Je redécouvre la lumière que je croyais connue. D’une façon générale, je ne découvre les choses véritables qu’en lisant Steiner homme étonnant d’intelligence et de vie. Pour apprécier la lumière, la comprendre, il faut la rapprocher de ce qui est son "contraire", la matière, masse d’obscurité. Toutefois il faut nuancer car on peut imaginer se trouver plongé dans la plus grande obscurité sans pour autant que vienne à notre esprit l’idée de notre enfermement dans la matière. Matière : état du monde arrivé à son point terminal. Lumière: "Vous êtes la lumière du monde".
La lumière est hors-matière, en fait anti-matière. Elle s’épanouit dans ce qui précisément n’est pas elle, sauf bien sûr à considérer que l’air en qui nous vivons est matériel mais que pourtant il n’existe pas partout. Dans l’espace cosmique l’air est absent. La lumière n’y brille pas moins. La lumière comme "anti-matière" a une influence sur la matière, parfois elle la traverse, parfois en est repoussée. Quand elle la traverse, on observe des choses qui ont toujours intrigué les hommes. Mais il arrive aussi qu’elle se traverse elle-même et on a alors des interférences, des zones d’obscurité. La lumière "tue" alors sa lumière, puisque capable de produire le contraire de ce qu’elle est jusqu’à un certain point. Ce sont les interférences découvertes par Fresnel. Elles ne sont pourtant pas aussi "noires", que l’obscurité totale que nous avons au sein de la matière ou au sein d’un espace luminifèrement étanche en lequel notre moi, s’il se maintient, connait l’horreur. Les enfants ont instinctivement peur de cette obscurité.
Steiner dit que nous flottons dans la lumière et que l’obscurité nous aspire. Mais il y une autre aspiration : le sommeil. Parfois nous-mêmes aspirons au sommeil lorsque les lumières venues du monde sont trop fortes. Là, le phénomène lumière n’est pas perçu comme un phénomène physique extérieur, mesurable, presque palpable, mais comme une sensation intime ou même une absence de sensation puisque dans le sommeil nos sens se meurent, y compris le plus mystérieux de tous : le sens de la conscience de soi, le sens d’exister en tant qu’individu, le sens du "je". Saint John Perse a quelque part cette exclamation qui, dans un contexte apoétique apparaitrait assurément banale : "Ô joie inexplicable, sinon par la lumière". Ainsi, la proximité du lumineux avec la joie humaine, est une nouvelle définition du phénomène. La joie existe, et ne s’explique que par sa parenté au phénomène lumineux. Similia similibus curantur. Proposition plus juste que celle de Descartes et son « je pense donc je suis ». La sécheresse désormais admise, bien que fausse dans son principe de la proposition, interdit le rapprochement avec l’aphorisme persien. Pourtant, le « je pense » serait un excellent candidat à la lumière, le « je suis », moins.
L’apport cependant de Steiner est au-delà de ces réflexions. Il récuse l’idée de Newton que la lumière blanche contient 6 (ou 7) couleurs. La lumière ne contient pas de couleurs mais en révèle l’existence selon comment elle se comporte au contact de la matière plus ou moins obscure, ou avec elle-même quand elle produit une ombre irisée que Grimaldi avant Fresnel avait remarquée. Et quand on pense que c’est sur l’idée que le prisme décompose la lumière blanche qui contient des couleurs, qu’est fondé un des axiomes de la physique enseigné à l’école, on peut s’inquiéter. Quant à sa vitesse, elle est si grande que métaphysiquement elle équivaut à de l’immobile.
Une deuxième inquiétude lui fait suite lorsque la sentence cartésienne "je pense donc je suis" admise par tous, est transformée en son contraire "je pense, donc je ne suis pas ". Le fait d’être, de se sentir être, est en effet une chose bien étrange qui ne nécessite à priori aucune pensée où devrait s’ouvrir la fleur du « je ». Je crois que le chat, par maints abaissements lents de paupière devant le spectacle du monde, témoigne par son je félin de son approbation sans retenue du monde. Le chat ne se pose pas la question de l’être, il l’est. Et de ne pas savoir comme nous qu’il l’est, est sa félicité de chat. Elle n’est pas si loin de la joie inexplicable sinon par la lumière comme de celle explicable disant "qu’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau mais pour qu’elle éclaire ceux qui sont dans la maison". La lumière et une maison. Propos qui aurait étonné Newton jouant avec les grains lumineux de ses petites planètes gravitantes.
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