17 mars 2022

L’Occident a choisi l’émotion sur la raison et va le payer très cher

Et comme un seul homme bien organisé, bien dressé et bien propre sur lui, l’Occident s’est levé contre l’indigne invasion de l’Ukraine par la Russie et, dans un beau mouvement d’ensemble, a fait pleuvoir sur la Russie une quantité rarement vue de sanctions de plus en plus sévères.

Comme l’ouverture directe d’un front armé contre la Russie n’était pas réellement envisageable (cela aurait vraisemblablement ruiné plusieurs saisons touristiques dans tout l’hémisphère Nord), l’Union européenne et les Américains ont donc choisi la voie des bannissements et des interdictions : restrictions voire interdiction d’utilisation du système de messagerie interbancaire SWIFT, arrêt des exportations vers le pays agresseur, gel des devises dans les banques centrales, les premières salves ont été particulièrement raides.

Les secondes salves ont été menées notamment par les « Géants de la Tech » et ont permis de courageusement interdire toute « désinformation » provenant de la Russie ou de ses abominables affidés : la seule bonne propagande est la propagande sanctionnée officiellement et il serait inconvenant de laisser les internautes, mammifères mous et généralement idiots, se faire leur propre opinion dans le déluge de données douteuses en provenance de tous les côtés. On appréciera au passage le relâchement des mystérieuses mais néanmoins très contraignantes « règles de la communauté » chez Facebook et Instagram qui autorisent maintenant les appels à la violence contre les Russes (dont on sait que tous approuvent forcément ce que fait leur gouvernement, c’est absolument évident).

Les salves suivantes se sont produites exactement comme on pouvait s’y attendre, avec une véritable bousculade de la part des entreprises occidentales de tous types pour montrer à la fois leur totale conformité avec l’air du moment et leur absolu besoin de signalement vertuel : tout est bon pour faire comprendre au public européen et américain que les exactions de Poutine seront châtiées par un refus catégorique de commercer avec les Russes, groupe subitement pris comme homogène dans une collectivisation instantanée pas du tout malsaine.

Avec cette crise, l’Occident a clairement abandonné toute prétention à l’universalité de ses valeurs tant le « Deux Poids Deux Mesures » apparaît évident pour tous ceux qui regardent plus loin que les deux dernière semaines d’Histoire ; or, comme la Nature a horreur du vide, cet abandon a vite été remplacé par une autre doctrine étrange et dont le degré de dégoulinance n’apparaît que progressivement : la nouvelle société occidentale semble décidée à s’organiser autour d’un wokisme décomplexé dans lequel il s’agit avant tout de gérer les foules au travers des émotions, des ressentis, des sentiments en abandonnant toute velléité de planification intelligente, raisonnée et à terme plus long qu’un ou deux mois.

Il suffit de voir les mines embarrassées de certains éditorialistes, piposophes de salon et autres experts de plateau télé qui expliquaient avec véhémence il y a quelques poignées de jours l’absolue nécessité de sanctions toutes plus dures les unes que les autres, et qui commencent maintenant à se rendre compte que ces sanctions vont se retourner très violemment contre tout le monde, eux compris.

Persuadés que la balance commerciale, favorable aux Européens en ce que les Russes importaient plus que nous n’importions de Russie, permettrait de faire entendre raison au Chef du Kremlin, nos aimables nigauds n’ont compris qu’un peu tard que lorsque nous leurs exportons des biens manufacturés complexes à grosse marge et haute valeur ajoutée, les Russes nous exportent, eux, des matières premières à faible marge, ce qui se traduit, lorsque les tensions s’accroissent et que les robinets et les frontières se ferment, par une explosion des marges sur ces matières premières, et un effondrement des importations vers la Russie, ou, dit autrement, à un enrichissement des Russes et un appauvrissement drastique des Occidentaux.

Pire : à repousser Poutine toujours plus loin, à couper la Russie de plus en plus violemment hors de la sphère d’influence occidentale, ces émotifs excités n’ont fait que parachever une tendance qu’ils avaient déjà entamée avec hardiesse les années précédentes, à savoir la création d’un bloc de puissances indépendant de l’Ouest.

Avec une gourmandise qui s’approche de plus en plus d’un suicide inconscient, l’Occident vient de tenter à l’échelle planétaire l’application d’une « Cancel culture » à ceux qui lui fournissent les vivres. La fine diplomatie des Macron, Von Der Leyen, Biden et autres cadors occidentaux va parvenir à auto-canceller l’Occident. Remarquablement bien joué.

D’autre part, de façon logique et quoi qu’on puisse penser de Poutine et des Russes, la situation actuelle va déclencher un certain nombre d’autres soucis dont on voit mal se sortir la fine équipe actuellement aux manettes (pour rappel, c’est la même équipe de clowns qui nous a géré la pandémie : si vous misez sur le pire, c’est un pari gagné).

Ainsi, les Russes vont devoir fonctionner sans l’Ouest, ce qu’ils avaient déjà commencé à faire pour partie. Ce ne sera pas facile, mais les réserves (de matière première et financières notamment) actuelles rendent cependant l’opération possible. A contrario, l’absence totale de réserves et d’organisation de l’Europe et des États-Unis pour se passer de la Russie va rendre la situation franchement pénible pour les Occidentaux.

 

Ainsi, nos frétillants politiciens vont prétendre pendant quelques temps que les sanctions fonctionnent très bien. Pendant ce temps, les agriculteurs qui produisent notre nourriture vont se retrouver à devoir faire face à des coûts de production explosifs dont personne ne se soucie parce que ce sont des paysans, qu’ils n’ont pas de petite coche bleue sur Twitter et qu’ils ont autre chose à faire qu’expliquer leurs soucis sur Facebook ou TikTok.

Ainsi, les prix des engrais puis des céréales (toutes), des fruits, des légumes, des viandes vont grimper joliment. Au bout d’un moment (cet été, à la rentrée ?), les cols blancs qui grignotent des galettes de soja en buvant des spritz sur des rooftops après des meetings en conf-call vont commencer à remarquer que les prix ont sacrément gonflé, sans parler de ces rayons vides qui refusent de se remplir. À ce moment, certains politiciens commenceront à s’inquiéter mais il sera bien trop tard… Ceux qui n’ont pas de petite coche bleue sur Twitter auront, eux, fait des stocks depuis un moment.

Enfin, signalons que Poutine pourrait avoir l’idée de vendre son pétrole à un prix discount (mettons 50% ou 60% du prix de marché) en imposant un paiement en or, ce qui pourrait fort bien convenir à une bonne partie de la planète, non inféodée à l’OTAN ou aux intérêts de l’Union européenne ou des Américains. On laissera au lecteur l’exercice de dresser les conséquences de ce retour à l’étalon-or implicite pour la Russie (qui dispose de réserves d’or importantes) et pour la Chine (elle aussi prête à une telle éventualité). L’effondrement du dollar, façon Weimar, n’est pas à écarter.

En choisissant les sentiments, l’émotion et l’affichage vertuel sur la raison et la réflexion de long terme, l’Occident a fait une grosse erreur, un peu dans le style « Get Woke, Go Broke » (tentez le wokisme et devenez ruiné).

À force d’essayer d’être woke, l’Occident va être broke.

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