19 mai 2021

3 mai 1945 : massacre par les Britaniques des prisonniers en provenance des camps de concentration

 
Le 3 mai 1945, une tragédie se produisit dans la Baie de Lübeck, située sur la Mer Baltique, dont l’histoire s’est souvenue sous le nom du naufrage du paquebot Cap Arcona. La « Royal Air Force » britannique attaqua des navires allemands transportant des prisonniers en provenance de camps de concentration nazis. Les bombes, torpilles et balles britanniques tuèrent des gens de plus de 25 nationalités, non seulement des citoyens soviétiques, mais également des gens en provenance des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France, du Canada, d’Italie, de Tchécoslovaquie, de Pologne, des États baltes, des pays scandinaves, de Grèce, de Serbie, et d’ailleurs. Leurs restes ont continué de s’échouer sur les berges pendant plusieurs dizaines d’années après l’événement.

Le nombre de morts est estimé entre 7000 et 12 000 personnes, cependant que le nombre de prisonniers ayant survécu au naufrage du Cap Arcona est estimé entre 310 et 350. Des éléments indiquent également que seuls 140 citoyens soviétiques survécurent. La température de l’eau, ce jour-là, n’était que de 7°C. Ce ne fut qu’au cours des années 1960 et 1970 que le grand public découvrit la tragédie qui s’était déroulée le 3 mai 1945, et ce uniquement parce que des documents furent publiés en URSS et ailleurs. D’autres éléments furent par la suite rendus publics, et l’on dispose désormais de nouveaux détails quant aux événements qui se déroulèrent il y a 76 ans.

Une lettre écrite par un homme nommé Vasily Salomatkin (1919–1999), qui était l’un des prisonniers impliqués dans la tragédie du 3 mai 1945, a été découverte au sein d’une correspondance échangée entre le ministère soviétique de la Sécurité d’État et le bureau du plénipotentiaire du Conseil des ministres soviétiques au rapatriement des citoyens soviétiques pour 1949. De tous les documents historiques à disposition, la lettre est d’une valeur particulière, car elle fut écrite par Salomatkin en personne. Cette lettre n’avait jamais été publiée jusque-là, n’a pas été rédigée ni dictée, et contient des détails jusqu’alors inconnus quant à la manière dont les autorités militaires britanniques traitèrent les prisonniers survivants.

Au mois de septembre 1939, Salomatkin prit part à la libération du Bélarus occidental, et servit au sein du District Militaire Spécial du Bélarus avant le début de la grande guerre patriotique (1941-1945). Entre le 22 juin et le 12 octobre 1941, il combattit les nazis près de Mogilev, sur la Dnieper, près de Yartsevo (Oblast de Smolensk), et près de Vyazma, où il fut grièvement blessé au cours d’un combat nocturne, et fut fait prisonnier. Salomatkin fut détenu dans des camps de concentration nazis dans les villes occupées de Smolensk et de Minsk et, à partir du mois d’avril 1942, dans un camp à Kalvarija (Lituanie). Il s’évada de ce camp, mais fut pris en Pologne de l’Ouest, et envoya dans un camp pénitentiaire aux abords de la ville allemande de Hanovre. Il fut ensuite déplacé jusqu’au camp de concentration de Neuengamme, à 30 kilomètres au Sud-Est de Hambourg.

« Le 29 avril 1945, les SS, sentant que les troupes alliées s’approchaient du camp de concentration de Neuengamme (près de Hambourg), déplacèrent tous les prisonniers qui étaient encore en état de marcher vers la ville de Lübeck (un port allemand sur la mer Baltique). Nous étions environ 12 000, et la grande majorité d’entre nous étaient des prisonniers de guerre russes », écrit Salomatkin.

À Lübeck, les prisonniers furent chargés à bord de barges et, étroitement surveillés par des soldats et des embarcations, longèrent la baie de Lübeck jusqu’à la mer Baltique, où se trouvaient trois navires qui les attendaient, deux petits et un grand. Le 3 mai 1945, selon la lettre de Salomatkin, des soldats britanniques atteignirent Neustadt in Holstein, à une faible distance de Lübeck, et exigèrent la reddition de la ville avant midi. Les autorités allemandes y consentirent. Puis les Britanniques exigèrent la reddition des navires sur lesquels les prisonniers des camps de concentration étaient détenus. Les navires étaient ancrés à six kilomètres de Neustadt in Holstein. « Les gardiens SS à bord des navires refusèrent de se rendre. Puis un grand nombre d’avions de la RAF britannique apparurent, et se mirent à bombarder les navires… Les navires à bord desquels nous étions n’ouvrirent pas le feu sur les avions de la RAF », écrit Salomatkin.

Selon sa lettre, le premier navire à avoir été bombardé fut le Thielbek, qui prit feu et commença à sombrer. À ce stade, les gardiens SS à bord du Cap Arcona arborèrent un drapeau blanc pour signifier leur reddition. Les prisonniers qui étaient sur le pont se dévêtirent également de leurs vestes blanches et se mirent à les agiter en l’air pour indiquer aux pilotes britanniques que le navire se rendait. « Mais les pilotes britanniques, exactement comme les pilotes nazis, n’en eurent cure, et continuèrent à bombarder les navires, faisant fi du drapeau blanc à bord et des gens qui sur le pont agitaient leur veste blanche et implorant la pitié, pour qu’on les épargne. »

La lettre poursuit : « Le navire qui fut ensuite bombardé après le Thielbek fut le second plus petit. Puis une bombe frappa la poupe du Cap Arcona ; j’étais debout à la proue du navire. À ce stade, les gardiens SS lancèrent des canots à l’eau et partirent, et les prisonniers à bord du navire se mirent à paniquer. Ceux qui parvenaient à atteindre le pont se jetaient dans l’eau…

« Des torpilleurs apparurent à environ un kilomètre de distance par rapport au point où le Cap Arcona avait sombré. À leur vue, nous nous mîmes à nager dans leur direction, pensant qu’ils allaient nous récupérer et nous sauver, mais c’est le contraire qui se produisit. Les soldats à bord des navires étaient là-haut, et tiraient sur les prisonniers qui nageaient au fusil mitrailleur… En voyant cela, je changeai de direction, et pris la direction de la berge. On la distinguait à peine. Je nageai sans aide, uniquement avec mes bras et mes jambes. J’aurais échoué comme les autres à atteindre la rive, mais la chance me sourit après avoir nagé déjà sur une bonne distance, lorsque la marée commença à monter. Elle me sauva, » se souvient Salomatkin.

 
« L’homme du Cap Arcona », dirigé par Lothar Bellag en 1982

Après avoir atteint la berge, Salomatkin fut amené à l’hôpital, puis dans un camp pour les survivants, dont le calvaire se poursuivit une fois à terre. Le bombardement des navires chargés de prisonniers des camps de concentration avait déjà été raconté, mais la lettre de Salomatkin est la seule à mentionner ce que les survivants eurent encore à endurer.

« Une fois sorti de l’hôpital, je fus mis dans un camp avec les autres survivants. Les Britanniques ne nous traitèrent pas de manière convenable. Ils nous contraignirent à occuper des petites pièces étroites, et nous nourrirent à peine, uniquement une boîte de rutabaga allemand et d’épinards. Une fois, nous avons protesté et refusé de manger, en exigeant de la vraie nourriture, et ils nous répondirent que nous n’en méritions pas. Ils emmenèrent deux prisonniers, les accusèrent de sabotage et les jetèrent en prison. Je n’ai jamais su ce qu’il était advenu d’eux. Je quittai le camp, mais eux restèrent en prison, » écrit Salomatkin.

Selon sa lettre, les corps des prisonniers qui étaient morts à bord des navires coulés commencèrent à s’échouer sur les berges peu de temps après. Les prisonniers soviétiques établirent une commission pour enterrer les morts avec les honneurs militaires dans une fosse commune, et demandèrent de l’aide à un officier britannique — le commandant de Neustadt —, mais il refusa. « Je ne vous donnerai rien. Allez les enterrer comme bon vous semblera, et accordez-leur les honneurs que vous voudrez ; je n’ai rien pour vous »… « Si bien que nous fîmes notre possible pour honorer nos camarades tués par les avions britanniques. C’est ainsi que les Britanniques nous traitèrent, » écrit Salomatkin.

Il évoque également le fait que les prisonniers de guerre allemands en ville « étaient libres de leurs mouvements, et nous attaquèrent et nous battirent ; ils menacèrent de tous nous tuer durant la nuit, nous les prisonniers de guerre soviétique, car ils se déplaçaient ci et là avec des lames. » Les commandants britanniques ne répondirent pas aux plaintes des citoyens soviétiques. « Le commandant arbora un sourire narquois et ne fit rien. N’ayant pas reçu de réponse satisfaisante, nous nous rendîmes au camp, et dîmes aux autres prisonniers de guerre soviétique de se trouver des armes d’auto-défense. Une fois que nous en eûmes, nous postâmes nos propres gardes autour du camp, en cas d’attaque des Allemands. C’était ainsi qu’allaient les choses avec les Britanniques, » ajoute-t-il.

Selon Salomatkin, il fut par la suite emmené dans une mission militaire de rapatriement des citoyens soviétiques, où il « rencontra des marques d’hostilité flagrantes à l’encontre de l’Union soviétique… Les Britanniques prononcèrent des discours aux prisonniers de guerre soviétiques, les exhortant à ne pas rentrer en Union soviétique, surtout les Ukrainiens, les Lettons et les Estoniens. »

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