Obispo |
Par exemple, comme pour l’actrice Anémone récemment décédée, il sera beaucoup plus simple pour vous d’avoir des comptes en Suisse si vous vous êtes toujours officiellement affiché de gauche : oh, bien sûr, un petit soupçon pourra toujours faire bruisser quelques médias, mais le rappel à la réalité de votre militantisme et de votre vie de bohème affichée suffira à calmer les rumeurs. Eussiez-vous été de droite, voire pire encore, patron (quand bien même apolitique), l’affaire n’aurait pas été si simplement réglée et ce n’est pas un entretien radio ou un communiqué de presse expliquant la situation qui auraient suffi.
Non, décidément, si vous avez un compte en Suisse, affichez-vous de gauche. Revendiquez des valeurs populaires ! Exhortez les uns et les autres à l’abnégation, au dénuement, vivez chichement s’il le faut (sans oublier toutefois d’acheter du café certes plus cher mais surtout équitable, du quinoa certes plus cher mais surtout bio et un appartement au centre de Paris certes très cher mais surtout très rentable en location), que dis-je, choisissez un soutien sans faille aux leaders charismatiques les plus à gauche possible comme (au hasard) Jean-Luc Mélenchon, et tout se passera très bien. Le capitalisme et la fortune personnelle sont des pêchés hideux mais on peut s’en absoudre par un vote efficace !
D’ailleurs, on peut en France très bien amasser une fortune considérable qui sera d’autant moins insupportable pour toute la presse, tous les politiciens de tous bords et tout le Camp du Bien en général si l’on s’affiche résolument à gauche toute. L’illustration de la catégorie « millionnaires et milliardaires de gauche » sera laissée en exercice au lecteur. Comme quoi, on peut rester riche même après une bonne distribution d’argent (surtout quand c’est celui des autres) !
Mais être de gauche, c’est – heureusement – bien plus qu’une simple histoire d’argent.
Et si tout n’est pas qu’une affaire de pognon, il n’en reste pas moins qu’en étant de gauche, tout peut se négocier, tout est ouvert à discussion, depuis la localisation de ses comptes jusqu’aux valeurs qu’on pourra défendre un matin et renier le soir, ou les opinions qu’on pourra arborer fièrement une année pour s’en éloigner aussi vite que possible l’année suivante.
Eh oui, comme le montre par exemple Jean-Luc Mélenchon, être de gauche nécessite une souplesse assez olympique qui, si elle ne lui permet pas de s’adapter à des fauteuils d’avions en classe éco, l’autorise cependant amplement à retourner sa veste tout en baissant son pantalon, ainsi que l’aura illustré la récente manifestation difficilement classable comme républicaine.
Dans cette dernière, le brave Jean-Luc aura voulu démontrer à quel point il était concerné par l’accumulation insupportable de tous ces abominables actes terroristes qui endeuillent presque quotidiennement la France (depuis la fusillade pathétique d’une mosquée jusqu’aux puzzles Peppa Pig déposés dans les boîtes à lettres de musulmans officiels) en défilant dans une manifestation contre l’islamophobie.
Pour un leader charismatique de cette aile et de cette envergure, le défaut de participation aurait été impardonnable et justifie largement que, tout pourfendeur de curé soit-il, il puisse défiler bras-dessus, bras-dessous avec des fondamentalistes qui crient « Allah Akbar« … Que voulez-vous, une partie de son électorat défilait aussi ce jour-là, et ne pas s’y montrer, c’était risquer n’être pas assez de gauche.
Et la souplesse reste admirable pour ce quasi-septuagénaire qui avait en 2015 exprimé pourtant clairement l’impérieuse nécessité d’une certaine islamophobie, celle qui s’inscrit dans cette liberté d’expression permettant de moquer et de critiquer toutes les religions, musulmane incluse.
"Je conteste le terme d'islamophobie. On a le droit de ne pas aimer l'islam comme on a le droit de ne pas aimer le catholicisme. #SLT"
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) November 21, 2015
Cette souplesse s’inscrit d’ailleurs dans le temps puisque le même Jean-Luc (un peu plus jeune il est vrai et donc d’autant plus à même de réaliser des pirouettes sémantiques somptueuses) n’hésitait pas en 2010, tout de gauche qu’il était déjà alors, à renvoyer les porteuses de voile dans leurs 22 avec ce talent de tribun qu’on lui accorde sans mal :
« En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes — car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate ? — et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes. »
Décidément, être de gauche permet, en plus de conserver un compte en banque dodu, d’assurer une élasticité redoutable !
Mais ce n’est pas tout, car être de gauche, c’est enfin avoir des valeurs fermement chevillées au corps, ces valeurs qui font de vous un humaniste qu’il sera de bon ton de fréquenter lors de dîners en ville, un phare de lumière dans la grisaille du quotidien, une balise d’utopie dans la tempête de réalité froide.
C’est ce qui vous permettra par exemple de détourner en toute décontraction un symbole infâme qui fut porté par tant d’individus condamnés à une mort atroce, comme l’a démontré avec une belle désinvolture la sénatrice Esther Benbassa, faisant paraître sur son fil Twitter la photo d’une gamine (qui n’a pas été endoctrinée, elle, au contraire évident de ces enfants présents lors de Manifs Pour Tous) arborant une étoile jaune.
Bon, soit, cette fois-ci, être officiellement de gauche n’aura pas suffi puisque quelques protestations furent émises et relayées : vouloir comparer, par le truchement de ce symbole lourd de sens, la situation actuelle des musulmans en France avec celle des Juifs il y a 80 ans est une très grosse maladresse qu’une sénatrice républicaine aurait dû ne surtout pas cautionner.
Heureusement, être de gauche permet de disposer de toute une armée de réserve qui, comme un seul homme, se lèvera pour ferrailler au combat et dissiper bien vite le malentendu : articulets remettant les choses au clair et rappelant les petits tweets sirupeux d’âmes charitables (de gauche aussi, évidemment), explications précises et pointues dans le style maintenant inimitable des faux-checkers de Libération, soutien affiché de partis tendrement acquis à la cause, tout est fait pour atténuer et faire oublier une récupération et un symbolisme si honteux qu’il aurait directement expulsé tout autre politicien dans les geôles médiatiques s’il avait été autre chose que de gauche.
Ah, décidément, qu’il est bon d’être de gauche en France : compte en banque dodu et laissé tranquille, souplesse juvénile assurée, service après-vente au taquet, rien n’est laissé au hasard et cela explique sans mal pourquoi la droite n’en est plus une et qu’elle dérive assez résolument vers les mêmes contrées où coulent miel, lait et argent des autres…
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