31 août 2019

La Suisse pourrait interdire la vente de LBD à la France

Indignés par les violences policières contre les Gilets jaunes, des citoyens et des parlementaires suisses cherchent à faire interdire l’exportation de lanceurs de balles de défense vers la France. Une chaîne humaine de la frontière au siège genevois de l’ONU est prévue ce samedi.

Une chaîne humaine transfrontalière contre les lanceurs de balles de défense (LBD), fabriqués en Suisse et responsables de graves mutilations en France. Ce samedi 31 août, à 12 h, quelque 2.000 Suisses et Français répartis sur plus de quatre kilomètres se passeront un flambeau du poste-frontière de Ferney-Voltaire, au Grand-Saconnex, jusqu’à l’Office des Nations unies à Genève (ONUG), place des Nations, pour dénoncer l’utilisation abusive des LBD par la police française, notamment pendant le mouvement des Gilets jaunes.

« Il y aura de nombreuses personnalités : Laurent Thines, chef de service en neurochirurgie à l’hôpital de Besançon, qui avait lancé une pétition contre les LBD ; l’homme politique, sociologue et ancien rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation Jean Ziegler ; Francis Lalanne ; le Gilet jaune Christophe Guerreiro, qui a été Casque bleu pour l’ONU ; Priscillia Ludosky… On va tous prendre la parole, en espérant que l’ONU utilise tous les outils et organes à sa disposition pour faire comprendre au gouvernement français que ses exactions doivent cesser », explique Patrice Philippe, membre du collectif Mutilés pour l’exemple.

Ce Gilet jaune originaire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a perdu son œil droit à la suite d’un tir de LBD le 8 décembre 2018 à Paris et, en conséquence, son permis et son emploi de chauffeur routier de convois exceptionnels. Le 2 juin, alors que les Gilets jaunes organisaient une Marche des mutilés à Paris, le sinistre décompte s’établissait à plus de 2.400 blessés, une femme tuée — la Marseillaise Zineb Redouane, à la suite d’un tir de gaz lacrymogène —, 23 éborgnés, principalement par des tirs de LBD, et cinq amputés d’une main.


Affiche des blessés lors de l’acte 9 des Gilets jaunes, le 12 janvier 2019, à Lille.

À cette occasion, les manifestants vont remettre à Michelle Bachelet, haute-commissaire aux droits de l’Homme à l’ONU, un dossier rassemblant des éléments sur la répression du mouvement des Gilets jaunes et les blessures causées par les LBD. « J’ai commencé à travailler sur ce dossier il y a un mois en sollicitant de nombreuses personnes, explique le Suisse Olivier Pahud, fondateur de l’association Myracle, à l’initiative de cette mobilisation. J’ai découvert les violences policières contre le mouvement des Gilets jaunes sur les réseaux sociaux. Je ne connaissais pas les LBD. Quand j’ai découvert qu’ils étaient fabriqués en Suisse, je me suis dit qu’il était possible d’agir de manière détournée. La stratégie, en interpellant l’ONU, est d’exercer une pression internationale sur la France. »

La France toujours sourde aux appels internationaux

En février, un groupe d’experts de l’ONU avait déjà critiqué les modes de répression du mouvement par le gouvernement français. Quelques jours plus tard, c’était au tour de la commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, de déclarer que le nombre et la gravité des blessures occasionnées par les LBD employés imposait que la France en suspende immédiatement l’usage. Pourtant, le gouvernement français assume toujours sa brutalité : mardi, Emmanuel Macron estimait encore que les forces de l’ordre n’avaient pas commis de « violences irréparables » à l’encontre des Gilets jaunes. « Il n’y a pas eu de mort à déplorer », a-t-il même affirmé, écartant la mort de Zineb Redouane, renvoyant à l’enquête judiciaire.


 
Un policier vise le journaliste Simon Louvet à Rouen le 29 décembre 2018.

La semaine dernière, Olivier Pahud a aussi invité quatre membres du collectif Mutilés pour l’exemple, Patrice Philippe, Gwendal Leroy, David Breidenstein, tous trois éborgnés, et Alain Hoffmann, blessé à la carotide, à rendre visite à Brügger & Thomet, à Thoune, dans l’Oberland bernois. D’après Olivier Pahud, la France a commandé un lot de 1.280 nouveaux LBD à cette usine, fin 2018. Le groupe n’a pas été reçu par la direction de l’usine mais « nous avons eu un échange productif avec les policiers présents sur place », apprécie Patrice Philippe. « Ils ne savaient même pas ce qu’étaient les LBD. En Suisse, ces armes ne sont utilisées que très rarement, à Berne, avec des munitions beaucoup plus soft qui n’infligent pas plus qu’un coquard — ce qui est déjà abject. » « La France, elle, utilise des munitions plus dures, qui ne sont pas prévues par le manuel d’utilisation de l’arme fourni par Brügger & Thomet. Lequel préconise aussi de ne pas viser au-dessus des épaules », complète Olivier Pahud.

Une résolution pour interdire l’exportation de LBD suisses en France

Enfin, en février dernier, Olivier Pahud a soufflé au parlementaire au Grand Conseil de Genève Guy Mettan l’idée d’une résolution interdisant l’exportation des LBD suisses vers la France. Ce dernier a immédiatement adhéré à la proposition. « Les LBD sont considérés comme des armes de guerre ou assimilés. Or, la Suisse est dépositaire des conventions de Genève, qui interdisent l’utilisation d’armes de guerre contre des civils. Nous sommes aussi le pays de la Croix-Rouge, du droit humanitaire », rappelle le parlementaire, auparavant membre d’un parti centriste démocrate-chrétien et aujourd’hui parlementaire indépendant. La proposition de résolution a été déposée au secrétariat du Grand Conseil en mai. « Une commission parlementaire a déjà été créée, ce qui est plutôt bon signe, parce que ça montre que le sujet intéresse. Le traitement va commencer la semaine prochaine. Je vais être auditionné le 3 septembre. Ensuite, la commission devra décider si elle interroge d’autres personnes — je vais leur suggérer d’entendre des Gilets jaunes », explique Guy Mettan.

Proposition de résolution pour une interdiction d’exportation en France des lanceurs de balles de défense (LBD)

Le chemin avant l’interdiction d’exportation des LBD vers la France est encore long : après les auditions, la commission devra remettre un rapport au Grand Conseil, qui décidera sur ce fondement s’il accepte ou non la proposition de résolution. S’il y est favorable, le texte sera ensuite envoyé au Conseil fédéral, à Berne. « Si ce dernier l’accepte, l’exportation sera interdite. Mais tout ce processus peut prendre entre six mois et un an », prévient Guy Mettan, qui a prévu de défendre le texte ce samedi devant l’ONU à l’occasion de la chaîne humaine.

« La situation en France est proche de la dictature. Soit le régime doit se calmer, soit la Suisse, pays neutre, doit refuser de le soutenir en cessant de l’approvisionner en armes,conclut Olivier Pahud. L’interdiction d’exportation ne réglerait pas tout mais serait un signal fort de la part de la Suisse. »

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