Quand on est jeune étudiant d’Agrotech Paris, filière de formation pour ingénieur dans l’agriculture et l’agroalimentaire, il n’est pas toujours simple de faire le buzz. Reconnaissons cependant une belle réussite à l’exercice mené par un petit groupe d’entre eux pour exprimer leurs soucis.
C’est une vidéo qui a largement fait parler d’elle ; c’est normal, elle a tous les bons ingrédients de la recette pratique pour une viralité d’actualité : tombée à un moment plutôt creux sur le plan politique (la campagne électorale n’intéresse personne ou presque, et l’actualité internationale est assez peu folichonne), elle permet à une poignée de jeunes ingénieurs d’expliquer leur façon d’envisager leur futur.
Le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’enrobent pas trop leurs pensées.
Voilà, c’est dit : « l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur Terre ». Pire encore, tout indique selon eux que « l’innovation et les startup ne sauveront rien d’autre que le capitalisme ». Jolie tirade qui, si l’on y réfléchit plus d’une seconde, ne veut strictement rien dire. Une faible lueur qui s’allume lorsqu’ils expliquent ne croire « ni au développement durable » (la célèbre oxymore de Maurice Strong) « ni à la croissance verte » est vite mouchée quelques mots plus tard quand déboulent les habituelles enfilades de poncifs et de pleurnicheries sur l’agro-alimentaire qui (bien sûr) asservit les uns et rend malades les autres, parce qu’elle le fait exprès (et qu’elle est méchante).
Eh oui : comme souvent et par un manque d’analyse malheureusement devenu chronique en France, à un vrai malaise qu’ils ressentent lorsque, confrontés à l’incroyable dureté de la réalité du terrain, ils découvrent l’état critique de professions devenues impossibles, insensées et génératrices de malheur, ces jeunes font correspondre les discours bobo-écolo-mélenchon-NUPESques, aussi ridicules qu’inopérants.
Soyons clair : il s’agit ni plus ni moins qu’une énième resucée du « retour à la Terre » dans un discours qui sent bon le foin et la cigarette qui fait rire. Et en pratique, si ce retour fonctionne pour une petite minorité, il ne nourrit pas la majorité, loin s’en faut et n’a jamais constitué une solution, ni ici, ni ailleurs, ni maintenant, ni jadis et certainement pas dans un futur toujours fantasmé meilleur mais jamais réalisé au présent. En effet, après la présentation initiale de jobs et de carrières qui ne les intéressent pas, on trouve surtout un discours écologiste de gauche et parfaitement à la mode, badigeonné de ces bonnes intentions qui pavent les enfers les plus faméliques, discours qui vire d’ailleurs rapidement au plan collectiviste car après tout, c’est ça, la lutte contre le capitalisme.
Et si l’on peut souhaiter un retour à la nature et, pourquoi pas, un retour à une certaine forme de simplicité, on ne voit pas le début du bout du commencement d’un souhait réel de remettre en question ce qui les amène à ces constats : la vie impossible des agriculteurs, les dégradations et les errements qu’ils constatent tiennent beaucoup plus d’une sur-représentation bureaucratique délirante, d’un socialisme et d’un collectivisme absolument débridé, que du capitalisme pur et dur.
Oh oui, ils ont eu une expérience bien précise du capitalisme : celle du capitalisme de connivence, quasiment le seul qui existe encore en France (et dans beaucoup trop de pays occidentaux, du reste), par lequel l’État impose ses diktats au travers d’oligopoles restreints qui, en retour, bénéficient d’une immense chasse gardée et finement contrôlée par des avalanches de textes réglementaires…
Ainsi, pourquoi croient-ils que ces industriels dénoncés dans leur petit laïus font ces labels éco-conscients débiles qui amènent à pressurer les agriculteurs et mettent en place des process de fabrication, d’emballage et de commercialisation que ces jeunes branleurs dénoncent ? Précisément parce que toute la société, jeunes branleurs inclus, a réclamé à cors et à cris ces labels, cette éco-conscience et ces process tordus. Oh, pas directement, mais par le truchement de ces myriades de politiques écologiques et agricoles à tous les niveaux, depuis le moindre canton jusqu’à l’appareil européen tout entier, depuis des décennies, encore et encore.
Autrement dit, ils ne se rendent pas compte que leur attitude, celle-là même qu’on retrouve en réalité partout dans la société française et particulièrement bien lovée parmi les militants NUPESques, écolo-boboïdes et autres nouveaux néoruraux improvisés, c’est aussi une des sources de ces problèmes, si ce n’est la principale.
Et les voilà qui se réveillent maintenant, expliquant qu’ils ne croient pas au développement durable.
C’est très bien, mais c’est trop tard : cela fait des trouzaines d’années qu’on pousse ce concept (qui date des années 70), qu’on pousse l’idée que l’humain est un virus polluant sur la planète, qu’on insiste sur le fait qu’il détruit tout et détraque le climat depuis 30 ou 40 ans au moins et qu’on se sert de cette fable pour augmenter le pouvoir d’intervention de la force publique, de l’État et de ses institutions pléthoriques.
Ce qu’ils dénoncent, c’est précisément le résultat de choix toujours plus politisés, et pour tout dire, toujours plus marxistes, imposés dans l’agriculture et non le libéralisme débridé qui, pour rappel utile, imposerait la réduction des contraintes, des lois, règlements et directives étouffantes, et non leur augmentation stratosphérique typique de la bureaucratie socialiste d’essence quasi-soviétique que nous subissons tous actuellement.
Et pour lutter contre cet étouffant marxisme si ce n’est dans le nom, au moins dans les faits, que proposent-ils ? De pratiquer au quotidien « une écologie populaire, décoloniale et féministe », d’aller rejoindre une ZAD (à Notre-Dame des Landes), de faire « des ateliers vélo autogérés »… En somme, du marxisme.
Alors oui : qu’ils aspirent à des choses différentes de ce qu’ils ont vu, tant mieux et à vrai dire, ce n’est pas discutable : chacun choisit son chemin. Qu’ils cherchent autre chose que les bidules technobranchouilles qu’on leur vend à Paris et dans leurs cercles étudiants, pourquoi pas et après tout, tant mieux : ce monde a besoin de tous les caractères et ceux-là, clairement, ne sont pas faits pour mener la vie qui semble avoir été tracée pour eux. Leur réveil leur sera peut-être bénéfique et s’ils ne se sentent pas l’âme d’un cadre citadin, découvrir tout ce que le monde peut offrir est une excellente expérience.
En revanche, il est totalement lunaire de justifier cette découverte – fort tardive – de l’inadéquation entre leurs valeurs et leurs études par une nécessité de combattre le capitalisme ou une volonté de faire de l’écologie biosyntonisée décoloniale et mon cul sur la commode.
Car il est bel et bien lunaire de croire que leurs petites lubies « populaires, décoloniales et féministes » constituent une solution pour le plus grand nombre ou même une voie possible pour simplement nourrir ceux qui sont autour d’eux (sans parler de ceux qui arrivent, soit dans les générations futures, soit par immigration de plus en plus massive).
Imaginer que faire paysan-boulanger-brasseur – pour être à la mode et comme ils le proposent – conviendra à une majorité, ou plus simplement permettra à plus que quelques uns de se nourrir honorablement, c’est se bercer d’illusions : comme leurs aînés il y a 50 ans partis élever des chèvres dans le Larzac, très peu y sont restés (et au passage, ceux qui sont revenus, épuisés de leurs expériences malheureuses, se sont pour beaucoup empressés de consciencieusement pourrir la vie des générations actuelles).
Enfin, on ne pourra pas passer sous silence l’écart entre leur situation et celle du reste de la jeunesse, non pas celle qui les applaudit, dans la salle en face, confortablement carrée dans les fauteuils accueillant de l’amphithéâtre où la soirée se déroulait, mais bien cette jeunesse qui subit 24% de chômage actuellement et qui va continuer à galérer franchement. Pour nos fiers « bifurqueurs », il est assez probable que le passage par Pôle Emploi n’aura pas le même sel que pour tous les autres qui auraient bien goûté au luxe de leur formation (le coût moyen de formation d’un ingénieur est de 33 000 euros sur 3 ans, financé très majoritairement par nos impôts), ou qui, à leur grand dam, n’ont pas été sélectionnés au concours à quelques places près, places prises par ces branleurs.
En somme, ils font ce qu’ils veulent avec leur diplôme mais au final, tout ce beau discours n’est qu’un énième signalement vertueux et il ne peut qu’être consternant quant à l’avenir réel de tout le pays, qui semble ravi de démotiver sa jeunesse.
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