07 décembre 2020

Le fichage des Français selon leurs opinions politiques, religieuses, leur activisme, leur état de santé, autorisé par décret...



Opinion politique, activité sur les réseaux sociaux, comportement religieux ou données de santé : autant d'éléments qui pourront désormais être collectés dans les fichiers du renseignement selon trois décrets passés sous les radars de la presse.

Recueillir une somme importante d'informations sur l'opinion politique de personnes «pouvant porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l'Etat», des pseudos Twitter, des données de santé, des éléments de comportement religieux : c'est ce que permettent désormais trois décrets du ministère de l'Intérieur publiés dans la matinée du 4 décembre et consultables dans le Journal Officiel. S'ils sont passés relativement inaperçus dans la presse (à quelques rares exceptions près), ces textes renforcent pourtant significativement les méthodes allouées au renseignement territorial... et suscitent des questionnements quant aux objectifs poursuivis.

Portant sur le «Fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique» (PASP), la «Gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique» (GIPASP) et les «Enquêtes administratives liées à la sécurité publique» (EASP), ces décrets élargissent considérablement les possibilités de surveillance de toute personne présentant un risque pour l'ordre public, à savoir non seulement les individus radicalisés mais aussi des manifestants violents, ou encore des hooligans, comme l'explique le site spécialisé NextInpact.

Cependant l'expression utilisée dans le décret PASP pour désigner ces personnes reste très générale et pourrait concerner, en théorie, de nombreux cas. Les trois décrets font ainsi référence au fichage des individus dont les activités seraient «susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de constituer une menace terroriste portant atteinte à ces mêmes intérêts». 

Ficher des individus selon leurs «opinions politiques [et] religieuses»

Afin de préserver la «sûreté de l'Etat», les trois textes prévoient également tout un arsenal de mesures de surveillance comme la possibilité de ficher des individus selon «des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale». La nuance est donc importante puisque la précédente version permettait le fichage des individus selon leurs activités, et non pas de leurs «opinions». 

Les décrets PASP et GIPASP ajoutent en outre la possibilité de ficher «des données de santé révélant une dangerosité particulière». Il s'agira, pour les services de renseignement, de prêter attention aux «données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques obtenues conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur».   

Quant aux destinataires de ces données, les agents des services de renseignement, les policiers et gendarmes, mais aussi (nouveauté) les procureurs, pourront tous accéder à ces fichiers de surveillance. 

Surveillance accrue sur les réseaux sociaux

Un autre point qui soulève bien des inquiétudes est la surveillance des «activités sur les réseaux sociaux». Une grande nouveauté qui ne figurait pas dans le précédent décret. Elle permet aux forces de l'ordre de recueillir les identifiants et pseudonymes utilisés sur les réseaux sociaux, par des individus surveillés, à l'exclusion des mots de passe.  

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) précise que, «seules les informations mises volontairement en ligne par leurs propriétaires en source ouverte, sans qu'elles soient conditionnées à un accès particulier, pourront être consultées et collectées».    

Parmi les autres points énumérés dans le décret de 2020, citons, outre le fichage des liens avec «des groupes extrémistes», les éléments ou signes de radicalisation, ou encore la détention d'armes, la possibilité pour les fonctionnaires du renseignement territorial de répertorier des éléments concernant les «pratiques sportives», la détention «d'animaux dangereux» et même, élément nouveau, des données relatives à des «facteurs de fragilité», comme les «facteurs familiaux, sociaux et économiques» ou les «addictions».  

Vers une «société de surveillance généralisée»?

Peu médiatisée, la publication de ce décret relatif à la sécurité intérieure n'a pas manqué de faire réagir, notamment à gauche. 

Pierre Jacquemain, le rédacteur en chef de la revue Regards, accuse le gouvernement de vouloir «surveiller plus encore ses opposants», et cela «sous couvert de lutte antiterroriste». Dans son édito du 6 décembre, le journaliste dénonce «une atteinte de plus à la liberté» et s'interroge sur l'identité des personnes qui pourraient être surveillées par les services de renseignement. «Parce que de Mediapart à la LDH [La Ligue des droits de l'Homme] en passant par la France insoumise ou l'UNEF [Union nationale des étudiants de France], ils sont nombreux à être dans le viseur du gouvernement», s'inquiète Pierre Jacquemain. «Que feront-ils de ces fichés-là ?», questionne le journaliste à l'adresse des services de renseignement. 

Même inquiétude grandissante du côté d'Amnesty France où Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer Libertés pour l'ONG, s'interroge aussi sur le nombre d'individus pouvant être fichés. 

«Qui d'autre sera fiché ? Les personnes "morales ainsi que des groupements". Comprendre : les associations, vous êtes aussi concernées», s'insurge, sur Twitter, la membre d'Amnesty France.  

La chargée de plaidoyer invite même ses abonnés à se poser cette question en guise de «jeu pour le weekend» : «Combien d'entre nous pourraient être fichés selon ces critères ?»

Manon Aubry, eurodéputée La France insoumise, voit pour sa part dans le décret gouvernemental du 4 novembre, un «nouveau cap franchi dans la société de surveillance généralisée et la dérive liberticide et autoritaire»

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