« La première chose sur laquelle on fait beaucoup
d’erreurs, c’est qu’on croit que la liberté d’information, le droit à la
liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout,
c’est un droit du lecteur du journal. » - Jean-Paul Sartre, 1973
La charte des journalistes de Munich impose par principe de « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ». Censés rendre compte de la guerre en Ukraine, les médias répètent en boucle à peu de chose près : « De nouvelles sanctions devraient s’abattre sur la Russie suite au massacre de Bucha où près de 300 personnes auraient été enterrées dans des fosses communes ».
L’emploi du conditionnel (« auraient été enterrées ») ne dispense nullement de la recherche de sources, d’autant que certains faits ne concordent pas avec ces accusations. Ainsi, peut-on vraiment penser qu’avant de partir sans précipitation en permission au bout d’un mois d’engagement ou d’aller renforcer le front de l’est de l’Ukraine, les troupes russes auraient oublié de retirer des rues les cadavres de civils, au risque de se voir accusées de crime de guerre ? À l’appui de ce doute, dans une vidéo peu relayée, le maire de Bucha a déclaré après le départ des Russes :
« Regardez comme Bucha est paisible après l’invasion de la Russie. Dieu merci, nous sommes tous vivants et en bonne santé. Nous allons tout reconstruire ! »
Puisque, selon le maire, il n’y avait pas de cadavres dans les rues au départ des soldats russes, ne reste plus que l’hypothèse d’exactions de nazis ukrainiens. Sans citer aucune source, sans préciser s’il y a eu une exhumation — nécessaire au comptage —, les médias annoncent avec beaucoup d’aplomb des quantités de morts diverses et variées :
- Sur Euronews : « Des dizaines de corps gisent dans une fosse commune à Bucha »
- Youtube : « Des centaines de personnes sont enterrées dans une fosse commune à Bucha, près de Kiev »
- Toujours sur Youtube : « Guerre entre la Russie et l’Ukraine : près de 300 personnes enterrées dans une « fosse commune » à Bucha, près de Kiev. »
- NDTV a un chiffre plus précis : « Un charnier de 280 personnes : l’Ukraine compte les morts dans la ville saisie par la Russie. »
- TheMoscouTimes — journal occidental, mais situé en Russie — ne voit prudemment qu’« Un charnier de 57 corps à Bucha ».
Le massacre de Timisoara vu par les médias et par Acrimed
L’affaire des charniers de Timișoara en Roumanie en, à laquelle fait penser l’affaire du massacre de Bucha, est devenue un cas d’école pour la formation des journalistes. Elle est l’exemple même d’une fausse information des médias. Elle concernait des victimes de la répression du régime de Nicolae Ceaușescu. Une vingtaine de corps de personnes mortes avant le début des événements avaient été photographiés et filmés par les médias internationaux et, sur la base de fausses informations, données comme des victimes des forces de sécurité. Une fois la vérité rétablie — les cadavres avaient été volés à la morgue de l’hôpital de Timisoara —, cet épisode a déclenché une vive polémique sur l’incapacité de la presse à enquêter de façon professionnelle sur les événements. Contrairement aux divers chiffres sur Bucha, à Timisoara les journalistes s’étaient mis d’accord sur le même. Un chiffre, ça fait sérieux, officiel.
« Sur la Cinq, Guillaume Durand donna le chiffre de 4 630 corps comme un “bilan tristement officiel”. Sur France Inter, le correspondant de la station annonça à son tour comme une certitude avérée la découverte de 4630 cadavres à Timisoara. Derrière lui, en plateau, le commentateur reprit : “4630 cadavres, vous avez bien entendu, dans une seule fosse commune !” A quatre reprises au cours de ce journal, le chiffre de 4 630 cadavres fut cité sans que nulle source ne fût jamais indiquée. Dans Libération (23/12/1989), un titre sur deux pages fit état des 4 630 cadavres ; il était accompagné d’un éditorial de Serge July titré “Boucherie”. Le Monde félicita La Cinq d’avoir “révélé l’horrible charnier des victimes des manifestations”. »
TF1 titrait des fake news les plus invraisemblables : «
Ceaușescu, atteint de leucémie, aurait eu besoin de changer son sang
tous les mois. Des jeunes gens vidés de leur sang auraient été
découverts dans la forêt des Carpates. Ceaușescu vampire ? Comment y
croire ? La rumeur avait annoncé des charniers. On les a trouvés à
Timișoara. Et ce ne sont pas les derniers ».
Osant tout, le magazine allait même jusqu’à : « Dracula était communiste ».
Le quotidien Libération avec Serge July titrait « Boucherie ». On y lit : « Timișoara
libéré découvre un charnier. Des milliers de corps nus tout juste
exhumés, terreux et mutilés, prix insupportable de son insurrection ». Le 3 avril 2022, fidèle à ses archives, Libération récidive : « Ukraine, ce n’est plus une guerre, c’est une boucherie ».
Le Monde félicitait La Cinq d’avoir « révélé l’horrible charnier des victimes des manifestations du dimanche précédent ».
Finalement à Timisoara, il y aura pas eu 4 630 cadavres. Et Ceaușescu n’était pas un vampire qui vidait le sang des enfants. La manœuvre du président Volodymyr Zelensky est la même. Il dénonce carrément « un génocide » à Bucha “Ce que vous voyez maintenant, c’est le génocide. Nous savons qu’il y a des milliers de personnes qui ont été tuées et torturées, avec des membres coupés, des femmes violées, des enfants tués. Je pense que c’est le génocide.”
Les journalistes ont complètement oublié que même en temps de guerre, ils n’ont pas à prendre partie. Faut-il continuer à les croire depuis les fake news du bombardement du mémorial de Babi Yar par les Russes, des treize soldats ukrainiens tués sur l’île des Serpents par… les Russes, jusqu’au massacre de Bucha par… eh oui, bien sûr par les Russes ?
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