Des crédits de plusieurs millions d'euros ont été accordés dans des conditions opaques au mari de la commissaire européenne. L'affaire a poussé un eurodéputé à demander des explications à celle qui est en charge de l'achat des vaccins au nom de l'UE.
Une affaire poursuit depuis plusieurs semaines la commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakidou. Un rapport de la Cour des comptes chypriote, son pays d'origine, a pointé l'absence de justification autour de prêts d'un montant de 4 millions d'euros reçus par son mari Kyriakos Kyriakidou, comme révélé le 6 avril dans l'émission «Panorama» sur la chaîne publique allemande Das Erste.
Les prêts ont été accordés par la deuxième plus grande banque de Chypre, propriété de l'Etat, la Cyprus Cooperative Bank, confrontée à de graves problèmes financiers nécessitant plusieurs renflouements par de l'argent public. A ce titre, la Cour des comptes a enquêté sur les accords conclus avec cette banque par des «personnes politiquement exposées», appelées PEP.
Stella Kyriakidou fait partie de cette liste, sous le nom de PEP 8, explique «Panorama». Elle apparaît ainsi dans le rapport de l'instance à propos de quatre transactions dans lesquelles son mari est impliqué, à travers la société Maralo Limited qu'il dirige, pour une somme d'environ 4 millions d'euros perçue entre 2009 et 2017, qui n'a jamais été remboursée.
Chaque citoyen peut se forger sa propre opinion sur la légitimité ou non de telles transactions
La Cour des comptes considère ces transactions comme «très problématiques», car Kyriakos Kyriakidou ne disposerait pas des garanties suffisantes en termes de revenus ou de patrimoine pour obtenir des prêts de cette importance. En outre, aucun motif n'a été enregistré pour justifier des autorisations de crédit. Le président de la juridiction financière Odysseas Michaelides a expliqué que ce rapport servait à «fournir des faits et non à porter des jugements politiques». «Chaque citoyen peut se forger sa propre opinion sur la légitimité ou non de telles transactions», a-t-il déclaré auprès de la chaîne de télévision allemande.
Les doutes autour de la nature de ces prêts sont également alimentés par une omission de Stella Kyriakidou dans sa déclaration de transparence au Parlement européen. La Chypriote n'a pas mentionné la fonction de directeur de Maralo Limited exercée par son mari. C'est pourtant au nom de cette entreprise qu'il a reçu les différents prêts, et l'extrait de registre de la société le présente comme l'un des dirigeants. Les autres activités de Kyriakos Kyriakidou («directeur» ou «président» de neuf sociétés différentes) sont par ailleurs indiquées dans la déclaration de transparence de son épouse.
En réponse au reportage de «Panorama», Stella Kyriakidou a déclaré qu'elle «n'avait aucune implication personnelle» dans la polémique entourant son mari. Mais ces différents éléments mis bout à bout ont poussé l'eurodéputé allemand Sven Giegold (Verts/ALE) à poser une question au Parlement à Bruxelles, adressée le 6 avril à la commissaire européenne : «Pourquoi ce poste de direction précisément, ainsi que les prêts susmentionnés, n’ont-ils pas été mentionnés dans la déclaration d’intérêts financiers de la commissaire ?»
Auprès du média allemand, Sven Giegold – qui n'a à ce jour reçu aucune réponse de la Commission – a justifié sa démarche en expliquant que «compte tenu de la gravité de la crise du coronavirus, une clarification absolue était nécessaire» de la part de Stella Kyriakidou, notamment pour savoir si ces transactions avaient eu «une influence» sur les activités de la commissaire en charge de la Santé.
En charge de contrats à la transparence relative
Car cette dernière, mandatée par l'UE pour négocier et signer les contrats d'achats de vaccins contre le Covid-19, s'est retrouvée au cœur des débats ces derniers mois. La Chypriote avait par exemple signé le 14 août 2020 un contrat d'achat anticipé avec le groupe pharmaceutique AstraZeneca pour 300 millions de doses, avec une option pour 100 millions de doses supplémentaires... tout en masquant plusieurs clauses du contrat, comme pour les accords avec Pfizer/BioNTech, Moderna, Johnson & Johnson, Sanofi/GSK et CureVac, tous autorisés par Bruxelles.
Cette absence de transparence, expliquait Stella Kyriakidou le 7 janvier devant le Parlement européen, était motivée par le fait que l'UE était soumise à «des clauses de confidentialité sur ces contrats, et la divulgation d'informations confidentielles à ce moment compromettrait» les négociations encore en cours. Le contrat avec AstraZeneca (dont le produit a connu plusieurs polémiques sanitaires depuis) est certes disponible en ligne, mais «contient des parties expurgées se rapportant à des informations confidentielles telles que les détails des factures».
Néanmoins, si l'eurodéputé Sven Giegold a questionné un possible conflit d'intérêt de la part de Stella Kyriakidou, il faut souligner que les prêts contractés par son époux à Chypre l'ont été avant qu'elle ne prenne ses fonctions à la Commission européenne, en décembre 2019. Et donc bien avant la crise du Covid-19 et l'enjeu des vaccins.
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