Parfois,
on a l’impression que le monde ressemble à une histoire d’horreur, un
peu comme « L’ombre sur la bouche » de Lovecraft… Image de F.R. Jameson.
Est-il logique d’avoir un bunker bien garni dans les montagnes pour échapper à l’effondrement ?
Étant le collapsologue que je suis, il y a quelques années, j’ai eu l’idée de m’acheter une sorte de refuge dans les montagnes, un endroit où moi et ma famille pourrions trouver refuge si (et quand) l’effondrement redouté devait frapper notre civilisation (comme on dit, quand le Nutella frappe le ventilateur). C’est une idée typique des gens qui craignent l’effondrement : fuir les villes que l’on s’imagine être les endroits les plus vulnérables dans un scénario à la Mad Max.
Je pensais peut-être aussi au Décaméron de Boccace, lorsqu’il décrit comment, au milieu du XIVe siècle, un groupe de riches Florentins trouve refuge contre la peste dans une villa, en dehors de Florence. Et ils ont eu beaucoup de temps libre pour se raconter des histoires. L’option villa à la campagne étant exclue pour moi, je me suis rendu dans des villages des Apennins, à quelques centaines de kilomètres de Florence, pour chercher une sorte de hameau où acheter. J’étais accompagné d’un ami qui habite dans la région et que j’avais infecté par le mème de l’effondrement.
Nous avons trouvé plusieurs maisons et appartements à vendre dans la région. L’un d’entre eux a semblé me convenir, et le prix était également intéressant. C’était un appartement de deux étages dont les fenêtres s’ouvraient sur la place centrale du village où il était situé, au milieu de collines boisées. Il était équipé d’un poêle à bois, le genre de système de chauffage que l’on peut toujours gérer en cas d’urgence. Et il était à une hauteur suffisante pour que vous puissiez être raisonnablement à l’abri des vagues de chaleur, même sans air conditionné.
Puis, en regardant le village par une des fenêtres, une étrange sensation m’a frappé. Les gens marchaient sur la place, et certains d’entre eux ont levé le regard pour me regarder. Et, pendant un moment, j’ai eu peur.
Avez-vous déjà lu la nouvelle de Lovecraft « The Shadow over Innsmouth » ? Elle raconte l’histoire de quelqu’un qui se retrouve coincé dans une ville côtière nommée Innsmouth et qui découvre qu’elle est habitée par des humanoïdes ressemblant à des poissons, les « Profonds », pratiquant le culte d’une divinité marine appelée Dagon.
Ne vous méprenez pas : les gens que je voyais sur la place n’étaient pas des extraterrestres adeptes d’une divinité monstrueuse. Ce qui m’avait fait peur, c’était une autre sorte de pensée. C’est que je savais que chaque homme adulte de cette zone possédait une carabine ou un fusil de chasse chargé de munitions pour le gibier. Et que chaque homme adulte en bonne santé pratique la chasse au sanglier tous les week-ends. Ils peuvent tuer un sanglier à 50 mètres ou plus, puis ils sont parfaitement capables de l’étriper et de le transformer en jambon et en saucisses.
Maintenant, si les choses tournaient vraiment mal, est-ce que certaines de ces personnes me considéreraient comme l’équivalent d’un sanglier ? Il est certain que je ne pourrais même pas rêver de pouvoir égaler leur puissance de feu. J’ai remercié le propriétaire de l’endroit et mon ami, et je suis rentré chez moi. Je n’y suis jamais retourné.
Quelques années plus tard, avec un véritable effondrement qui nous a frappés sous la forme des épidémies de COVID-19, je peux voir que j’ai bien fait de ne pas acheter cet appartement dans les montagnes. À l’époque de Boccace, les florentins fortunés pouvaient raisonnablement penser à s’installer dans une villa à la campagne. Ces villas étaient des unités agricoles presque autosuffisantes, où l’on pouvait trouver de la nourriture et un abri fournis par les paysans et les domestiques locaux (à l’époque non armés de fusils à longue portée). Mais ce n’est bien sûr plus le cas aujourd’hui.
La crise actuelle nous montre à quoi ressemble un véritable effondrement. Et elle montre que certains scénarios de science-fiction étaient totalement faux. Le trope typique d’une histoire post-holocauste est que les gens fuient les villes en flammes après avoir pris d’assaut les magasins et les supermarchés, laissant des étagères vides pour ceux qui arrivent en retard. Cela n’est pas arrivé ici. Tout au plus, les gens semblaient penser que ce dont ils avaient le plus besoin en cas d’urgence était du papier toilette et ils ont vidé les rayons des supermarchés. Mais cela s’est vite terminé. Peut-être que nous arriverons à ce genre de scénario, mais ce qui se passe maintenant, ce n’est pas que les supermarchés sont à court de marchandises. Tout est disponible si vous avez l’argent pour l’acheter. Le problème, c’est que les gens sont à court d’argent.
Dans cette situation, la dernière chose que le gouvernement veut, ce sont des émeutes de la faim. Et ils s’intéressent particulièrement aux villes : s’ils perdent le contrôle des villes, tout est perdu pour eux. Ils agissent donc à deux niveaux : ils fournissent des bons d’alimentation aux pauvres et, en même temps, ils prennent des mesures de répression dans les villes avec la police et l’armée pour faire respecter le confinement. Les gens risquent des poursuites pénales s’ils osent se promener dans la rue.
Ce n’est pas une situation facile, mais au moins nous avons de la nourriture et les villes sont tranquilles. Pensez à ce qui se serait passé si j’avais acheté cet appartement à la montagne. Je n’aurais même pas pu y aller pendant les épidémies de coronavirus. Et même, si j’avais réussi à éviter la police, je serais resté coincé là-bas. Et il n’y a pas de supermarchés à proximité : il y a un petit magasin qui vend de la nourriture dans le village, mais serait-il réapprovisionné pendant la crise ? Les habitants ont aussi des moyens de survivre avec la nourriture locale, mais un citadin comme moi n’en a pas. Et je n’ai jamais essayé de tirer sur un sanglier, je pense que ce n’est pas facile – sans parler de l’éviscérer et de le transformer en saucisse. Pire encore, je suis sûr qu’aucune police ne patrouillerait dans ce petit village, et encore moins dans les bois. Alors, peut-être que les habitants du coin ne me tireraient pas dessus et ne me feraient pas bouillir dans un chaudron, mais si je devais être à court de papier toilette, où pourrais-je en trouver ? Et, pire encore, si je manquais de nourriture ?
Alors, où pouvons-nous trouver un refuge pour éviter l’effondrement ? Je peux imaginer des scénarios où vous seriez mieux dans un bunker quelque part dans une zone isolée, où vous auriez stocké beaucoup de fournitures. Mais dans la plupart des cas, ce serait une très mauvaise idée. Un bunker bien approvisionné est la cible idéale pour ceux qui sont mieux armés que vous, et ils peuvent toujours vous enfumer. Bien sûr, vous pouvez penser à un refuge pour tout un groupe de personnes, certains pouvant tirer sur les intrus, d’autres pour cultiver les champs, d’autres encore pour vous soigner si vous tombez malade. Peut-être, mais c’est une histoire compliquée. Vous pourriez rejoindre les Amish, mais est-ce qu’ils voudraient bien de vous ? Cela a souvent été fait sur la base d’idées religieuses et dans certains cas, cela a pu fonctionner, du moins pendant un certain temps. Et n’oubliez jamais le cas du révérend Jim Jones au Guyana.
En fin de compte, je pense que le meilleur endroit pour être en temps de crise est exactement là où je suis : dans une ville de taille moyenne. C’est le dernier endroit que le gouvernement essaiera de garder sous contrôle aussi longtemps que possible, et ce n’est pas une cible probable pour quelqu’un armé d’armes nucléaires ou d’autres choses méchantes. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Regardez la carte, ici.
C’est une carte de l’Empire romain à son apogée. Notez la position des grandes villes : l’Empire s’est effondré et a disparu, mais la plupart des villes de cette époque sont toujours là, plus ou moins avec le même nom, les nouveaux bâtiments construits à la place des anciens, ou à proximité. Ces villes ont été construites dans des endroits spécifiques pour des raisons précises, de disponibilité de l’eau, de ressources ou de transport. Il était donc logique que les villes soient exactement là où elles étaient et où elles sont encore. Les villes se sont avérées extrêmement résistantes. Mais que dire des villas romaines à la campagne ? Eh bien, beaucoup d’entre elles font l’objet de fouilles aujourd’hui, mais après la chute de l’Empire, elles ont été abandonnées et n’ont jamais été reconstruites. Il a dû être terriblement difficile de défendre une petite colonie contre toutes les choses horribles qui se passaient au moment de la chute de l’Empire.
Donc, dans l’ensemble, je pense que j’ai bien réussi à passer d’une maison en banlieue à une maison en ville. Les mauvais moments peuvent arriver, mais je dirais que c’est ce qui offre les meilleures chances de survie, même dans des moments raisonnablement horribles. Ensuite, bien sûr, les meilleurs plans ont toujours des failles, comme nous le savons tous. En tout cas, les effondrements sont mauvais et cela ne change pas pour les collapsologues.
Ugo Bardi
Je pensais peut-être aussi au Décaméron de Boccace, lorsqu’il décrit comment, au milieu du XIVe siècle, un groupe de riches Florentins trouve refuge contre la peste dans une villa, en dehors de Florence. Et ils ont eu beaucoup de temps libre pour se raconter des histoires. L’option villa à la campagne étant exclue pour moi, je me suis rendu dans des villages des Apennins, à quelques centaines de kilomètres de Florence, pour chercher une sorte de hameau où acheter. J’étais accompagné d’un ami qui habite dans la région et que j’avais infecté par le mème de l’effondrement.
Nous avons trouvé plusieurs maisons et appartements à vendre dans la région. L’un d’entre eux a semblé me convenir, et le prix était également intéressant. C’était un appartement de deux étages dont les fenêtres s’ouvraient sur la place centrale du village où il était situé, au milieu de collines boisées. Il était équipé d’un poêle à bois, le genre de système de chauffage que l’on peut toujours gérer en cas d’urgence. Et il était à une hauteur suffisante pour que vous puissiez être raisonnablement à l’abri des vagues de chaleur, même sans air conditionné.
Puis, en regardant le village par une des fenêtres, une étrange sensation m’a frappé. Les gens marchaient sur la place, et certains d’entre eux ont levé le regard pour me regarder. Et, pendant un moment, j’ai eu peur.
Avez-vous déjà lu la nouvelle de Lovecraft « The Shadow over Innsmouth » ? Elle raconte l’histoire de quelqu’un qui se retrouve coincé dans une ville côtière nommée Innsmouth et qui découvre qu’elle est habitée par des humanoïdes ressemblant à des poissons, les « Profonds », pratiquant le culte d’une divinité marine appelée Dagon.
Ne vous méprenez pas : les gens que je voyais sur la place n’étaient pas des extraterrestres adeptes d’une divinité monstrueuse. Ce qui m’avait fait peur, c’était une autre sorte de pensée. C’est que je savais que chaque homme adulte de cette zone possédait une carabine ou un fusil de chasse chargé de munitions pour le gibier. Et que chaque homme adulte en bonne santé pratique la chasse au sanglier tous les week-ends. Ils peuvent tuer un sanglier à 50 mètres ou plus, puis ils sont parfaitement capables de l’étriper et de le transformer en jambon et en saucisses.
Maintenant, si les choses tournaient vraiment mal, est-ce que certaines de ces personnes me considéreraient comme l’équivalent d’un sanglier ? Il est certain que je ne pourrais même pas rêver de pouvoir égaler leur puissance de feu. J’ai remercié le propriétaire de l’endroit et mon ami, et je suis rentré chez moi. Je n’y suis jamais retourné.
Quelques années plus tard, avec un véritable effondrement qui nous a frappés sous la forme des épidémies de COVID-19, je peux voir que j’ai bien fait de ne pas acheter cet appartement dans les montagnes. À l’époque de Boccace, les florentins fortunés pouvaient raisonnablement penser à s’installer dans une villa à la campagne. Ces villas étaient des unités agricoles presque autosuffisantes, où l’on pouvait trouver de la nourriture et un abri fournis par les paysans et les domestiques locaux (à l’époque non armés de fusils à longue portée). Mais ce n’est bien sûr plus le cas aujourd’hui.
La crise actuelle nous montre à quoi ressemble un véritable effondrement. Et elle montre que certains scénarios de science-fiction étaient totalement faux. Le trope typique d’une histoire post-holocauste est que les gens fuient les villes en flammes après avoir pris d’assaut les magasins et les supermarchés, laissant des étagères vides pour ceux qui arrivent en retard. Cela n’est pas arrivé ici. Tout au plus, les gens semblaient penser que ce dont ils avaient le plus besoin en cas d’urgence était du papier toilette et ils ont vidé les rayons des supermarchés. Mais cela s’est vite terminé. Peut-être que nous arriverons à ce genre de scénario, mais ce qui se passe maintenant, ce n’est pas que les supermarchés sont à court de marchandises. Tout est disponible si vous avez l’argent pour l’acheter. Le problème, c’est que les gens sont à court d’argent.
Dans cette situation, la dernière chose que le gouvernement veut, ce sont des émeutes de la faim. Et ils s’intéressent particulièrement aux villes : s’ils perdent le contrôle des villes, tout est perdu pour eux. Ils agissent donc à deux niveaux : ils fournissent des bons d’alimentation aux pauvres et, en même temps, ils prennent des mesures de répression dans les villes avec la police et l’armée pour faire respecter le confinement. Les gens risquent des poursuites pénales s’ils osent se promener dans la rue.
Ce n’est pas une situation facile, mais au moins nous avons de la nourriture et les villes sont tranquilles. Pensez à ce qui se serait passé si j’avais acheté cet appartement à la montagne. Je n’aurais même pas pu y aller pendant les épidémies de coronavirus. Et même, si j’avais réussi à éviter la police, je serais resté coincé là-bas. Et il n’y a pas de supermarchés à proximité : il y a un petit magasin qui vend de la nourriture dans le village, mais serait-il réapprovisionné pendant la crise ? Les habitants ont aussi des moyens de survivre avec la nourriture locale, mais un citadin comme moi n’en a pas. Et je n’ai jamais essayé de tirer sur un sanglier, je pense que ce n’est pas facile – sans parler de l’éviscérer et de le transformer en saucisse. Pire encore, je suis sûr qu’aucune police ne patrouillerait dans ce petit village, et encore moins dans les bois. Alors, peut-être que les habitants du coin ne me tireraient pas dessus et ne me feraient pas bouillir dans un chaudron, mais si je devais être à court de papier toilette, où pourrais-je en trouver ? Et, pire encore, si je manquais de nourriture ?
Alors, où pouvons-nous trouver un refuge pour éviter l’effondrement ? Je peux imaginer des scénarios où vous seriez mieux dans un bunker quelque part dans une zone isolée, où vous auriez stocké beaucoup de fournitures. Mais dans la plupart des cas, ce serait une très mauvaise idée. Un bunker bien approvisionné est la cible idéale pour ceux qui sont mieux armés que vous, et ils peuvent toujours vous enfumer. Bien sûr, vous pouvez penser à un refuge pour tout un groupe de personnes, certains pouvant tirer sur les intrus, d’autres pour cultiver les champs, d’autres encore pour vous soigner si vous tombez malade. Peut-être, mais c’est une histoire compliquée. Vous pourriez rejoindre les Amish, mais est-ce qu’ils voudraient bien de vous ? Cela a souvent été fait sur la base d’idées religieuses et dans certains cas, cela a pu fonctionner, du moins pendant un certain temps. Et n’oubliez jamais le cas du révérend Jim Jones au Guyana.
En fin de compte, je pense que le meilleur endroit pour être en temps de crise est exactement là où je suis : dans une ville de taille moyenne. C’est le dernier endroit que le gouvernement essaiera de garder sous contrôle aussi longtemps que possible, et ce n’est pas une cible probable pour quelqu’un armé d’armes nucléaires ou d’autres choses méchantes. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Regardez la carte, ici.
Donc, dans l’ensemble, je pense que j’ai bien réussi à passer d’une maison en banlieue à une maison en ville. Les mauvais moments peuvent arriver, mais je dirais que c’est ce qui offre les meilleures chances de survie, même dans des moments raisonnablement horribles. Ensuite, bien sûr, les meilleurs plans ont toujours des failles, comme nous le savons tous. En tout cas, les effondrements sont mauvais et cela ne change pas pour les collapsologues.
Ugo Bardi
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