L’union dans la difficulté est la vertu islandaise par excellence et le fait que Katrín Jakobsdóttir, Premier ministre, soit une femme, n’y change à peu près rien. A Reykjavik, d’où nous rédigeons cet article, la gestion de crise ne saurait être l’oeuvre d’une seule personne. C’est surtout la résultante de l’entente et du travail d’une collectivité. L’anticipation collective de la crise et la rapidité de la réponse sont exemplaires, et devraient constituer un cas d’école pour l’avenir. Dès le 24 janvier, les passagers arrivant à l’aéroport international de Keflavik avec des signes d’infection respiratoire et toutes les personnes qui se trouvaient à Wuhan depuis 14 jours ont automatiquement fait l’objet d’une évaluation médicale. Ce n’est pourtant que le 28 février que l’Islande confirmait son premier cas, un homme qui revenait du nord de l’Italie. Après ce cas unique, la commission nationale de la police islandaise a déclaré un état d’alerte. Sur-réaction ? Non. Une décision prise au regard de la vitesse de propagation de l’épidémie dans d’autres pays, spécialement en Europe où, au même moment, le mal croissait sans véritable réponse politique, l’Italie comme la France ont attendu d’être acculées pour prendre des mesures.
Pas de bureaucratie, pas de comités Théodule, juste Internet...
Depuis, chaque nouveau cas a fait l’objet d’une quarantaine lorsqu’il ne nécessitait pas d’hospitalisation. Tous les personnes en contact de l’individu positif l’ont aussi été (un traçage rigoureux du malade est effectué chaque fois). L’effraction de la quarantaine peut coûter jusqu’à trois mois de prison. Malgré ce dispositif minutieux, comme partout en Europe, l’épidémie a pris son envol en mars. Seulement, moins qu’ailleurs. Le 17 mars, on comptait 252 malades et 2 guéris. Début avril, on dépassait les 1000 malades. Entre temps, quelques mesures se sont ajoutées aux premières. Le 2 mars, les agents de santé ont reçu la recommandation de ne plus sortir du pays. Le 13 mars, une conférence de presse gouvernementale indiquait que les rassemblements de plus de 100 personnes seraient interdits et que serait mis en place un enseignement par petits groupes en rotation dans les écoles. Un site officiel a été lancé à cette date, covid.is, disponible en plusieurs langues. Tout le monde peut y trouver les recommandations, les données chiffrées de la pandémie en Islande, les conseils, les annonces. Ici, pas de bureaucratie, pas de comités Théodule, non, juste Internet. Les 18, 21 et 23 mars, les mesures de restriction se sont encore étendues. Les lieux de sociabilité tels que les bars, les restaurants, les bains chauds, ont été fermés, en même temps qu’était promulguée l’interdiction des rassemblements de plus de 20 personnes. Depuis, également, il n’y a plus ou presque de vols programmés à l’aéroport de Keflavik (hier, au tableau des départs, un vol pour Nuuk au Groenland, un vol pour Copenhague). Jamais, pourtant, les citoyens islandais n’ont été soumis au confinement.
La question de la densité, de sa faiblesse, est le principal réservoir à objections devant l’excellence de la gestion de crise islandaise. Certes, elle ne saurait être ignorée. C’est la plus basse d’Europe, avec 3,4 habitants au km² (pour 362 860 habitants). Concentrée autour de la région capitale et de l’agglomération de Reykjavik, la population ne jouit pas d’infrastructures comparables au reste de l’Europe en matière de transport. Ici, pas de métro, pas de train non plus. Peu d’occasion alors, sortie des bus - jamais bondés - des commerces et des galeries marchandes, de se retrouver dans une foule. Mais elle ne peut tout expliquer. Au-delà de la stratégie, la manière spectaculaire dont ce petit pays, qui était au début du XXe siècle le plus pauvre d’Europe et à la fin du même siècle le plus riche, s’est relevé de la crise de 2008 qui l’a frappé de plein fouet, l’a montré. Ici, où il a longtemps été question de survie, l’ennemi, c’est la nature (climats, tremblements de terre, éruptions volcaniques, tempêtes). Les hommes, les femmes (et les enfants, membres à part entière de la communauté) sont dans la même équipe. Comme en Allemagne, la sensibilité protestante, axée sur la responsabilité individuelle, pèse aussi de son poids. Les mesures mises en place contre le Covid-19 sont suivies au-delà des espérances du gouvernement. Ici, l’obéissance n’est pas un problème, la confiance dans les dirigeants non plus.
Un dépistage massif de la population
Ensuite, c’est sur le dépistage massif de sa population que repose la stratégie islandaise. DeCODE Genetics, une entreprise biopharmaceutique basée à Reykjavik, qui applique ses découvertes génétiques à la création de médicaments (des traitements contre l’asthme, le cancer, la schizophrénie…) a proposé à toutes les personnes qui le souhaitaient de venir se faire tester. La campagne s’est déroulée dans le courant du mois de mars. Il en a résulté deux enseignements importants : DeCODE a établi que la moitié des porteurs du virus était asymptomatiques (ce qui fait s’interroger à l’écoute du dernier discours du Président Macron, qui soutient qu’il est « inutile » de tester les personnes ne présentant pas de symptômes). Enfin, que la charge virale était moins importante chez les enfants (qui, on le sait, présentent rarement des symptômes graves). Parallèlement, DeCODE a isolé les différentes souches de virus. En Islande, elles sont deux à être en jeu dans l’infection, l’une venant de la côte ouest des Etats-Unis, l’autre en provenance d’Italie. Celle qui provient d’Italie est la plus virulente. Au total, l’Islande est parvenu a tester 10 % de sa population, ce qui en fait l’une des populations la plus testée au monde.
Selon Kári Stefánsson, neurologue, président et fondateur de DeCODE, la stratégie islandaise ne saurait être réservée à un petit pays et entend désormais étendre l’action des tests massifs aux Etats-Unis. Aux médias américains, il rappelle que le gouvernement islandais n’a pas hésiter à tracer sa population, de manière rigoureuse, exactement comme le fait la Corée du Sud : une application sur téléphone est disponible et permet à tout citoyen de savoir s’il a été ou non en contact avec des personnes infectées. Ce dispositif ne fait pas débat comme en France, les Islandais privilégiant la santé aux polémiques. En matière de liberté individuelle, le confinement leur apparaît bien pire que le traçage par application sur smartphone. Les données sont évidemment anonymes et immédiatement supprimées. Les résultats de cette stratégie n’ont pas tardé à se faire connaître. Le pic de l’infection était atteint le 5 avril dernier, avec 1096 personnes positives. Le 16 avril, ils n’étaient plus que 522 : 32 personnes seulement étaient hospitalisées, dont 3 en soins intensifs, 1224 personnes étaient guéries.
Des règles simples et des habitants responsables
A Reykavik, les chutes de neige viennent tout juste de laisser place aux bourrasques du vent marin charriant une pluie sans fin. Il n’y aura pas de beaux jours (une blague locale raconte ici comment on attend l’été jusqu’à octobre). Tout ou presque est à l’arrêt. Les habitants de Vesturbaer (le quartier de l’ouest) ont tous disposé à leurs fenêtres des peluches pour distraire les enfants gardés une semaine sur deux par leurs parents. Au centre-ville, il n’y a plus personne, ni sur Laugavegur ni sur Hvervisgata, des artères d’ordinaire très fréquentées. Les boutiques fonctionnent sur des horaires restreints, à la carte. C’est le commerçant lui-même, en toute conscience, qui choisit d’ouvrir ou non son commerce, ou d’en limiter l’accès à quelques heures d’ouverture. Il est alors très difficile de prévoir si et quand un point de vente est disponible ou non. La plupart des boutiques de touristes sont cependant fermées, t-shirts à l’effigie des vikings et guillemots en peluche patiemment consignés jusqu’à leur réouverture. Les tour opérateurs sont en panique. Le téléphone n’en finit pas de sonner, nous explique le directeur du syndicat des guides touristiques. On peine à imaginer que le tourisme, qui a sauvé l’île de la banqueroute à la fin des années 2000, va reprendre comme avant.
Les Islandais sont peu nombreux à se rendre encore au bureau. Choix leur ont été donné de travailler de chez eux ou de continuer à se rendre sur leur lieu de travail, mais les Islandais se confinent d’eux-mêmes, et trouver des personnes motivées pour partager ne serait-ce qu’un apéritif à la maison tient du miracle. La distance de sécurité recommandée n’est pas d’un mètre mais de deux. La population respecte cette règle simple dans les lieux publics, dans les files d’attente de magasins notamment. Cette mesure barrière est encouragée par la disponibilité de gants en plastique et de gel hydroalcoolique librement mis à disposition à l’entrée de chaque boutique. Dans certaines grandes surfaces, un vigile vous rappelle à l’ordre : il faut se laver les mains avant et après l’entrée dans le magasin, si vous ne choisissez pas de porter des gants. Simple, clair, possible.
A partir du 4 mai, les mesures de restrictions seront graduellement levées, ont annoncé Katrín Jakobsdóttir, Premier ministre, la ministre de la Santé Svandís Svavarsdóttir et le ministre de la Justice, dans leur dernière conférence de presse commune tenue le 14 avril. Sur la base des conseils de l’épidémiologiste en chef, les écoles primaires et les crèches seront ainsi autorisées à reprendre la marche normale de leur activité. Lycées et universités seront soumis à plus de limitation. Les rassemblements, aujourd’hui limités à 20 personnes, pourront compter jusqu’à 50 personnes. Le 4 mai toujours, les salons de coiffure ou de beauté, les dentistes reprendront leurs activités. Les Islandais seront contents, ils reprendront la marche industrieuse de leur existence. Mais le printemps, lui, n’arrivera toujours pas.
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