La crise de l’énergie nucléaire française contrarie la volonté de l’Europe d’abandonner l’énergie russe
« La France exporte généralement de l’électricité, mais elle risque désormais de connaître des pannes et de devoir importer de l’énergie en raison des problèmes rencontrés par l’opérateur nucléaire public.
PARIS – Des panaches de vapeur s’élevaient récemment au-dessus de deux réacteurs de la centrale nucléaire de Chinon, au cœur de la verdoyante vallée de la Loire, en France. Mais le ciel au-dessus d’un troisième réacteur était exceptionnellement dégagé – ses opérations ont été gelées après la découverte inquiétante de fissures dans le système de refroidissement.
Cet arrêt partiel n’est pas unique : Près de la moitié du parc nucléaire français, le plus important d’Europe, a été mis hors service alors qu’une tempête de problèmes inattendus s’abat sur l’exploitant national de l’énergie nucléaire, Électricité de France, ou EDF.
Alors que l’Union européenne s’apprête à couper ses liens avec le pétrole et le gaz russes à la suite de la guerre de Moscou contre l’Ukraine, la France a misé sur ses centrales nucléaires pour faire face à une pénurie d’énergie imminente. L’énergie nucléaire fournit environ 70 % de l’électricité en France, soit la part la plus importante au monde.
Mais l’industrie a sombré dans une crise énergétique sans précédent, EDF étant confrontée à des problèmes allant de l’émergence mystérieuse de la corrosion sous tension dans les centrales nucléaires à un climat plus chaud qui rend plus difficile le refroidissement des réacteurs vieillissants.
Les pannes d’EDF, le plus grand exportateur d’électricité d’Europe, ont fait chuter la production d’énergie nucléaire de la France à son niveau le plus bas depuis près de 30 ans, faisant grimper les factures d’électricité des Français à des niveaux record au moment même où la guerre en Ukraine alimente une inflation plus générale. Au lieu de pomper de grandes quantités d’électricité vers la Grande-Bretagne, l’Italie et d’autres pays européens qui se détournent du pétrole russe, la France est confrontée à la perspective troublante de déclencher des coupures de courant cet hiver et de devoir importer de l’énergie.
EDF, déjà endettée à hauteur de 43 milliards d’euros (environ 45 milliards de dollars), est également exposée à un récent accord impliquant l’opérateur nucléaire russe Rosatom, soutenu par l’État, qui risque d’infliger de nouvelles difficultés financières à l’entreprise française. Les problèmes ont pris une telle ampleur que le gouvernement du président Emmanuel Macron a laissé entendre qu’EDF pourrait devoir être nationalisée.
« Nous ne pouvons pas l’exclure », a déclaré mardi Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la transition énergétique. « Nous allons avoir besoin d’investissements massifs dans EDF ».
La crise ne pouvait pas tomber à un pire moment. Les prix du pétrole ont atteint des sommets après que l’Union européenne a accepté de couper le pétrole russe, ce qui a intensifié la douleur économique en Europe et ajouté à une crise du coût de la vie que la France et d’autres pays s’efforcent de résoudre. Le prix du gaz naturel, que la France utilise pour compenser les fluctuations de l’énergie nucléaire, a également augmenté.
Alors que l’agression russe redéfinit les considérations énergétiques de l’Europe, les défenseurs de l’énergie nucléaire affirment qu’elle peut contribuer à combler le déficit énergétique de l’Europe, en complément d’un changement qui était déjà en cours pour adapter l’énergie éolienne, solaire et d’autres énergies renouvelables afin d’atteindre des objectifs ambitieux en matière de changement climatique.
Mais il ne sera pas facile de résoudre la crise d’EDF.
Avec 56 réacteurs, le parc atomique français est le plus important après celui des États-Unis. Un quart de l’électricité européenne provient de l’énergie nucléaire dans une douzaine de pays, la France en produisant plus de la moitié.
Mais l’industrie nucléaire française, construite pour l’essentiel dans les années 1980, souffre depuis des décennies d’un manque de nouveaux investissements. Les experts affirment qu’elle a perdu de précieuses compétences en matière d’ingénierie en raison des départs à la retraite ou des mutations, ce qui a eu des répercussions sur la capacité d’EDF à maintenir les centrales existantes ou à en construire de nouvelles pour les remplacer.
« La stratégie d’EDF, soutenue par le gouvernement, a consisté à retarder le réinvestissement et la transformation du système », a déclaré Yves Marignac, spécialiste de l’énergie nucléaire chez négaWatt, un groupe de réflexion à Paris. « Plus EDF tarde, plus les compétences se perdent, les problèmes techniques s’accumulent et il y a un effet boule de neige. »
M. Macron a récemment annoncé un plan de 51,7 milliards d’euros pour reconstruire le programme nucléaire français. EDF construirait le premier d’un maximum de 14 réacteurs à eau pressurisée de nouvelle génération d’ici 2035, ainsi que des centrales nucléaires plus petites – la pierre angulaire d’un effort plus large pour renforcer l’indépendance énergétique de la France et atteindre les objectifs climatiques.
Mais les quelques nouveaux réacteurs nucléaires construits par EDF ont été victimes d’énormes dépassements de coûts et de retards. Un réacteur à eau pressurisée construit par EDF à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, ne commencera pas à fonctionner avant 2027, soit quatre ans de retard et trop tard pour aider la Grande-Bretagne à se détourner rapidement du pétrole et du gaz russes. La toute dernière centrale nucléaire d’EDF en Finlande, qui a commencé à fonctionner le mois dernier, était censée être achevée en 2009.
Les récents problèmes d’EDF ont commencé à s’accumuler juste avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’entreprise a prévenu l’hiver dernier qu’elle n’était plus en mesure de produire un approvisionnement régulier en énergie nucléaire, car elle s’est efforcée de rattraper un retard de deux ans dans la maintenance requise pour des dizaines de réacteurs vieillissants, retard qui a été reporté pendant les périodes de blocage dues au coronavirus. »
Source New-York Times ici
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