Intéressante péripétie à laquelle nous convie Elon Musk, cet entrepreneur milliardaire qui expédie en orbite via sa société Space-X une voiture électrique de sa société Tesla, et qui est essentiellement partie d’un simple sondage.
Le 25 mars dernier, Musk lançait en effet sur Twitter un sondage sous forme d’une question simple : « La liberté d’expression est essentielle à une démocratie qui marche. Pensez-vous que Twitter adhère rigoureusement à ce principe ? »
L’homme, qui compte plusieurs dizaines de millions d’abonnés, n’a pas tardé à recevoir une réponse claire puisque plus de 70% des internautes ayant participé ont répondu par la négative. Twitter, qui aura pendant un temps tenté de camoufler le sondage et son résultat, doit se rendre à l’évidence que ses valeurs prônées officiellement masquent mal les biais dont la société fait preuve dans sa politique de modération des informations et conversations qui sont tenues sur sa plateforme.
C’est à la suite de ce sondage et de son résultat sans équivoque que Musk a fait savoir, quelques jours plus tard, avoir acheté pour plus 9% des actions Twitter disponibles sur le marché boursier, plaçant temporairement l’entrepreneur comme son premier actionnaire, avant d’être dépassé par Vanguard, le fonds d’investissement, qui a complété son portefeuille en replaçant Musk comme second plus gros actionnaire.
En toute logique, le Conseil d’administration de la société a rapidement proposé à Elon Musk de le rejoindre : avec un tel niveau de participation, il semblait en effet nécessaire d’offrir un siège à la direction de l’entreprise. Siège que Musk, après quelques heures de tergiversations, a finalement refusé… Ce qui lui permet d’une part de continuer à racheter des actions de Twitter comme bon lui semble (alors qu’un siège l’aurait limité à un maximum d’un peu plus de 14% des actions disponibles), quitte, quelques jours plus tard, à carrément proposer un rachat de l’ensemble des actions disponibles en bourse : Musk a ainsi soumis au Conseil une offre à 54,20$ (bien au-dessus de l’actuel cours qui tourne autour de 45$ actuellement après une hausse notable quand le patron de Tesla a fait connaître sa position.
La stupeur passée, il semble que le Conseil d’administration et les dirigeants de Twitter ne soient pas tout à fait d’accord avec cette nouvelle prise de participation voire un changement brutal d’exécutif au sein de la société. Il a donc été décidé d’envisager d’utiliser un mécanisme assez traditionnel (« poison pill ») d’émission massive de nouvelles actions visant à rendre le rachat nettement plus coûteux en théorie. En pratique, c’est un procédé à double-tranchant puisque si l’afflux de nouvelles actions peut gêner l’acheteur, le cours des actions peut aussi s’ajuster à la baisse, et une partie des actionnaires peut se retourner contre le Conseil d’administration s’il juge la manœuvre contraire à ses propres intérêts, notamment si l’offre d’achat est substantiellement plus élevée que le cours actuel du marché (ce qui est ici le cas).
Indépendamment de ces opérations boursières et des tractations commerciales et juridiques qui ne manqueront pas d’émailler les prochains jours entre Twitter et Musk, l’affaire secoue non seulement le réseau social mais aussi la plupart des médias grand public qui commentent la tentative de prise de contrôle plus ou moins hostile de l’entrepreneur sur le réseau social.
Et là, les choses prennent une tournure révélatrice : là où les petites troupes progressistes se succulentaient les babines de voir, par exemple, Jeff Bezos, alors patron d’Amazon, racheter le Washington Post, ou se réjouissaient de la politique particulièrement agressive de Twitter à l’encontre de certains discours, ces mêmes sont maintenant empreints d’effroi à l’idée que la plateforme puisse tomber dans l’escarcelle de Musk, nous offrant quelques articles d’anthologie pour défendre un point de vue bancal, au point d’en arriver à de belles absurdités illustrées par un double-langage qu’Orwell n’aurait pas surpassé :
Après un voyage étrange en Absurdistan où la liberté d’expression nécessite soudainement une bonne dose de censure, la réalité est cependant sans détour : les élites autoproclamées, les petits « blue checks » de Twitter (ces comptes personnels dont le statut officiel a été vérifié par la plateforme elle-même) et toute l’habituelle coterie de « journalistes » terriblement conscientisés aux problématiques de droits d’expression se retrouvent à devoir expliquer, par des contorsions intellectuelles et rhétoriques assez croustillantes pourquoi la liberté d’expression doit être absolument contrôlée, pourquoi Twitter ne peut surtout pas faire l’économie d’une solide modération des contenus et ce d’autant plus que cette modération est complètement politique et assumée comme telle.
Mais cette réalité est aussi cruelle : lorsque pleuvaient les bannissements de comptes Twitter pour des raisons idéologiques (dont l’un des plus célèbres, celui de Donald Trump), les mêmes troupes progressistes applaudissaient des deux mains en rappelant qu’une plateforme privée peut appliquer les règles d’utilisation qu’elle désire. Après tout, expliquaient-ils, ceux qui ne s’estiment pas heureux ainsi peuvent toujours « aller voir ailleurs », « construire leur propre plateforme », ou « racheter celle-ci ».
L’ironie du sort est dès lors insupportable lorsque l’argument s’applique à leurs dépens, au moment où Musk devient le patron de fait.
Ici et sans surprise, Elon Musk permet de faire sortir du bois les habituels hypocrites qui prétendent garantir les droits fondamentaux mais hurlent lorsque leur forteresse de bien-pensance est assiégée et qui s’écrient alors tous d’une seule voix : « la censure, c’est mal sauf lorsqu’il s’agit de notre censure ! »
On peut spéculer sur la façon dont cette affaire va se terminer, et il n’est pas dit que Twitter gagne et oblige Musk à renoncer à ses idées (et plusieurs éléments permettent même d’envisager une victoire de Musk dans sa tentative de prise de contrôle). Néanmoins, le déroulement des faits montre sans la moindre ambiguïté que Twitter n’est plus une source d’information, un réseau social de discussion, mais bien une plateforme au service d’un agenda politique et communicationnel précis, autrement dit une source de propagande clairement manipulée par ses équipes (de modération, de direction) pour largement y favoriser certains messages et certains messagers.
À titre d’exemple, on devra rappeler les rôles absolument primordiaux de Twitter et de Facebook dans la dissémination d’informations spécifiques et orientées sur différents sujets ces dernières années, depuis le portable de Hunter Biden (purement et simplement censuré) en passant par les élections américaines de 2020, la pandémie (son extension, les traitements, les vaccins) ou l’actuel conflit russo-ukrainien.
Dans ce contexte, Twitter n’a plus rien de neutre et le choix répété de cette plateforme (avec d’autres) de supprimer certaines voix discordantes, toujours dans le même sens, de ne laisser que certains messages et d’agrémenter certains autres d’avertissements plus ou moins infâmants, toujours dans le même sens aussi, ne laisse aucun doute sur l’existence d’un agenda politique clair qu’on pourra qualifier de progressiste / mondialiste, visant clairement à écraser dans l’œuf toute pensée dissidente qui prônerait certaines valeurs diamétralement opposées.
On comprend dès lors que l’arrivée de Musk dans ce tableau aboutirait, si on le laisse faire, à déposséder certains militants d’un magnifique outil de propagande redoutablement efficace, et que cela ne peut se passer sans grincements de dents. La meute journalistique qui se déchaîne actuellement dans certains médias (Washington Post, Huffington Post, CNN, et j’en passe) montre combien l’idée même d’une plateforme sans la moindre censure les irrite au plus haut point et, en creux, toute l’importance qu’ils accordent à celle-ci.
Si le projet de Musk aboutit, et si le nouveau patron applique effectivement une politique de modération bien plus en ligne avec une vraie liberté d’expression, on peut effectivement s’attendre à un changement drastique de la façon dont la plateforme sera utilisée et on peut d’ores et déjà parier que les couinements actuels seront remplacés par des hurlements ininterrompus de ces meutes, avec des appels de plus en plus forts à une régulation sévère de l’État.
Ne vous y trompez pas : ce n’est pas une escarmouche, mais bien une véritable guerre qui peut s’ouvrir dans les prochains mois.
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