Nous sommes à Stalingrad, dans le XIXe arrondissement de Paris. Autour du canal de l'Ourcq, entre les stations Stalingrad, Jaurès et Riquet, les vols sont devenus quotidiens. Si bien que les riverains ont surnommé la zone le « triangle des Bermudes des vélos volés ». « Je m'en suis fait voler quatre en un an », raconte Joaquim, un habitant du quartier.
Benjamin, lui, s'est fait voler son vélo en une heure alors qu'il allait boire un verre autour du cinéma MK2 : « Les vols découragent beaucoup les gens de se mettre au vélo, je trouve cela dommage. » On estime qu'un cycliste sur trois, résidant dans une ville de plus de 200 000 habitants, s'est déjà fait voler un vélo au moins une fois dans sa vie.
Mais qu'advient-il de ces nombreuses bicyclettes volées ? Pour le savoir, on a récupéré un vélo d'entrée de gamme, flambant neuf. Nous l'avons équipé d'un traceur GPS adapté, dissimulé dans une lampe. Puis nous l'avons attaché avec un cadenas premier prix (2,99 euros), dont le modèle est utilisé des cyclistes à petit budget. Il est 11h45, il ne reste plus qu'à attendre…
Il aura fallu cinq heures pour qu'un potentiel voleur s'intéresse à notre vélo. 16h43, un quadragénaire tâte le cadenas, et passe un coup de fil, inaudible pour notre caméra cachée. Il disparaît aussi sec. Une heure plus tard, un autre homme, connu des riverains pour son addiction au crack, brise l'antivol avec une petite pince et s'évapore dans le quartier.
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Le vélo passe par Colombes, puis Clichy
Le lendemain du vol, après un bug technique, nous récupérons enfin les données GPS. L'application, fournie avec le traceur, nous indique que le vélo a transité par le quartier de Marx-Dormoy, avant de partir vers Colombes puis Clichy (Hauts-de-Seine).
C’est quelque part dans ce garde-meubles que se trouve le vélo du Parisien./LP/Claire Duhamel
La suite de cette histoire est assez rocambolesque. A 21 heures, le lendemain du vol, le vélo s'est stabilisé. Les données GPS indiquent qu'il est dans un garde-meubles à Clichy. Je me rends sur place le lendemain matin. Sur l'application de l'entreprise française Invoxia, qui commercialise le traceur GPS, j'ai aussi accès à un radar de proximité, qui se connecte en Bluetooth au traceur du deux-roues quand il est à une vingtaine de mètres. Reste à le retrouver au milieu des centaines de box de l'entrepôt.
Je suis aidée de Jérémy (NDLR : le prénom a été modifié), un employé du garde-meubles. A 11h03, le radar repère le vélo. Il est dans un camion, qui se trouve devant un box à moitié ouvert. Nous tombons sur un « employé ». Surpris, il appelle son patron. Quelques minutes plus tard, le gérant de cette petite affaire apparaît. Je lui demande poliment de récupérer ma bicyclette : « Il a une valeur sentimentale pour moi, s'il vous plaît ! »
Le « patron » obtempère. « Ils sont emballés », prévient-il. Il ouvre la porte du camion. J'écarquille les yeux. A l'intérieur, il y a une quinzaine de vélos, empaquetés dans du plastique noir. Le patron en sort un et commence à déchirer l'emballage. C'est un B'twin Decathlon, démonté pour prendre moins de place dans le camion. On reconnaît le traceur GPS sous la selle. Le radar s'affole. Il n'y a pas de doute, c'est le nôtre.
Notre vélo est retrouvé, démonté et empaqueté dans un plastique noir, il se trouvait dans un camion d'une entreprise d'export vers le Maghreb./LP/Claire Duhamel
A côté du camion, à l'intérieur du box, des cartons et des bagages indiquent des destinations au Maghreb. Le patron confirme que les vélos sont revendus au Maroc. Il pointe le mien : « Ça, je revends. »
Trafic de vélos volés
« Je l'ai acheté sur le Bon Coin », confie le gérant. « J'en ai acheté dix ou quinze. C'est un lot. » Mais très vite, l'homme s'embrouille. Il indique ensuite avoir racheté le tout à porte de la Chapelle, un lieu où sont revendus de nombreux vélos volés. S'il dit vrai, et selon nos données GPS, cela signifie qu'il a racheté la bicyclette au tout début de son parcours, entre 18h03 et 19h43. Impossible qu'il ait pu être revendu via Le Bon Coin en un laps de temps aussi court.
Le patron de l'entreprise d'export, rassuré que je n'appelle pas la police, va même jusqu'à porter mon vélo et le replacer dans le coffre de ma voiture. Son entreprise est enregistrée au registre des sociétés, possède un numéro Kbis et exporte en toute légalité… du moins pour sa marchandise officielle. Depuis 2019, dix-sept bicyclettes sont volées chaque jour à Paris. Et ce chiffre est vraisemblablement sous-estimé, car trois quarts des victimes ne déposent pas plainte.
« Il y a une hausse de 8 % des vols de vélos sur les huit premiers mois de 2020 », précise le commissaire Olivier Goupil (VIIe arrondissement de Paris). Nous n'avons pas connaissance de l'existence de filières organisées. » Ce sont surtout « des individus qui utilisent les sites de revente entre particuliers ». V, policier en civil dans le nord-est parisien, précise : « Pour remonter les filières, il faudrait que ce soit des services de police judiciaire qui s'en occupent. Et je pense que pour le moment, c'est moins leur priorité que les vols de voiture. »
Stationnements plus sécurisés
Il est extrêmement rare de retrouver son deux-roues volé. Cela représente 2 à 3 % des vols pour ceux qui ne sont pas équipés d'un Bicycode (système d'immatriculation) selon la FUB, la fédération des usagers de la bicyclette. En 2021, le marquage sera obligatoire pour les vélos neufs et ceux d'occasion, achetés chez un revendeur agréé. Objectif : limiter les reventes frauduleuses, notamment en ligne. « Si votre vélo équipé d'un traceur GPS est volé, il faut aller voir la police », conseille Rémi Bader, directeur des opérations de l'entreprise de traceurs GPS Invoxia. Les signalements de vélos traqués par données GPS sont encore très rares, mais permettent aux policiers de remonter de potentielles filières.
Pour lutter contre ce type de vol, les policiers cherchent surtout le flagrant délit. « Le problème c'est que très peu de vélos ont un marquage », explique V, le policier en civil du nord-est parisien. Par exemple autour de la gare de l'Est, il y a beaucoup de vélos qui sont accrochés les uns aux autres. Ils sont signalés régulièrement, c'est certainement des vélos volés. Mais ils n'ont aucun marquage, alors sans flagrant délit, on ne peut rien faire. »
« Nous sommes conscients que le vol est un des freins principaux à la pratique du vélo », concède David Belliard, adjoint à la mairie de Paris, chargé des mobilités. La mairie réclame « l'engagement de la Préfecture de police » et s'engage à créer davantage de places de stationnement : « Vingt véloboxes sur l'espace public parisien sont déjà installés, bientôt il y en aura trente de plus. » David Belliard met également en avant la vélo station de la gare de Lyon et ses 200 emplacements de vélos sécurisés « 24 heures/24 ». Gare Montparnasse, une seconde de 375 places devrait ouvrir d'ici à la fin de l'année. A l'heure actuelle, le vol de vélo est le principal facteur qui décourage les Français à se mettre au deux-roues. 46 % des cyclistes déclarent qu'il leur arrive de renoncer à utiliser ce mode de transport par crainte du vol.
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