L’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, le 26 septembre. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS
Après l’incendie de Rouen, les autorités se sont lancées dans une frénésie d’échantillonnage où tout doit être contrôlé. Tout, sauf semble-t-il les victimes directes de la catastrophe, note, dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».
Le 10 juillet 1976, non loin de Seveso, dans le nord de l’Italie, une explosion secoue une usine de production de substances chlorées destinées à la pharmacie. Un nuage de dioxine (dite TCDD 2,3,7,8) se disperse sur une zone de 18 km2, provoquant des troubles passagers mais aucun décès. Deux semaines plus tard, sous l’impulsion d’un jeune médecin de la région, Paolo Mocarelli, des milliers d’échantillons sanguins étaient prélevés sur les personnes exposées et conservés en chambre froide.
Interrogé sur les décisions à prendre après une catastrophe industrielle comme celle de Lubrizol, M. Mocarelli l’assure : passé l’urgence, prélever des échantillons sanguins sur les populations concernées est « la première chose à faire ». Sans cela, ajoute-t-il, il est impossible d’espérer connaître les conséquences à long terme de la catastrophe, en mettant en regard les résultats des analyses menées sur les individus avec leur destin sanitaire – voire celui de leurs enfants.
Sans cela, comme le note malicieusement l’épidémiologiste Rémy Slama dans son livre Le Mal du dehors (Quae, 2017), on pourrait continuer à penser que la seule victime, indirecte, de l’accident de Seveso, a été l’ancien directeur de l’usine, assassiné par un groupe proche des Brigades rouges en 1980.
« Un programme à long terme de surveillance sanitaire »
En septembre 2018, Paolo Mocarelli (université de Milan-Bicocca), Brenda Eskenazi (université de Californie à Berkeley) et leurs collègues ont rassemblé dans la revue Environment International l’essentiel de la connaissance accumulée sur les conséquences de l’accident de Seveso, et dressent un tableau très différent.
La mortalité par cancer du sein, par exemple, mesurée à partir de 1996, est plus élevée de 60 % parmi les habitants de la zone la plus contaminée, où moins de 800 personnes vivaient au moment de l’accident. La mortalité par cancer du sang est plus que doublée pour les habitants de la zone la plus contaminée, et accrue de 60 % chez ceux de la zone de contamination intermédiaire, où 4 700 personnes vivaient alors.
Le lien strict de causalité avec l’explosion demeurera à jamais indémontrable, mais ce sont là les effets attendus d’une telle exposition. De même, la mortalité par maladie coronarienne chez les hommes ou par hypertension chez les femmes est également augmentée dans des proportions semblables, pour les habitants des zones les plus touchées, dans les décennies suivant l’accident… Des troubles thyroïdiens chez les femmes et une baisse importante de la fertilité chez les hommes exposés avant la puberté aux émanations de l’explosion ont aussi été relevés.
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