Des manifestations violentes dans la plupart des grandes villes : Ajaccio, Bastia, Sartène, Corte… Des policiers violemment agressés, 70 dimanche dernier dont 48 graves, une puissance étatique locale débordée, une violence dont on ne voit pas la fin et dont on ne comprend pas l’origine. Telle est aujourd’hui la situation de la Corse, qui est en feu depuis l’agression d’Yvan Colonna.
Tout débute à la prison d’Arles où Colonna est emprisonné. Il est maintenu en prison sur le continent et non pas en Corse, le ministère de l’Intérieur le considérant comme un détenu dangereux (DPS, « détenu particulièrement signalé »), nécessitant une surveillance de tous les instants. Alors qu’il fait du sport dans une salle isolée et close, un détenu chargé de faire le ménage toque pour entrer et pénètre dans la salle après ouverture de la porte par Colonna, qui est seul à l’intérieur. Le détenu lynche Colonna et l’étouffe. Après 8 minutes de coups, il ressort de la salle et prévient les gardes. Alors que la salle est équipée de micros et de caméras, nul agent n’est intervenu durant l’agression. On découvre également que le coupable est un djihadiste dangereux, évincés de nombreuses prisons. Gérald Darmanin a reconnu le motif djihadiste comme cause de l’agression. Pour l’instant entre la vie et la mort, même s’il est en état de mort cérébrale, Colonna est transféré à Marseille pour être soigné. À l’annonce de son agression débute la flambée de violence.
Quelles causes ?
Trois causes principales expliquent cette flambée de violence.
Premièrement, le sentiment d’injustice. La famille d’Yvan Colonna demandait son rapatriement en Corse, à la prison de Borgo. Cela a toujours été refusé, arguant du fait que Colonna devait bénéficier d’une surveillance renforcée. Or celui-ci a été tabassé huit minutes durant par un djihadiste sans que les gardes n’interviennent. Manifestement, il y avait une faille dans sa surveillance spéciale. Le gouvernement a levé la surveillance spéciale au début des émeutes et a autorisé son transfert en Corse, mais cela arrive trop tard, surtout eu égard à son état de santé actuel.
Deuxièmement, la montée de l’idée autonomiste chez les plus jeunes. La création de l’université de Corte, bien qu’au niveau scolaire plus que faible, a fait qu’un grand nombre de Corses effectuent leurs études sur l’île alors que leurs parents se rendaient sur le continent. Ils ne sont donc plus dans un brassage des populations et des idées, mais vivent au contraire retranchés sur leur île, au milieu d’idées nationalistes qui fermentent du fait de leur enfermement. Corte est un bastion du nationalisme corse tant il est de nature pour les intellectuels, surtout pour ceux qui sont nourris par l’État, de produire des idées et des systèmes qui fonctionnent en vase clos et qui ne sont jamais remises en cause par l’extérieur.
La Corse bénéficie d’un double isolement : celui de la mer puisque c’est une île, celui de la montagne, compte tenu de son relief. Les transports d’une ville à l’autre sont longs et compliqués du fait des distances tortueuses et des petites routes. Il faut ainsi près de 2 heures de route pour relier Ajaccio à Sartène, alors que les deux villes ne sont distantes que de 70 km et 3h pour relier les 150 km entre Ajaccio et Bastia. La fermeture géographique est un carburant de la pensée indépendantiste.
Troisièmement, cette attaque provient au moment où le mouvement nationaliste est fracturé. Gilles Siméoni, bien que confortablement élu, n’a pas réussi à faire aboutir ses demandes. Discrédité parmi les siens, ces émeutes sont pour lui une divine surprise qui lui permet de reprendre la main et de souder une nébuleuse nationaliste divisée. Les nationalistes sont en train d’obtenir en quelques jours, par la violence, ce qu’ils n’ont pas obtenu, en plusieurs années, par la négociation. Preuve pour la branche la plus radicale que la diplomatie ne sert à rien et que le gouvernement ne comprend que la force. Fortement divisé en clans et en familles, le mouvement nationaliste a besoin d’un ennemi commun pour créer une unité ; « l’État français assassin » comme le scandent les manifestants est cet ennemi idéal.
Grande violence des affrontements
Un mouvement nationaliste fracturé et divisé, une jeunesse désœuvrée, l’unité des Corses autour d’un Corse qui a été agressé par un djihadiste renforcent le climat délétère et dangereux. La Corse est une terre de clans, de familles, d’équilibres, or Emmanuel Macron ne dispose d’aucun relais dans l’île et d’aucun élu local de poids. Son parti hors sol n’a pas vu venir les graves problèmes qui n’ont donc pas pu être anticipés. La violence soudaine, drue et intense aura beaucoup de mal à cesser. Alors que l’île disposait de deux compagnies de CRS, l’une d’elles a été déplacée de Bastia à Marseille fin 2020 afin de lutter contre les trafics de drogue. Quand les violences ont débuté, les forces de police et de gendarmerie manquaient d’hommes. D’autant que les manifestations ont été particulièrement violentes, comme nous l’apprend un article du Figaro du 15 mars :
« C’était inouï, du jamais vu, réagit un officier de haut rang. Par exemple, des bandes organisées de huit personnes ont balancé des cocktails Molotov non enflammés sur nos effectifs pour les asperger d’essence. Puis une seconde vague d’assaillants leur jetait des fusées éclairantes et incendiaires pour qu’ils prennent feu…» Chauffés à blanc par le Syndicat des travailleurs corses, qui fustige l’«attitude de mépris» de l’État français face aux revendications des autonomistes, les casseurs agissent pour faire très mal. Jets d’acide, de projectiles hérissés de clous, de bombes « agricoles » garnies de billes d’acier ou de grains de chevrotine, propulsés en tous sens sous l’effet du souffle, les assaillants corses, parmi lesquels figurent de redoutables artificiers, redoublent d’imagination guerrière. »
Une démesure dans la violence à laquelle l’État ne peut que mal répondre, les forces de police devant éviter des morts accidentelles chez les émeutiers afin de ne pas accroître les émeutes. Nous sommes-là face à un véritable conflit asymétrique puisque les manifestants cherchent à faire le plus mal possible quand les policiers tentent de retenir leurs coups. C’est un format de guerre urbaine toujours très difficile à manœuvrer pour les autorités publiques.
Les impasses de la décentralisation
Même si chaque régionalisme est différent, corse, basque, catalan, écossais, ils ont en commun de poser un grand défi à la solidité des États-nations. Les Corses demandent plus « d’autonomie », mais que met-on derrière ce mot ? Laisser à la France le soin de la diplomatie, de la police et de l’armée et à la Corse une autonomie fiscale, éducative et sociale ? Pourquoi pas, mais on sait bien que cela aboutit toujours au grossissement de l’État local, à l’accroissement du capitalisme de connivence, à l’État des copains et donc à la captation de l’argent local au bénéfice de rentiers des services publics. La décentralisation est une erreur qui conduit à l’obésité des collectivités locales, à la gabegie et à la mauvaise gestion des deniers publics dans un développement sans fin du clientélisme électoral et de l’achat de voix. À la décentralisation, qui est néfaste, il faut opposer la subsidiarité, qui elle permet le véritable développement local en donnant libertés et pouvoirs non aux structures politiques, mais aux personnes. Une véritable autonomie corse devrait être fondée sur cette subsidiarité, c’est-à-dire la mise en place du chèque scolaire et de la liberté éducative pour créer des écoles et des universités en Corse et une authentique liberté fiscale, qui permettrait de faire de l’île un paradis fiscal. Nous en sommes loin puisque les nationalistes veulent surtout plus de pouvoir pour eux, un pouvoir pris à l’État central.
Ce n’est pas le seul des paradoxes, le second étant que les courants nationalistes, en Corse comme ailleurs en Europe, sont très majoritairement progressistes. En juin 2018 Siméoni et Talamoni s’étaient ainsi exprimés en faveur de l’accueil du bateau Aquarius et de ses 620 migrants. Une attitude pro-migrants qui n’est pas isolée et qui a été confirmée par d’autres faits. Une grande partie des nationalistes corses sont ainsi progressistes, au même titre que les nationalistes écossais, socialistes pour la plupart, et les nationalistes catalans, même si on y trouve quelques mouvements de droite. Leur positionnement politique est davantage une opposition à l’État central, ennemi commun fédérateur, qu’à la défense d’une quelconque identité face au défi migratoire. Ce qui n’est pas le cas de leur électorat, surtout en Corse, beaucoup plus à droite sur ces questions-là. Il y a donc une dissociation entre le positionnement migratoire des élus et celui des électeurs. Le risque de l’autonomie est donc de donner davantage de pouvoir aux kleptomanes de la politique et non pas aux personnes corses. Autant de problèmes qui sont profonds et sérieux et qui ne peuvent donc pas se résoudre dans l’urgence émotive des manifestations, mais qui doivent être posés et réfléchis pour aboutir à un véritable projet politique.
Jean-Baptiste Noé
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