11 juillet 2020

L’Europe s’oppose à la vente libre des semences de variétés paysannes aux jardiniers amateurs

Jardins potagers dans les marais de Bourges, Cher © Yann Arthus-Bertrand

La liberté de diffuser, et notamment de vendre, des variétés traditionnelles de semences, non inscrites au Catalogue officiel, a connu ces dernières années de nombreuses vicissitudes. Soutenue par les parlementaires à plusieurs reprises, elle est régulièrement battue en brèche par le lobby semencier et ses relais au Ministère de l’agriculture, qui ne souhaitent voir aucune évolution dans la réglementation applicable à la vente de semences. La loi relative à la transparence sur les produits agricoles et alimentaires, dite aussi « post-EGalim », prévoit, pour la troisième fois, un assouplissement des règles, permettant ainsi la vente libre de semences de variétés paysannes aux jardiniers amateurs et collectivités publiques. Or la Commission européenne a manifesté il y a quelques jours son opposition à cette mesure. Cette situation indigne l’avocate Blanche Magarinos-Rey, spécialiste de la matière.

Un « avis circonstancié » de la Commission européenne pour le moins critiquable

Depuis le 12 juin dernier, la vente de semences de variétés libres de droit et reproductibles à des utilisateurs non professionnels est enfin légale en France. En effet, la vente de semences de variétés du domaine public à des utilisateurs non professionnels a été exemptée des règles de commercialisation prévues par les directives européennes sur le commerce des semences, et notamment de l’obligation d’inscription au catalogue officiel, qui empêche la commercialisation de nombreuses variétés paysannes non homogènes et non stables.

Beaucoup se sont cependant réjouis trop vite : la Commission s’oppose maintenant à cette mesure, inscrite dans l’article 10 de la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires.

Le 23 juin, elle a émis un ‘avis circonstancié’ à son encontre, faisant suite à une notification infondée des autorités françaises. Dans son avis, la Commission considère que tous les échanges de semences, y compris ceux visant les jardiniers amateurs, doivent être soumis aux contraintes prévues par les directives européennes. Elle s’abstient pourtant dans son avis de justifier pourquoi et procède, pour arriver à une telle conclusion, par des affirmations péremptoires tenant en deux phrases.

Pourtant, selon les termes mêmes des directives européennes, celles-ci ne s’appliquent qu’aux échanges de semences « en vue d’une exploitation commerciale de la variété ». Or, de toute évidence, les utilisateurs non professionnels, et en particulier les jardiniers amateurs, ne font pas une telle exploitation commerciale.

C’est donc sans aucune justification que la Commission demande à la France de supprimer ces nouvelles dispositions de la loi. Il y a de quoi exaspérer les parlementaires qui, par trois fois, ont adopté cette mesure.

En tout état de cause, cet avis arrive trop tard, puisque la France a déjà promulguée la loi. La période de statu quo, qu’elle a prorogé jusqu’au 25 septembre 2020, n’a donc aucun effet en droit interne. La Commission européenne pourrait cependant décider d’entamer un contentieux, et la question de droit serait alors définitivement tranchée par la Cour de Justice de l’UE. Elle serait cependant bien malvenue de prendre une telle initiative, alors qu’elle a promis un assouplissement de la législation européenne sur le commerce des semences, aussi bien dans sa stratégie « de la ferme à la table » que dans sa stratégie « Biodiversité horizon 2030 ».

Petit historique de cette épopée

La première tentative date de 2016. Les parlementaires ont introduit dans la loi Biodiversité un amendement accordant la possibilité aux associations loi 1901 d’échanger gratuitement et de vendre des semences de variétés non inscrites au « Catalogue officiel » mais appartenant au domaine public et destinées à des utilisateurs non professionnels. Par une décision du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions au motif que le fait de réserver cette dérogation aux seules associations méconnaîtrait le principe d’égalité devant la loi. Cependant, au lieu de supprimer les quelques termes faisant référence aux associations, le Conseil constitutionnel a supprimé aussi, sans aucun motif, la possibilité de pratiquer des échanges « à titre onéreux », vidant ainsi le texte de toute portée commerciale.

La seconde tentative a lieu deux ans plus tard, en 2018, lors du vote de la loi EGalim (Agriculture et Alimentation). Le 2 octobre 2018, les parlementaires ont adopté un nouvel amendement tendant à réintroduire dans les dispositions issues de la loi Biodiversité la possibilité de vendre lesdites semences, et ce contre l’avis du gouvernement. Malheureusement, le 25 octobre 2018, cette disposition est encore une fois censurée par le Conseil constitutionnel – qui pourtant n’était même pas saisi de l’examen de l’article en question – pour le motif douteux qu’elle n’aurait pas présenté de lien, même indirect, avec le projet de loi initial (« cavalier législatif »). Prétendre qu’une disposition sur les semences n’aurait aucun lien avec une loi sur l’agriculture et l’alimentation confine évidemment à l’absurde.

La troisième tentative, que l’on espérait être la dernière, fait directement suite à la censure du Conseil. De nombreux parlementaires, de tous bords politiques, ont déposé des propositions des lois (4) tendant à réintroduire dans la loi un certain nombre d’articles censurés par le Conseil constitutionnel, et en particulier les dispositions sur la vente de semences. L’une de ces propositions de loi a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 27 mai 2020 et est entrée en vigueur le 12 juin. Elle est donc pleinement applicable.

Les institutions sous forte influence des lobbys semenciers


L’avis circonstancié de la Commission européenne ne fait que refléter, une fois encore, l’influence des lobbys industriels, et particulièrement semenciers, à tous les niveaux de la prise de décision publique. En France, installé confortablement, depuis le régime de Vichy, dans les salons du Ministère de l’agriculture, avec la double casquette publique-privée, le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences) est la figure de proue de ce secteur influent. Il défend les intérêts de celui-ci, dans un climat de conflits d’intérêts permanents et parfaitement assumés. En vérité, le ver ne saurait être mieux installé dans la pomme. D’une voracité inouïe, il ne veut renoncer à rien, pas même à ce qui permettrait de sauvegarder la biodiversité dans les jardins familiaux.

Et c’est ainsi que, même en s’y reprenant à trois reprises, les parlementaires de la République peinent à faire évoluer la législation sur le commerce des semences. Mais cette fois-ci, les rapaces sont arrivés trop tard, la loi est entrée en vigueur et elle est pleinement applicable. S’ils veulent y faire obstacle, il faudra qu’ils fassent pression sur la Commission pour qu’elle engage un contentieux contre la France. Il n’est pas impossible qu’ils y parviennent, tant ils ont démontré avoir le bras long…

Ainsi, c’est autant pour la biodiversité agricole que pour la démocratie qu’il faut aujourd’hui défendre, plus que jamais, l’article 10 de la loi du 10 juin 2020 et le libre accès de tous les utilisateurs non professionnels aux variétés paysannes non inscrites au Catalogue officiel. Cet accès est possible en France depuis le 12 juin et doit absolument le rester.

Blanche Magarinos-Rey, Avocat à la Cour

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