25 mai 2020

Les États-Unis menacent de procéder à de nouveaux essais nucléaires pour pousser la Chine à signer un traité dont elle ne veut pas


L’administration Trump est hostile à tout accord qui limiterait ses capacités à construire, tester et déployer des armes nucléaires.

Elle a quitté l’accord sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) qui limitait les déploiements de missiles nucléaires en Europe. Elle l’a fait après avoir accusé la Russie de déployer des missiles dépassant la portée autorisée par le traité FNI. Elle n’a jamais apporté la preuve de cette accusation.

Récemment, l’administration a annoncé qu’elle quitterait le traité « Ciel ouvert » qui permet des vols de reconnaissance mutuelle pour ses 34 pays membres. Elle a accusé la Russie d’avoir limité les demandes américaines pour de tels vols au-dessus de certaines zones russes. Le gouvernement russe a démenti ces affirmations.

L’administration Trump prend intentionnellement tout son temps avant de renouveler le nouveau traité START qui limite les plateformes nucléaires stratégiques déployées par les États-Unis et la Russie. Le traité expirera le 5 février 2021. La Russie a proposé de le renouveler pour cinq ans sans aucune condition. Les États-Unis ont rejeté cette offre. Ils disent que la Chine doit être intégrée au traité, même si cela n’a aucun sens.

En plus de tout cela, Trump pense maintenant à rompre le traité d’interdiction totale des essais nucléaires que les États-Unis ont signé mais pas ratifié : L'administration Trump a discuté de l'opportunité de procéder au premier essai nucléaire américain depuis 1992, dans une démarche qui aurait des conséquences importantes sur les relations avec les autres puissances nucléaires et renverserait un moratoire de plusieurs décennies sur de telles actions, a déclaré un haut fonctionnaire de l'administration et deux anciens fonctionnaires familiers des délibérations. La question a été soulevée lors d'une réunion de hauts fonctionnaires représentant les plus hautes agences de sécurité nationale le 15 mai, suite aux accusations de fonctionnaires de l'administration selon lesquelles la Russie et la Chine procèdent à des essais nucléaires de faible puissance - une affirmation qui n'a pas été étayée par des preuves accessibles au public et que les deux pays ont démenti.

L’affirmation selon laquelle la Russie et la Chine ont procédé à des essais de faible puissance est presque certainement fausse et ne constitue qu’un prétexte pour éviter la ratification du traité d’interdiction des essais.

La grande blague, cependant, est que l’administration prétend qu’elle pourrait avoir besoin de tester à nouveau des dispositifs nucléaires pour aider au renouvellement du nouveau traité START : Un haut fonctionnaire de l'administration, qui comme d'autres s'est exprimé sous le couvert de l'anonymat pour décrire les discussions nucléaires sensibles, a déclaré que démontrer à Moscou et à Pékin que les États-Unis pouvaient "faire des tests rapides" pourrait s'avérer utile du point de vue des négociations alors que Washington cherche à conclure un accord trilatéral pour réglementer les arsenaux des plus grandes puissances nucléaires.

Il n’y aura pas d’« accord trilatéral ». Les États-Unis prétendent vouloir renouveler le nouveau traité START en y incluant la Chine. Mais la Chine n’a absolument aucune raison de conclure un tel accord. Ce graphique de l’Association pour le contrôle des armements explique pourquoi :  

 

La Russie et les États-Unis ont tous les deux plus de 6 000 ogives nucléaires. Le nouveau traité START entre les États-Unis et la Russie limite à environ 1 400 le nombre de plates-formes – missiles, bombardiers et sous-marins – que chaque partie peut utiliser pour lancer des armes nucléaires stratégiques. La Chine possède moins de 300 ogives nucléaires et encore moins de plateformes à partir desquelles elles pourraient être lancées. Les États-Unis prétendent que la Chine doublera le nombre de ses ogives et de ses plates-formes au cours des dix prochaines années, mais il n’y a là encore aucune preuve à l’appui de cette affirmation.

Pourquoi la Chine, qui dispose de moins de capacités nucléaires que la France et la Grande-Bretagne, devrait-elle adhérer à un traité qui limiterait ses capacités alors que les États-Unis et la Russie en ont tous deux plus de vingt fois le nombre. Cela n’a aucun sens.

Il est évident que l’administration Trump utilise simplement la Chine comme excuse pour laisser expirer le Nouveau Traité START.

Le véritable espoir de cette administration est peut-être de relancer une course aux armements nucléaires. C’est ainsi que j’interprète cet argument circulaire : Le négociateur du président américain Donald Trump en matière de contrôle des armements a déclaré jeudi que les États-Unis sont prêts à faire passer la Russie et la Chine "aux oubliettes" afin de gagner une nouvelle course aux armements nucléaires. "Le président a clairement indiqué que nous avons ici une pratique qui a fait ses preuves. Nous savons comment gagner ces courses et nous savons comment réduire l'adversaire au néant. S'il le faut, nous le ferons, mais nous préférons certainement l'éviter", a déclaré l'envoyé spécial du président, Marshall Billingslea, lors d'une présentation en ligne à un groupe de réflexion de Washington.

La « menace » d’une nouvelle course aux armements nucléaires est faite pour impressionner la Russie afin qu’elle oblige la Chine à adhérer à un nouveau traité « New Start » : Marshall Billingslea, qui a été nommé le mois dernier envoyé spécial du président pour le contrôle des armements, a déclaré jeudi qu'il avait eu son premier appel téléphonique sécurisé avec un homologue à Moscou, le vice-ministre russe des affaires étrangères Sergei Ryabkov. Billingslea a déclaré qu'ils étaient d'accord pour se rencontrer, parler de leurs objectifs et trouver un moyen d'entamer les négociations. "Ce n’est rien de le dire, ce ne sera pas facile. C'est nouveau", a déclaré M. Billingslea, ajoutant que les États-Unis s'attendent à ce que la Russie aide à amener la Chine à la table des négociations. ... Un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Geng Shuang, a déclaré en janvier que la Chine n'a "aucune intention de participer" aux négociations trilatérales sur le contrôle des armes. Billingslea, cependant, est optimiste quant à la volonté de Pékin de se joindre à ces négociations et d'être considéré comme une puissance mondiale.

La Russie « n’amènera jamais la Chine à la table des négociations » même si elle le pouvait. Les États-Unis et la Russie sont des superpuissances de premier ordre. La Chine n’en est pas encore là.

La menace de Billingslea d’une nouvelle course à l’armement n’est pas crédible. La Russie a déjà anticipé une telle course en introduisant une génération d’armes complètement nouvelles que les États-Unis ne peuvent pas du tout contrer. La relance par Trump du projet Star Wars de Reagan ne changera rien à cela.

La Russie ne participera pas à une nouvelle course aux armements car elle dispose déjà de tout ce dont elle a besoin pour répondre à une première frappe américaine par une contre-attaque qui garantit la destruction des États-Unis. Cette capacité est indépendante du nombre de têtes nucléaires et de lanceurs que les États-Unis déploient.

La Chine n’a pas pris part à la course aux armements de la guerre froide. Elle a toujours cru qu’elle disposait de capacités suffisantes pour menacer les États-Unis d’une contre-attaque, quoi qu’il arrive. On peut voir cette attitude dans cet aperçu : Il y a un peu plus de dix ans, lors d'une réunion américano-chinoise intitulée "Track II" à Pékin, les participants américains auraient fait pression sur leurs homologues chinois au sujet des limites de l'engagement de la Chine en matière de non-utilisation en premier du nucléaire (NFU). L'un d'eux a évoqué la possibilité de frappes conventionnelles américaines contre les forces nucléaires chinoises : que se passerait-il alors ? La Chine adhérerait-elle à la NFU au sens le plus strict du terme, ou utiliserait-elle les armes nucléaires qui lui restent pour riposter à une attaque conventionnelle ? L'un des participants chinois, un haut fonctionnaire militaire à la retraite, aurait répondu : "Essayez et vous verrez".

Rien n’indique que la pensée chinoise ait changé.

« Faire passer l’adversaire aux oubliettes », comme le menaçait Billingslea, aurait également un certain coût. Il est fort douteux que les États-Unis soient capables ou désireux de financer cela.

Billingslea est d’ailleurs un fou dangereux. Sous l’administration Bush, il était le principal sous-secrétaire adjoint à la défense pour les opérations spéciales et les conflits de faible intensité et le civil responsable du régime de guerre contre le terrorisme et la torture mené par les opérations spéciales américaines.

S’il croit que la torture peut aider à lutter contre le terrorisme, ou que les essais nucléaires peuvent faire avancer les négociations sur le contrôle des armements, il peut aussi croire que la menace irréaliste d’une course aux armements pousserait la Chine à conclure un traité dont elle ne veut pas. En réalité, cela ne fonctionnera pas.

Mais cela pourrait bien correspondre aux plans de Trump qui visent à rendre caducs tous les traités de contrôle des armement.

Se retirer des régimes de contrôle des armes a déjà un prix élevé, même si aucune nouvelle arme n’est achetée. À chaque mesure que l’administration a prise à cet égard, elle n’a pas gagné de nouvelles capacités mais a perdu de vue les capacités de ses ennemis présumés. Le traité FNI, celui du New Start, l’interdiction des essais nucléaires et le traité Ciel ouvert disposaient tous d’instruments de vérification et de régimes d’inspection qui permettaient à toutes les parties de se faire une idée des capacités et de l’intention des autres.

Dans quelques années, les États-Unis auront perdu beaucoup d’informations sur les armes et les intentions russes. L’insécurité ainsi créée pourrait bien revenir les hanter.

Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

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