17 avril 2020

Géopolitique du coronavirus : le combat contre la Russie reprend


L'OMS déclare s'inquiéter pour la Russie ... alors qu'elle est le pays le moins touché en Occident. Étrange, cette inquiétude sélective de l'OMS. La dimension politique, voire géopolitique, de cette crise soi-disant sanitaire n'est pas à négliger. Alors que l'Occident prépare la sortie et la relance de l'activité des pays, la Russie, elle, devenue l'objet de toutes les attentions, voit cet horizon s'éloigner et, avec lui, tous les acquis de ces dernières années. Un signe de l'enjeu : la seule ligne concernant la Russie dans les annonces du New York Times concerne le report sine die de la grande parade du 9 mai. La politique est faite de symboles, ne l'oublions pas. Reste la question que se posent tous ceux qui ne peuvent rester indifférent au sort de la Russie, tous ceux qui ne peuvent se réjouir de voir ce qui se passe : pourquoi la Russie semble-t-elle suivre à ce point les consignes du monde global, même contre son propre intérêt ? Un début de réponse a été fourni par le président de l'Académie des sciences de Russie, A. Sergueev. Les universités sont fermées (et la recherche fondamentale ne se fait pas par Skype), l'Académie des sciences a perdu son autonomie en 2013 et ne peut donc participer à la recherche fondamentale et la lutte contre le coronavirus. L'information, aujourd'hui, c'est le pouvoir. De quelle information disposent les instances dirigeantes en Russie, en dehors des données globales diffusées par l'université américaine Johns Hopkins et l'OMS ?

L'OMS, de manière assez étonnante, déclare s'inquiéter de la situation en Russie avec le coronavirus. Selon cette organisation, alors que des signaux positifs viennent de France, d'Espagne ou d'Italie, en Turquie, Grande-Bretagne, Ukraine, Biélorussie et Russie la situation est inquiétante. Une inquiétude politique ciblée. Mais évidemment ce ne sont que des concours de circonstances, il ne faut pas avoir l'esprit mal tourné. Il vaut même mieux ne pas avoir d'esprit de nos jours.

La résistance de Boris Jonhon et son changement de ton après un court séjour à l'hôpital surcommuniqué (il va mourir / je vais bien), qui ensuite l'a fait plier, maintenant le pays ne sait quand il en sortira, surtout qu'il ne veut pas repousser le Brexit pour cause de virus. La Turquie, l'enfant terrible de l'OTAN, qui pourtant met sa population quelques jours de suite dans un enfermement total - sans aucun droit à mettre le nez dehors (donc ces mesures d'assignation à domicile ne servent à rien?). La Biélorussie qui ne joue pas le jeu, comme la Suède, mais la Suède n'inquiète pas l'OMS, elle est démocratique. L'Ukraine, toujours prête à faire ce qu'on lui demande, qui a même immédiatement arrêté le métro - ce qui montre bien que toutes ces mesures ne servent à rien, en tout cas sur le plan sanitaire. Et la Russie, l'enfant chéri de la haine internationale, qui revient au cœur du débat.

Pourtant, les chiffres de la Russie, comparé à ceux des autres pays, sont extrêmement bas, l'on est très loin d'une situation extraordinaire justifiant tant de mesures et de bruit. Près de 28 000 personnes touchées en Russie et 232 morts depuis le début de la crise. Rappelons qu'avant le coronavirus, selon les statistiques officielles, environ 5 000 personnes meurent par jour en Russie. Donc, difficile de trouver les fondements objectifs d'une telle inquiétude.

Il est vrai que la dynamique des chiffres a augmenté ces derniers jours. Mais en pandémie comme en politique, ce qui est important, ce n'est pas tant comment l'on vote, mais comment l'on compte. Et à ce sujet, il semblerait que la Russie ait décidé de faire du chiffre.

Tout d'abord, le ministère de la santé de la Fédération de Russie déclare ce mercredi 15 avril, ce qui est raisonnable pour éviter la propagation des fausses informations, qu'ils auront le monopole du chiffre. En revanche, très étrangement, ce ministère a décidé de regrouper et le coronavirus et la pneumonie dans une seule base de données des malades du Covid-2019.

Ensuite, hier, le 16 avril, alors que Moscou est la ville la plus touchée dans le pays, le centre de surveillance et de réaction au coronavirus a déclaré que désormais, n'importe quel rhume ou maladie bénigne des voies respiratoires sera immédiatement compté comme un coronavirus potentiel. Les personnes touchées, comme celles atteintes du coronavirus, ne pourront plus sortir de chez elles pour deux semaines ... même pour aller à la pharmacie.

Avec cela les chiffres ne vont pas manquer d'augmenter. Mais quel est l'intérêt? Si la Russie a mis au point des tests, efficaces, en grande quantité, à quoi bon jouer ce jeu ? Pourquoi gonfler les statistiques ? S'il y a un problème, qui n'a rien d'exceptionnel, mais qui existe, il faut le traiter. Mais à quoi sert tout cela ? Les hôpitaux se trouvent surchargés pour rien, les gens mis en situation de stress pour rien, l'économie est mise en danger, la procession de Pâques annulée et les églises fermées dans un pays très croyant, la parade du 9 mai reportée sine die (ce qui est d'ailleurs le seul angle sous lequel le New York Times parle de la crise en Russie dans le briefing d'aujourd'hui). Pourquoi prendre le risque de provoquer une crise sociale en plus d'une crise économique, d'affaiblir l’État, de remettre en cause la confiance de la population, alors que depuis les années 2000 le pays se renforçait à vue d’œil?

C'est d'autant plus étonnant que les tensions internationales n'ont pas pris fin pour cause de coronavirus. L'activité de la Russie à l'international, apportant une aide aux pays en difficulté face à la crise du coronavirus, ne fait pas d'elle, automatiquement, un acteur accepté dans le jeu. Son activité à l'international renforce la concurrence et donc, logiquement, le combat. Cette opposition montante dans le cas du coronavirus est exactement la même que celle que l'on a pu observer au sujet de la lutte contre le terrorisme : l'intervention de la Russie en Syrie aurait dû réjouir la coalition américaine, car une aide sérieuse lui était apportée. Or, il semble que la réduction du risque terroriste n'entrait pas forcément dans les objectifs de cette coalition, qui apprécie particulièrement certains "terroristes modérés" contre Assad. N'est-ce pas le même jeu avec le coronavirus ?

Ainsi, l'on peut voir un "évènement" organisé par le Centre Carnegie mettant bien la Russie dans le rôle de l'ennemi, de cet ennemi éternel, qui le restera toujours. En tout cas, tant que le pays existera comme entité souveraine.

Par ailleurs, l'Organisation internationale du travail a positivement apprécié les annonces faites par le Président Poutine hier de soutien aux entreprises (voir notre texte d'hier). Mais de manière très étrange, il insiste sur l'importance pour la Russie de soutenir ... le tourisme et l'hôtellerie. Faut-il comprendre qu'après avoir réduit à néant l'économie réelle en Russie grâce à la crise politico-sanitaire du coronavirus, la Russie pourra (enfin?) être transformée en gigantesque Disney Land, où les touristes des pays développés pourront venir se détendre - d'où l'importance de l'hôtellerie, il faut bien les accueillir dans des conditions acceptables.

La question qui revient sur toutes les lèvres des personnes qui ne sont pas indifférentes au sort de la Russie, qui ne se réjouissent pas de l'affaiblissement de l'Etat et de la montée du mécontentement social, qui ne comprennent pas la logique de ce qui se passe aujourd'hui dans le pays, est pourquoi de telles décisions sont prises par les autorités russes dans cette crise ? Pourquoi la Russie semble-t-elle suivre aveuglément les consignes des organismes internationaux?

Sans prétendre répondre de manière exhaustive, une piste semble s'ouvrir après les déclarations du président de l'Académie des sciences de Russie. N'oublions pas que l'information, c'est le pouvoir. En fonction de l'information dont les dirigeants disposent, ils vont prendre leurs décisions. Or, la Russie semble coupée des sources scientifiques, objectives, d'information, ce qui peut être fatal dans une crise dite sanitaire. Les universités sont fermées, donc, aucun travail sérieux de recherche peut être effectué. Tout est concentré entre les mains de l'institut de virologie Vektor qui, si à l'époque soviétique était dirigé par un académicien et réalisait un travail scientifique, il a été depuis les années 90 petit à petit coupé pour être rattaché depuis juin 2019 au service fédéral de défense des droits des consommateurs. Et l'Académie des sciences est absente, car suite à la réforme de 2013, elle a perdu son indépendance et après de nombreuses péripéties, a été rattachée au ministère de la recherche. Selon les paroles du président de l'Académie des sciences de Russie, Alexandre Sergueev:
"En raison de la perte de contrôle sur l'ensemble des instituts de l'Académie des sciences suite à la réforme de 2013, l'Académie des sciences ne peut pas de sa propre initiative s'occuper des aspects scientifiques et participer au combat contre le coronavirus"
Autrement dit, comme personne ne s'est adressé à elle, elle ne peut plus que regarder le désastre. La question est vraiment de savoir de quelles informations objectives dispose la Russie ? Si elle ne dispose que de la vérité globale fournie par l'université américaine Johns Hopkins et l'OMS, cela expliquerait beaucoup de choses ... 

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