplacements professionnels par exemple. Si leurs salariés roulent moins vite sur l’autoroute, ce sont des économies de carburant à la clé.
Vous vous en remettez donc à la bonne volonté des entreprises ?
Je fixe un objectif ; aux partenaires sociaux de définir comment ils veulent y parvenir. On nous a beaucoup reproché, sans doute avec raison, d’avoir trop voulu décider pour tout le monde.
L’industrie est-elle aussi concernée par cet effort de sobriété ?
Oui, elle l’est aussi. Mais c’est l’un des rares secteurs qui optimisent leur consommation d’énergie depuis très longtemps car c’est un facteur essentiel de compétitivité, voire de survie. On ne va pas demander à ceux qui font déjà des économies d’énergie depuis plusieurs années de faire le même effort que des activités publiques ou tertiaires pour lesquelles ce poste de dépense était secondaire et négligé. L’enjeu est aussi de protéger nos chaînes de production et donc notre souveraineté.
Les industries seront-elles concernées par le délestage, en cas de tension sur le réseau cet hiver ?
Les industriels peuvent interrompre ponctuellement leurs processus pour diminuer leur consommation d’énergie. Mais pas tous : par exemple, un haut-fourneau ne peut pas s’arrêter du jour au lendemain ; c’est un risque de casse industrielle de plusieurs centaines de millions d’euros. Certains secteurs sont pilotables, d’autres moins. Il faut des délais pour les prévenir. Là aussi, il faudra faire du cas par cas. Je leur ai donc demandé de me faire part de leurs vulnérabilités en cas d’interruption. Nous avons aussi lancé un recensement des groupes électrogènes.
Pouvez-vous assurer que les Français ne seront pas concernés par des coupures ?
Toutes les actions que nous mettons en place doivent permettre de l’éviter. Mon travail est d’organiser et de prévoir les scénarios du pire. Nous referons un point à la rentrée avec les gestionnaires du réseau électrique et de gaz pour suivre précisément les risques cet hiver, et donner des informations claires et transparentes aux Français.
Les Français auront-ils des efforts à fournir ?
Il faut d’abord qu’ils soient mieux informés de leur consommation par les énergéticiens. Presque tous les Français ont des compteurs qui leur permettent de connaître en temps réel leur consommation d’électricité, mais seulement 15 % les utilisent. Il faut aussi remettre au goût du jour les tarifs qui encouragent la sobriété. Si je fais ma machine à laver après 22 heures ou avant 8 heures du matin, je soulage le réseau et je dois le voir dans mon porte-monnaie. Une campagne de communication sera lancée à l’automne pour sensibiliser les Français à tous ces gestes. Mais je ne demanderai jamais à ceux qui sont en situation de précarité énergétique de faire plus d’efforts : il faut les accompagner.
Comment ?
Nous augmentons le budget pour encourager les particuliers à mener des opérations de rénovation énergétique de leur logement. Et nous lançons cet été un appel à projet de 150 millions d’euros pour mieux accompagner les plus précaires. Car c’est l’un des obstacles : savoir où trouver l’information, monter un dossier administratif, etc.
N’y a-t-il pas une contradiction entre l’effort de sobriété d’un côté, et les aides aux conducteurs de l’autre ?
Non. L’essence a augmenté, c’est une réalité. Si vous vivez dans un milieu rural, que vous devez déposer vos enfants à l’école et aller travailler, vous ne pouvez pas vous passer de voiture. Vous n’avez pas toujours les moyens de changer de voiture pour un modèle hybride ou électrique, ou de borne de recharge proche de chez vous. À moyen terme, il faut accompagner les Français dans leur transition énergétique, mais à court terme il faut s’adapter aux réalités : certains n’ont pas le choix.
La tension est d’autant plus forte que la moitié du parc nucléaire français est à l’arrêt. Un rapport doit être rendu la semaine prochaine. Avez-vous déjà des éléments ?
Il y a une confusion entre les arrêts classiques de maintenance l’été et les problèmes de corrosion. "Seuls" 12 réacteurs sont à l’arrêt à cause de la corrosion ! EDF est mobilisé pour que les réacteurs en maintenance redémarrent avant l’hiver. Mais il est vrai qu'aujourd'hui EDF produit 20% en moins par rapport à 2017, il faut compenser au plus vite cette diminution. On va par ailleurs lancer l’un des plus gros programmes industriels au monde avec six nouveaux réacteurs.
Est-ce crédible de miser sur de nouveaux réacteurs au regard des difficultés rencontrées par celui de Flamanville (Manche) ?
Nous savons aujourd’hui ce qui explique les dérapages budgétaires ou de délai, et nous en avons tiré les conséquences. EDF a déjà lancé le recrutement de 3.000 professionnels, et nous nommerons un délégué interministériel au nouveau nucléaire qui pilotera le projet pour l’État. Celui-ci aura la charge de l’accompagnement administratif (aspects réglementaires et environnementaux, consultation du public), de la régulation du marché, des compétences – nous avons besoin de recruter 10% des ingénieurs formés en France chaque année ! – et du pilotage de la chaîne de sous-traitance.
L’Union européenne demande un effort de réduction de 15 % de la consommation de gaz par pays, quelle sera votre réponse, mardi à Bruxelles ?
On prendra toute notre part, parce qu’il faut jouer collectif. Si la chimie allemande s’enrhume, c’est toute l’industrie européenne qui tousse ! La solidarité doit fonctionner, et elle doit être réciproque sur le gaz comme sur l’électricité. Ensemble, nous pouvons être plus forts. Anticipons : préparons des achats groupés de gaz, accompagnons les petits acteurs gaziers, travaillons avec les entreprises qui peuvent diminuer leur consommation ponctuellement, coordonnons-nous entre États membres. Partons aussi de la réalité : ne demandons pas à l’Irlande de faire un effort important si elle n’a pas d’infrastructures pour livrer du gaz à l’Europe continentale.
Vous allez présenter à la fin de l’été un projet de loi d’accélération de la transition énergétique. Que contient-il ?
Nous lançons un grand plan de développement des énergies renouvelables [EnR] qui comporte plusieurs volets. Le premier est législatif, car certaines mesures doivent passer par la loi, comme l’autorisation d’implanter ces EnR sur les délaissés routiers, ces portions de voie inutilisées. Mais nous avons dès maintenant un volet d’organisation et un volet réglementaire. Nous prendrons une initiative dans les prochains jours, avec Gérald Darmanin [Intérieur] et Stanislas Guerini [Transformation et Fonction publiques] pour faire du déploiement des EnR une priorité et aider les préfets en ce sens. Cartographier par département les zones inondables, à risques, etc. sur lesquelles il ne sert à rien de prévoir un projet est aussi utile pour les élus. Je finalise également pour la semaine prochaine des décisions pour débloquer la production de 10 gigawatts d’énergie photovoltaïque et éolienne, ainsi que de biogaz. C’est l’équivalent de la consommation annuelle d’électricité de la population des Hauts-de-France. Nous publierons enfin un décret pour réduire les temps de contentieux : chaque étape d’un recours contre un projet, éolien par exemple, devra tenir en dix mois avant de passer à la phase suivante, qu’une décision ait été prise ou non. Aujourd’hui, nous mettons deux fois plus de temps que les Allemands, les Suédois et les Néerlandais à mener des projets.
Comment vous assurer que ce texte ne sera pas détricoté ou ralenti, comme on l’observe ces premières semaines au Parlement ?
Je veux que la concertation avec les parlementaires se fasse en amont. J’ai déjà pris contact avec les présidents, au Sénat, des commissions des affaires économiques et du développement durable, ainsi qu’avec les députés de la majorité. Plusieurs élus, socialistes ou des Républicains, m’ont fait savoir qu’ils voulaient travailler avec moi. J’ai tout intérêt à bâtir avec eux les meilleures solutions.
Travaillerez-vous avec le Rassemblement national (RN), La France insoumise (LFI) ?
La question ne se pose pas en ces termes. Je vais rencontrer tous les présidents de groupe pour discuter des enjeux. Qui que soit le député qui me sollicite, je répondrai, parce que je suis ministre : je dois rendre des comptes au Parlement. Mais je ne me livrerai pas à des manœuvres d’approche du RN ou de LFI pour obtenir un accord. Il n’y aura aucune compromission.
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