Après
neuf ans de présence au Mali, la France et ses alliés européens vont
redéployer leurs forces au Niger voisin. Retour avec le colonel Hogard
sur une crise nourrie par l’inconsistance de l’Élysée, qui a mis à mal
l’image de la France en Afrique.
Le
Mali, c’est fini. Lors d’une conférence de presse à l’Élysée aux côtés
de Charles Michel, président du Conseil européen, et de son homologue
sénégalais Macky Sall, Emmanuel Macron a annoncé le "retrait coordonné" de la France et de ses partenaires du territoire malien. "Ce retrait se traduira par la fermeture des emprises de Gossi, de Ménaka et de Gao",
a précisé le chef de l’État, soient les dernières bases après la
fermeture de celles de Kidal, Tessalit et Tombouctou, annoncées en
juillet 2020.
Pour autant, pas question de se retirer de la bande sahélo-saharienne. "Des éléments européens seront repositionnés aux côtés des forces armées nigériennes dans la région frontalière du Mali", assure le locataire de l’Élysée.
Paris, un manque de vision "consternant"
Il faut dire que la violence n’a eu de cesse de progresser
ces dernières années. Selon un rapport de l’Onu, le nombre de victimes
civiles au Burkina Faso, au Mali et au Niger a été multiplié par trois
entre 2016 et 2019, passant de 770 à 4.000. Même son de cloche dans un
rapport de l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project),
qui fait état d’une multiplication par cinq des victimes des violences
dans la région. Point saillant de l’étude de cette ONG américaine
spécialisée dans l’analyse des crises: en 2020, les civils auraient été
plus victimes des exactions des armées régulières que de celles des groupes armés.
"C’est l’échec. Il y a huit ans, on était acclamé à Tombouctou, à Bamako, “le plus beau jour de ma vie”, déclarait François Hollande. Huit ans plus tard, on en est là… Et honnêtement, ce n’est pas la faute des militaires, mais celle des politiques qui n’ont aucune vision ni stratégie", réagit auprès de Sputnik le colonel Hogard, ancien officier de Légion et des forces spéciales.
Ce fin connaisseur de la région se dit "consterné" par le manque de vision de l’Élysée. En effet, si les soldats français ont enchaîné les succès tactiques sur le terrain, ils n’ont pas été transformés sur le plan politique par Paris.
Jamais
en neuf ans, la France n’aura fait pression sur les autorités
africaines qu’elle soutient pourtant militairement et financièrement,
afin qu’elles traitent le problème à la racine. En l’occurrence, une
corruption endémique et des tensions interethniques. Ainsi, le Mali
est-il rongé par des conflits entre Peuls et Touareg d’une part et
Peuls, Bambaras et Dogons de l’autre.
Malgré
ce diagnostic dressé de longue date, l’exécutif français a persévéré
dans son approche: toute opposition aux pouvoirs centraux était
considérée comme "terroriste". "Il y a des islamistes, mais il y a aussi ceux qu’on a fabriqués nous-mêmes, par bêtise, par défaut de compréhension", fustige Jacques Hogard.
Des "incohérences qui nous coûtent cher"
Lors
de son allocution, Emmanuel Macron n’a pas manqué d’évoquer Al-Qaïda*
et Daesh*, organisations terroristes qui ont fait de l’Afrique "une priorité de leur stratégie d’expansion". Dans le collimateur du locataire de l’Élysée, on retrouve également Bamako… et les Russes.
"Nous
ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités de
fait, dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés
[…] La lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier. Elle ne
doit pas, sous prétexte d’être une priorité absolue, se transformer en
exercice de conservation indéfinie du pouvoir. Elle ne peut pas non plus
justifier une escalade de la violence par le recours à des mercenaires,
dont les exactions sont documentées en République centrafricaine", a développé Macron.
Depuis
le premier coup d’État du colonel Assimi Goïta, en août 2020, Emmanuel
Macron et Jean-Yves Le Drian, son ministre des Affaires étrangères, ont pris en grippe les nouvelles autorités maliennes. La surenchère verbale entre Paris et Bamako aboutira au rappel des ambassadeurs.
Pour l’ancien officier de Légion, si en effet, "on ne peut pas rester dans un pays dont les autorités vous couvrent d’injures",
celui-ci regrette le deux poids, deux mesures auquel s’est livrée la
Macronie au Sahel. Car aux yeux du Quai d’Orsay et de l’Élysée, le
Président de transition de la République du Mali et depuis peu, celui du
Burkina Faso sont persona non grata, mais il n’en est rien
pour leur homologue tchadien. Emmanuel Macron s’était ainsi rendu aux
funérailles d’Idriss Deby en avril 2021, qui furent l’occasion d’adouber
son fils, lequel a repris les rênes d’un règne de 31 ans.
"C’est ce type d’incohérences qui nous coûtent cher!" fustige le colonel Hogard. Pour lui, ce manque de "vision stratégique"de "jeunes énarques qui ne connaissent rien à l’Afrique" affaiblit considérablement l’image de la France sur le continent africain.
"C’est
triste, car tout cela est en train de montrer la faiblesse de la France
en Afrique francophone, dont certains profiteront à notre détriment". Pire encore, cette "démission" de la France met à ses yeux en péril tous les pays francophones. "On n’est peut-être qu’au début de nos emmerdements", estime-t-il avant de conclure :
"On a creusé nous-mêmes le trou dans lequel on est en train de s’enterrer."
*Organisations terroristes interdites en Russie
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