L’objet de la présente analyse est d’expliquer pourquoi le dirigeant russe a adopté le récit conventionnel sur la COVID-19, malgré l’émergence d’éléments qui jettent le doute sur le taux de mortalité du virus ainsi que sur les stratégies de confinement qui y ont été associées.
Certains influenceurs non désintéressés, membres de la communauté des médias alternatifs, ont dépeint une fausse image de la réponse du président Poutine à la Covid-19, dans le but de répandre les fausses informations selon lesquelles il serait opposé au récit conventionnel. Cela a complété leurs tentatives précédentes de construire de faux récits sur ses politiques envers « Israël«. Le fil conducteur reliant ces deux campagnes de fake news, ainsi que d’autres, moins notables, qui ont été lancées au cours des années passées, consiste à faire passer le dirigeant russe pour un soutien systématique de l’opposé exact de tout ce que font les États-Unis, par principe, sur les problèmes les plus sensibles du monde. Cela n’est pas exact, et de nombreux membres de la communauté des médias alternatifs prennent conscience de cette réalité politique, ce qui les a beaucoup désorientés.
L’objet de la présente analyse est d’expliquer pourquoi le dirigeant russe a adopté le récit conventionnel sur la Covid-19, en dépit de l’émergence d’éléments qui font peser des doutes quant aux affirmations avancées sur le taux de mortalité induit par le virus, ainsi que les stratégies de confinement qui y sont associées. Il vise à informer les membres intéressés de la communauté des médias alternatifs sur ce que pourrait être le grand jeu stratégique déroulé par le président Poutine. Chacun garde évidemment le droit de se forger sa propre opinion, y compris sur les positions stratégiques développées par Poutine à cet égard, mais il convient de consulter diverses sources avant de se constituer une opinion éclairée. Cette analyse a pour but de présenter une interprétation alternative des motivations de Poutine, face à l’hypothèse populiste selon laquelle il est « en plein dedans » (quoi que soit le contenant ainsi désigné).
Chacun devrait convenir que les scientifiques russes figurent parmi les meilleurs au monde. On peut penser qu’ils disposent d’un accès aux éléments qui ont émergé et qui jettent le doute sur le récit conventionnel développé autour de la Cocid-19, chose dont le président Poutine a probablement également conscience. Néanmoins, la Russie a formulé ses politiques en accord avec l’interprétation conventionnelle des événements, en alignement avec les recommandations énoncées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Sur la base de cela, on peut conclure que le dirigeant russe soutient par principe la position de cette instance de l’ONU, ce qui est en accord avec le soutien constant qu’il prodigue à cette organisation mondiale, de manière générale. Contrairement au faux récit qui domine au sein de la communauté des médias alternatifs, il ne s’oppose pas au « globalisme » en soi, mais uniquement à la variante unilatérale promue par les États-Unis.
Pour développer ce point, les principes légaux internationaux intégrées à la Charte de l’ONU sont « globalistes » aussi bien dans leur forme que dans leur substance. L’Union soviétique, avant la Russie, avait déjà soutenu la création de cette instance prenant la suite de la Société des Nations, et avait œuvré avec sincérité à souscrire pleinement à l’ensemble de ses clauses. La Russie moderne s’inscrit dans cette tradition diplomatique et s’oppose catégoriquement à toute chose pouvant transgresser les compétences de l’ONU, même si elle a également exprimé avec pragmatisme son soutien envers la réforme de cette organisation dans une certaine mesure. S’opposer frontalement à l’OMS, en dépit des éléments qui émergent et qui jettent le doute sur certaines des affirmations énoncées par l’OMS sur la Covid-19, constituerait un exemple qui serait contraire aux grands intérêts stratégiques de la Russie, qui continuent d’affirmer l’autorité de l’ONU dans le monde.
Cela étant dit, le président Poutine est également assez pragmatique pour ne pas soutenir aveuglément l’ONU s’il estime véritablement que quelque chose serait dommageable aux intérêts de la Russie ce faisant. Pour le meilleur ou pour le pire, pour le vrai ou le faux, et nonobstant les opinions personnelles de chacun quant à tout ceci, nul ne devrait supposer qu’il entretienne de sérieuses craintes quant à des menaces induites sur son pays par le récit conventionnel développé autour de la Covid-19. Des controverses crédibles ont commencé à pleuvoir sur les vaccins occidentaux, cependant que le vaccin Sputnik V développé par la Russie y a jusqu’ici échappé, même si des campagnes politiques continuent de le cibler pour manipuler la perception des foules quant à la sûreté du vaccin russe.
L’un des aspects les plus controversés au sujet des tentatives menées par ce pays pour contenir la Covid-19 réside dans sa politique de vaccination, critiquée par certains comme « coercitive », du fait qu’elle découle sur une « obligation » de vaccination pour de nombreuses personnes. Cependant, comme Sputnik V est considéré comme une forme très sûre d’inoculation, il ne devrait guère exister de préoccupations sur ses effets sanitaires à long terme. Qui plus est, le président Poutine a publiquement fait l’éloge de ce vaccin, ainsi que de plusieurs autres vaccins russes, pour leur haut niveau de sûreté. La politique de vaccination du pays, qu’elle soit « volontaire », « coercitive » ou « obligatoire », ne serait pas mise en œuvre si Poutine pensait sérieusement qu’elle pourrait mettre en danger la vie des gens. On peut donc supposer que le président Poutine estime que ces vaccins vont réellement sauver des vies.
Ce point s’enchaîne avec des observations sur l’autre aspect central des tentatives de son gouvernement pour contenir la Covid-19, à savoir sa politique de confinement. Des éléments ont également émergé, montrant qu’il ne s’agirait pas non plus de la politique la plus efficace, même si elle continue d’être pratiquée dans le pays. Même si son efficacité peut être améliorée, l’État a mis en œuvre des filets de sécurité sociale pour soutenir ceux qui ne sont temporairement pas en mesure de travailler par suite du confinement, ainsi que les entreprises les plus directement affectées par ce dernier. Il n’est donc pas réaliste de supposer qu’il s’emploie à faire s’effondrer l’économie du pays, comme certains le craignent de la part d’autres dirigeants mondiaux, pour des raisons en lien au projet de ce que l’on appelle le « Grand Reset »/« Quatrième Révolution Industrielle » (GR/4RI).
À cet égard, le président Poutine semble tout à fait favorable à une telle vision, comme l’indique la révélation qu’il a faite, au début du mois de janvier, au cours de sa participation virtuelle au Forum Économique Mondial, auquel il a pris part de manière régulière depuis 1992, et qui lui a permis de se nouer d’amitié avec Klaus Schwab, fondateur du Forum Économique Mondial, et auteur d’un livre exposant ces concepts. En outre, le gouvernement russe a signé un mémorandum avec le Forum Économique Mondial le mois dernier pour instituer un « Centre pour la Quatrième Révolution Industrielle« sur le territoire russe. Le champion étatique Sber, qui s’appelait Sberbank avant d’être renommé, devrait prendre la direction de la mise en œuvre de cette profonde transition socio-économique au sein du pays. Tout ceci se produit en dépit du fait que Russia Today, média financé par les deniers publics russes, s’est montré hostile éditorialement à cette tendance.
Le GR/4RI, que l’on considère comme étroitement relié à nombre des politiques promues dans le monde en réponse à la Covid-19, mérite des critiques, surtout lorsque l’on s’intéresse à la manière déstabilisatrice selon laquelle il semble être promu dans nombre de pays occidentaux, mais la vision du président Poutine veut que la Russie s’adapte avec flexibilité à ce qu’il semble considérer comme une transition inévitable, tout en conservant autant que possible, voire en accroissant, sa souveraineté. C’est en tous cas ce qu’il a suggéré au cours de son discours, que nous avons cité ci-avant, au mois de janvier, au Forum Économique Mondial. Ce grand projet stratégique est également cohérent avec la politique étrangère strictement non-idéologique que Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères, a récemment ré-affirmée.
L’une des critiques les plus couramment émises à l’encontre du GR/4RI, est que celui-ci va institutionnaliser et étendre ce que l’on a décrit comme des pratiques oligarchiques, surtout celles qui sont associées aux grosses sociétés technologiques. De nombreux membres de la communauté des médias alternatifs ont supposé à tort que la Russie avait éliminé ces influences sur son économie durant les premières années d’exercice du président Poutine. Mais en réalité, il a appliqué la loi contre les oligarques criminels, y compris ceux dont les actions étaient considérées par certains comme posant des menaces latentes de sécurité nationale. Les autres oligarques, respectant les lois, ont pu conserver leur fortune, et nombre d’entre eux l’ont développée par la suite, ce qui est resté possible tant qu’ils n’ont pas mené d’actions criminelles ou mettant en danger la sécurité nationale.
Néanmoins, le président Poutine a réalisé d’énormes enjambées vers la réduction des dépendances, remontant à l’ère Eltsine, de son pays envers de tels acteurs économiques. Il a également travaillé très dur pour réduire la pauvreté et a investi une plus grande part de la richesse nationale dans la société, y compris dans des projets d’infrastructure à grande échelle. Ses Projets de Développement Nationaux de haut niveau, lancés il y a quelques années, ont malheureusement été ralentis par la Covid-19, mais constituent la preuve de son engagement à réformer de manière tenable l’économie russe. Il faut également faire mention du fait que la Russie est récemment devenue une superpuissance agricole, du fait de sa réponse magistrale aux sanctions occidentales. Ces développements devraient limiter les soupçons quant à ses grandes intentions stratégiques pour la Russie.
Pour en revenir aux craintes envers un lien avec les pratiques oligarchiques du GR/4RI, il pourrait devenir inévitable que ce modèle économique reste dominant sur l’économie mondiale, une fois le changement réalisé, par suite des influences dont disposent ces acteurs économiques géants et puissants, et particulièrement dans la sphère technologique. Quoi qu’il en soit, cela signifierait que leur influence persistante en Russie pourrait devenir un atout national, pouvant lui accorder un levier de compétitivité pour l’avenir. Bien entendu, il faut commencer par affirmer que le président Poutine ne soutiendrait pas ces acteurs s’ils se comportaient de manière « stéréotypée ». Au lieu de cela, il soutiendrait leur rôle dirigeant pour tracer la voie du GR/4RI au sein de la Russie, même s’il est probable que des réformes complémentaires soient d’abord menées.
La vision politique de ce que l’on peut décrire comme un « étatisme populiste« , qu’il a soulignée au mois d’octobre 2020 au cours de son discours de la session annuelle 2020 du Club Valdaï, pourrait poser les bases de ce à quoi cela ressemblerait en pratique. Il s’agit de l’État russe (et, par extension, de ses organes économiques comme ceux qui sont gérés par l’État, décrits par certains comme des oligarchies), conservant son rôle dominant dans la société, mais avec un nouveau centrage visant à répondre de manière proactive aux besoins économiques et divers du peuple. On peut s’attendre à ce que ce nouveau « contrat social » soit mis en œuvre avec un véritable soutien du peuple, car le président Poutine jouit d’un réel soutien de sa part.
Sur le front managérial, le dirigeant russe a introduit le concept de « conservatisme sain/modéré/raisonnable« au cours de son discours du mois dernier, dans le cadre de ce groupe de réflexion populaire. Il ne s’agit pas d’une nouvelle idéologie, comme certains l’ont affirmé (et comme d’autres en ont fait le vœu pieux), mais simplement d’une manière de gérer le GR/4RI au cours de sa phase de transition, en cours, qui est caractérisée par un niveau d’incertitude accru dans le monde. Il existe des aspects spécifiques en lien avec des politiques socio-culturelles, comme la réprimande du président Poutine envers le « wokisme » occidental, mais il s’agit là moins d’une approche idéologique que managériale, qui reste alignée avec des politiques prudentes et bien pensées. Ce style managérial conservatif va assurer que l’« étatisme populiste » est mis en œuvre de manière efficace durant le GR/4RI.
À ce stade, il est important de revenir en arrière jusqu’au lien entre tout ceci, et l’adoption par le président Poutine du récit conventionnel au sujet de la Covid-19. Comme nous l’avons écrit plus haut, il semble penser que le GR/4RI, que les politiques socio-économiques exercées font progresser, est inévitable ; c’est la raison pour laquelle il semble entretenir la vision d’une Russie prenant la tête de cette transition. Son vaccin Sputnik V, ainsi que les autres vaccins russes, sont sûrs et efficaces, ce qui signifie que leurs impacts sanitaires à long terme ne peuvent pas être comparés avec ceux des vaccins produits par les concurrents occidentaux ; de quoi réduire la controverse associée à la politique de vaccination « obligatoire » menée par le gouvernement. Le président Poutine n’« empoisonnerait pas son peuple » : il faut donc supposer qu’il estime sincèrement que l’inoculation de masse est réalisée pour le bien de celui-ci.
Au sujet des confinements, il se peut qu’il ait cru qu’ils pourraient aider à « arrêter la propagation », et qu’il le pense encore sincèrement actuellement, malgré les éléments émergents qui remettent en cause cette hypothèse, mais leur impact structurel a été d’accélérer certains des processus socio-économiques et technologiques associés à la mise en œuvre du GR/4RI en Russie. Ces derniers sont reliés au soutien plus proactif de l’État envers ses citoyens et entreprises (bien entendu sans le « revenu universel de base » associé à ces concepts), des expériences avec les QR codes, et la numérisation croissante de l’économie. Au final, le président Poutine adopte le récit conventionnel sur la Covid-19, et la promulgation des politiques qui s’y affèrent ont permis de faire progresser le GR/4RI.
Répétons-le, nonobstant les visions personnelles envers les changements profonds en lien avec ces concepts, la conclusion objective est que le président Poutine soutient ces transitions (peut-être en a-t-il été convaincu par une combinaison entre ses propres évaluations indépendantes des tendances mondiales, ainsi que par l’influence de son ami intime Klaus Schwab). Contrairement à ses homologues occidentaux, il ne faut pas s’attendre à voir Poutine suivre le Forum Économique Mondial, mais s’adapter de manière flexible à ces changements de telle sorte que la Russie conserve, voire accroisse sa souveraineté, selon des conditions redéfinies. Tout en adhérant strictement à une politique étrangère non-idéologique et centrée sur l’ONU, les affaires intérieures du pays resteront gérées d’une manière « conservatrice » et selon un « étatisme populiste »
Tous les arguments énoncés par la présente analyse contredisent les fausses affirmations qui sont répandues au sujet du président Poutine au sein de la communauté des médias alternatifs. Le fait que les États-Unis adhèrent également au récit conventionnel sur la Covid-19, et soutiennent le GR/4RI (fût-ce selon le slogan « Build Back Better ») n’implique pas que la Russie y est automatiquement antagoniste. Le président Poutine est un dirigeant suffisamment pragmatique et patriote pour toujours conserver les intérêts à long terme de son pays au premier plan, car il les comprend sincèrement comme indépendants de ce que les soutiens les plus passionnés de son pays peuvent ressentir quant à son évaluation de divers sujets et situations. Pour le meilleur ou pour le pire, pour le vrai ou pour le faux, la Russie défend le récit conventionnel autour de la Covid-19 et le GR/4RI.
Andrew Korybko
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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