Quand l’Europe se moquait des épidémies |
Il y a cinquante ans, la grippe de Hong Kong avait fait 31.000 morts entre décembre 1969 et janvier 1970.
L’historien des épidémies, Patrice Bourdelais, estime que le confinement est « une construction politique ».
Les statistiques sont parfois trompeuses. Sept semaines après le premier décès lié au coronavirus en France, les chiffres de la mortalité, dévoilés au jour le jour par l'Insee, dénombrent moins de morts en mars 2020 (57.400) qu’en mars 2018 (58.600).
On comptait pourtant déjà 3.000 décès liés au Covid-19 dans les hôpitaux, le 30 mars. Or, en mars 2018, la grippe saisonnière était encore virulente, contrairement à cette année. Et même par rapport à 2019 – année moins morbide que 2018 –, le nombre de décès vient de diminuer dans environ la moitié des départements, et ce malgré l’épidémie.
Les 31.000 morts de la grippe de Hong Kong
« Ces chiffres montrent que, jusqu’à présent, ce n’est pas un phénomène de mortalité si exceptionnel, même s’il est vrai que la marche naturelle de l’épidémie est bouleversée par le confinement », explique Patrice Bourdelais, historien des épidémies, lequel n’hésite pas à mettre en parallèle les épisodes de grippe que connaît régulièrement la France. Et de rappeler un autre épisode de crise sanitaire passé totalement inaperçu dans l’inconscient collectif à l’hiver 1969-1970, il y a cinquante ans : la grippe de Hong Kong avait fait 25.000 morts en un mois, et 31.000, entre décembre et janvier. Dans le monde entier, c’est un million de personnes qui en était décédé.
« C’est très troublant car j’avais 20 ans et moi-même, je ne m’en souviens pas, raconte l’historien à 20 Minutes. Les médias en avaient très peu parlé car l’agenda était très chargé avec l’après 1968, les mouvements sociaux et la guerre au Biafra. »
« On entassait les morts dans une salle »
Il a d’ailleurs fallu attendre 2003 et la première pandémie de SARS pour que deux statisticiens et épidémiologistes, Antoine Flahault et Alain-Jacques Valleron, établissent le nombre exact de victimes. « On entassait les morts dans une salle au fond du service de réanimation. Et on les évacuait quand on pouvait, dans la journée, le soir » racontait dans Libération, en 2005, un ancien chef du service d’infectiologie de l’hôpital de Nice.
C’est d’ailleurs à partir de 1970, après l’épisode de Hong Kong, qu’ont commencé à se mettre en place les premières politiques publiques de vaccination contre la grippe. Comme aujourd’hui commence à se renforcer l’idée de travailler sur un vaccin efficace contre plusieurs sortes de coronavirus. « La sensibilité vis-à-vis de la maladie et de la mort a changé, note Patrice Bourdelais. Mais c’est vrai qu’en cas de crise sanitaire, les gouvernants savent que si elle est bien gérée, ils en tirent un surcroît de légitimité. Sinon, ça se retourne vite contre eux ».
La stratégie du confinement en question
A en croire les premières projections, « l’épidémie du Covid-19 va avoir une incidence croissante dans les statistiques de la mortalité au mois d’avril », précise l’Insee.
Ce qui, pour l’historien, interroge sur la stratégie du confinement et de sa sortie. « Le confinement est une construction politique car il existe d'autres alternatives, estime-t-il. Il s’agit d’un système de gestion des épidémies instauré au XIVe siècle dans les grandes villes marchandes italiennes, lors de la grande peste. Devant la panique créée par l’ampleur surprise de la gravité et de la mortalité du Covid-19, l’Italie a reproduit ce qu’elle a connu dans son histoire. Une fois terminé, la crainte du rebond est présente car c’est ce qui s’était produit en 1918 avec la grippe espagnole, puis en 1957 avec la grippe asiatique. Et si la population n’a pas développé d’anticorps… »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.