Le Baluchitherium. Disparu mais pas oublié.
Le virus Covid-19 lui-même n’a pas envoyé les États-Unis dans le fossé, mais il a révélé la faiblesse et la pourriture de la locomotive du pays, et maintenant nous, tous les passagers de ce train déglingué, devons décider de rester impuissants à l’intérieur de l’épave fumante, nous disputant pour savoir qui blâmer, ou commencer une longue et incertaine marche à pieds vers un lieu d’arrangements nouveaux.
En 1918, le pays a été frappé par une pandémie bien plus meurtrière en même temps qu’il combattait une guerre mondiale, et la vie quotidienne avait à peine marqué le coup. L’économie était alors fondamentalement celle de la production, pas de la simple consommation d’objets fabriqués ailleurs dans le monde – ou échangés contre des papiers de « reconnaissances de dettes » [I owe you – IOU] libellées en dollars américains, ni de salons de bronzage, de manucure, ni de services de streaming et de salles de Pilate ou de musculation. L’économie était un mélange de grandes, moyennes et petites entreprises, et pas seulement de géants en difficulté, en particulier dans le commerce de détail. Nous vivions répartis dans des villes, des villes pas encore envahies par la végétation, et un paysage nettement bucolique consacré aux activités rurales – pas à la vaste frénésie de démolition de banlieues entropiques sans aucun avenir en tant qu’habitat humain. Le secteur bancaire ne représentait que 5% de l’économie, et non le ballon [même pas] dirigeable gonflé aux rackets et escroqueries diverses représentant maintenant plus de 40% du soi-disant PIB. Le gouvernement, aux niveaux fédéral et étatique, était minuscule par rapport au parasite étouffant du Léviathan qu’il est devenu.
Qu’est-il arrivé ? Comme la vieille plaisanterie d’Hemingway sur l’homme qui se brisait lentement, jusqu’à la rupture brutale, nous avons tout laissé glisser dans la vie américaine vers un gigantisme désespéré, trop encombrant pour s’adapter à de nouvelles conditions, et soudain les conditions ont changé. Et maintenant, tout est en train de s’effondrer : les chaînes de magasins à l’agonie, les sociétés zombies géantes qui ne peuvent encore tenir qu’en empruntant de l’argent pour racheter leurs propres actions, les constructeurs automobiles qui sont à court d’imagination dans leurs programmes de prêts pour les clients non solvables, le pétrole de schiste avec ses entreprises de fracturation qui n’ont jamais gagné un sou, les fermiers de l’agro-industrie devenus des obèses morbides avec les régimes de crédit et de subventions du gouvernement – tout comme leurs clients finaux devenus obèses avec la prolifération de la mal-bouffe – les Seigneurs de la financiarisation de Wall Street, hypothéquant des fortunes en tirant parti de tous les actifs qui ne sont pas cloués au sol, et qu’ils ont pu piller d’un océan à l’autre, la sous-classe pléthorique conditionnée à l’impuissance, à la dépendance et au vice, à la tyrannie ambiante inéluctable du battage médiatique, de la propagande et de la désinformation, et, bien sûr, pour couronner l’énumération, l’état catastrophique que le gouvernement affiche.
Comprenez bien ceci : aucune de ces choses vacillantes et chancelantes ne sera ressuscitée. Elles sont toutes en voie de disparition, comme le Baluchitherium de l’Oligocène. Continuer à les soutenir – alors que la Réserve fédérale alimente sournoisement les marchés financiers – ne fera que promouvoir l’illusion que nous n’avons pas à changer et à mener la vie humaine quotidienne différemment. Une contraction économique mondiale était déjà en cours avant que la Covid-19 n’entre en scène. La récession envoyait un message très fort et clair : le gigantisme est allé aussi loin qu’il le pouvait et maintenant c’est aux plus petits et aux plus agiles de continuer. Méfiez-vous des promesses des autorités sclérosées qui vous demandent de rester sous leur emprise – en dépendant d’elles.
Attendez-vous à ce que ces autorités bousillent même le prochain grand exercice de leur propre business : les élections de 2020. Ce sera le point culminant de la saison d’hystérie politique. Il complétera le chapitre de notre histoire qui nous a laissés avec cette grosse locomotive qui fume, renversée dans le fossé. La ruée pour fuir cette scène de catastrophe sera effrayante et désespérée. Peu importe qui finira par contrôler le gouvernement – ou le prétendra – les mêmes forces de récession et de simplification régneront de fait, et vous devrez agir en conséquence.
De nombreuses personnes chercheront à fuir les lieux où elles vivent actuellement pour trouver de nouvelles maisons et des moyens de subsistance ailleurs. Ces mouvements démographiques sont déjà en cours. La ville de New York voit s’évader une grande partie de son assiette fiscale alors que les riches s’enfuient, Chicago aussi et tout l’État de Californie. Ces lieux seront débordés par la faillite technique, même si la marge de manœuvre juridique leur permet d’éviter de la déclarer. D’autres États, comtés et municipalités – y compris de nombreuses agglomérations de banlieue – s’effondreront également, ce qui signifie que tous les systèmes de soutien et filets de sécurité habituels disparaîtront. De nombreuses chaînes d’approvisionnement vont se briser. L’argent pourrait devenir rare ou sans valeur, ce sont deux façons de faire faillite.
Dès maintenant, commencez à planifier où vous pourriez aller et ce que vous pouvez faire. La tourmente présentera de nombreuses occasions de trouver le moyens d’être utile à d’autres personnes, de concevoir des solutions de contournement pour les systèmes et les relations rompus, pour acheminer de la nourriture aux gens, fabriquer les choses dont ils ont besoin, les distribuer, réparer les choses qui sont cassées lorsque cela est possible, et déplacer les gens et les choses du point A au point B. Il y aura beaucoup de travail pour les gens qui sont prêts à le faire. Gardez à l’esprit que c’est à vous de faire les bons choix.
Ne désespérez pas, et si vous allez dans cette direction, dépassez-vous. Cela fait juste partie de l’effort à faire pour devenir plus solide que vous ne l’auriez pensé, et les temps l’exigeront de toute façon. Les bureaux officiels qui vous ont distribué des images pieuses pour une victimisation avouée seront également fermés. N’est-ce pas un soulagement ? Bienvenue à la révélation joyeuse que la vie est difficile pour tout le monde. Qui est prêt pour ce voyage épique ?
James Howard Kunstler
Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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