En 2008, 44 traitements jugés comme essentiels aux patients étaient en rupture de stock. En 2018, cela concernait 871 traitements. Soit vingt fois plus en dix ans. La faute à "la mondialisation" et de fait "aux modes de production des médicaments", d’après Nathalie Coutinet, économiste de la santé.
Marianne : Cela fait une dizaine d’années que la France vit des périodes de pénuries de médicaments. Quelle en est la source ?
Nathalie Coutinet : En réalité, la source est multiple. D’abord, le point de blocage le plus important, c’est le fait que la chaîne de production des médicaments est décomposée et délocalisée, car ces entreprises recherchent la maximisation de leurs profits. Les industries pharmaceutiques délocalisent une part croissante de leur production de principes actifs (la molécule à la base des médicaments, ndlr) dans les pays où la main d’œuvre est moins coûteuse. Près de 80% de ce composant essentiel aux médicaments est fabriqué hors d’Europe, notamment en Chine et en Inde, contre 20% il y a trente ans.
Ensuite, la deuxième étape de fabrication du médicament qui consiste à mélanger le principe actif avec les excipients (ils améliorent l’aspect ou le goût, assurent la conservation et facilitent la mise en forme et l’administration du médicament, ndlr) se fait plutôt en Amérique du Nord.
Une telle décomposition de la chaîne de production fait qu’il y a forcément des problèmes. Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), fixes des pratiques rigoureuses de fabrication des médicaments. C’est une production qui nécessite beaucoup de surveillance et de contrôles de qualité. Et puisque les entreprises fabriquent à flux tendu, dès qu’il y a un couac c’est toute la production qui est ralentie.
Pourquoi ces entreprises fabriquent-elles à flux tendu des médicaments ?
Parce que les stocks c’est coûteux, la marchandise stockée n’est pas vendue et donc ne rapporte rien. De plus, le stockage ça prend de la place ce qui coûte également.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à endiguer le phénomène ? C’est la bataille des intérêts privés contre la santé publique ?
D’une certaine manière oui. C’est une bataille entre des firmes extrêmement financiarisées et la santé des populations. Les pénuries sont liées au fait que l’organisation de la production des médicaments est faite pour être le plus rentable possible et non pas pour satisfaire les intérêts de santé publique.
Les firmes ne sont pas des bienfaitrices de l’humanité
Sanofi (1er laboratoire pharmaceutique français) est tout de même dans le top 3 des entreprises françaises qui distribuent le plus de dividendes, derrière Total et devant la BNP Paribas. Ce sont des firmes qui font de l’argent. Les prix du médicament sont fixés avec l’innovation. Plus un produit est innovant, plus il coûte cher. Alors aujourd’hui, les entreprises pharmaceutiques sont davantage tournées vers les nouveaux produits que vers des produits anciens, ”banalisés”. Prenons l’exemple des génériques. Ce sont les médicaments le plus en pénurie. Pourquoi ? Parce que ce sont des médicaments qui ne coûtent pas cher car ils sont anciens et ont perdu leur brevet. Certaines firmes arrêtent de les fabriquer sans penser qu’en bout de chaîne, il y a des patients.
Dans son rapport sur les réponses à la pénurie des médicaments, le syndicat français des entreprises pharmaceutiques préconise d’ailleurs d’autoriser l’augmentation des prix des médicaments vieillissants, pour les rendre économiquement viables. Qu’en pensez vous ?
C’est clairement un jeu pervers des firmes. Le deal partout c’est : le médicament est neuf, le prix est élevé et progressivement il baisse. Sauf que maintenant les firmes disent que les médicaments vieillissants ne rapportent plus d’argent, mais elles ont oublié combien ils leur ont rapporté lorsqu’ils étaient eux aussi innovants. Les firmes jouent le profit maximum au détriment des citoyens. Si les prix augmentent, c’est la Sécurité sociale qui paye et derrière, les Français.
Un rapport sénatorial de 2018 sur la pénurie des médicaments préconise lui, des exonérations fiscales ciblées pour les entreprises qui se ”relocaliseraient” en France…
Si la production était localisée en Europe, il est certain que l’acheminement serait plus facile. Mais question justice sociale, ce mécanisme d’exonérations fiscales serait aberrant. L’Etat finance déjà les recherches fondamentales, les citoyens, eux, payent sous forme de cotisations sociales et de taxes les médicaments, et il faudrait encore exonérer de taxes ces entreprises qui n’ont absolument aucune difficulté financière ? Je ne vois pas en quoi l’Etat devrait diminuer la fiscalité de ces firmes pour réduire les pénuries. C’est exagéré, même si le sujet est très important. Peut-être faudrait-il davantage imaginer des restrictions de prix pour sécuriser l’approvisionnement.
Certains experts disent que les médicaments sont achetés moins chers par la France et que les industries pharmaceutiques préfèrent ainsi vendre à d’autres pays qui achètent plus chers les mêmes médicaments. Cela explique-t-il aussi la pénurie dans l’Hexagone ?
Oui en partie, mais tous les pays du monde sont touchés par la pénurie notamment parce que la demande mondiale de médicaments a augmenté avec l’arrivée des pays émergents sur le marché, ou les ”pharmerging” comme on les appelle dans le jargon. Il y a parfois un déséquilibre entre l'offre et la demande, notamment sur le marché des vaccins où des Etats comme la Chine établissent des programmes de vaccinations obligatoires et forcément cela créer des tensions. Par ailleurs, la France achète un peu moins cher que ces voisins, mais il s’agit d’un écart de l’ordre de 10% tout au plus et ce n'est pas vrai sur tous les médicaments.
Dans sa feuille de route pour prévenir les pénuries de médicaments, la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, parle de "renforcer la coordination nationale et la coopération européenne". C’est une solution pour contrecarrer cette concurrence ?
Ici, la coopération européenne peut avoir un sens. Tous les pays européens sont confrontés à la même pénurie de médicaments. Une coopération européenne qui consisterait à s’accorder sur des prix planchers et plafonds, serait une bonne solution car il n’y aurait pas de différences entre les pays. Il faut coopérer en trouvant des moyens de contraindre les firmes de sécuriser l’approvisionnement des médicaments.
C’est bien depuis que les firmes ont décomposé leur production, que les pénuries se sont démultipliées par dix en l’espace de quelques années. C’est donc dans l’organisation de la production que l’ont trouve à la fois les causes des pénuries mais aussi des solutions, notamment celle de revenir à une production entièrement composée au même endroit.
Dans son rapport sur les réponses à la pénurie des médicaments, le syndicat français des entreprises pharmaceutiques préconise d’ailleurs d’autoriser l’augmentation des prix des médicaments vieillissants, pour les rendre économiquement viables. Qu’en pensez vous ?
C’est clairement un jeu pervers des firmes. Le deal partout c’est : le médicament est neuf, le prix est élevé et progressivement il baisse. Sauf que maintenant les firmes disent que les médicaments vieillissants ne rapportent plus d’argent, mais elles ont oublié combien ils leur ont rapporté lorsqu’ils étaient eux aussi innovants. Les firmes jouent le profit maximum au détriment des citoyens. Si les prix augmentent, c’est la Sécurité sociale qui paye et derrière, les Français.
Un rapport sénatorial de 2018 sur la pénurie des médicaments préconise lui, des exonérations fiscales ciblées pour les entreprises qui se ”relocaliseraient” en France…
Si la production était localisée en Europe, il est certain que l’acheminement serait plus facile. Mais question justice sociale, ce mécanisme d’exonérations fiscales serait aberrant. L’Etat finance déjà les recherches fondamentales, les citoyens, eux, payent sous forme de cotisations sociales et de taxes les médicaments, et il faudrait encore exonérer de taxes ces entreprises qui n’ont absolument aucune difficulté financière ? Je ne vois pas en quoi l’Etat devrait diminuer la fiscalité de ces firmes pour réduire les pénuries. C’est exagéré, même si le sujet est très important. Peut-être faudrait-il davantage imaginer des restrictions de prix pour sécuriser l’approvisionnement.
Certains experts disent que les médicaments sont achetés moins chers par la France et que les industries pharmaceutiques préfèrent ainsi vendre à d’autres pays qui achètent plus chers les mêmes médicaments. Cela explique-t-il aussi la pénurie dans l’Hexagone ?
Oui en partie, mais tous les pays du monde sont touchés par la pénurie notamment parce que la demande mondiale de médicaments a augmenté avec l’arrivée des pays émergents sur le marché, ou les ”pharmerging” comme on les appelle dans le jargon. Il y a parfois un déséquilibre entre l'offre et la demande, notamment sur le marché des vaccins où des Etats comme la Chine établissent des programmes de vaccinations obligatoires et forcément cela créer des tensions. Par ailleurs, la France achète un peu moins cher que ces voisins, mais il s’agit d’un écart de l’ordre de 10% tout au plus et ce n'est pas vrai sur tous les médicaments.
Dans sa feuille de route pour prévenir les pénuries de médicaments, la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, parle de "renforcer la coordination nationale et la coopération européenne". C’est une solution pour contrecarrer cette concurrence ?
Ici, la coopération européenne peut avoir un sens. Tous les pays européens sont confrontés à la même pénurie de médicaments. Une coopération européenne qui consisterait à s’accorder sur des prix planchers et plafonds, serait une bonne solution car il n’y aurait pas de différences entre les pays. Il faut coopérer en trouvant des moyens de contraindre les firmes de sécuriser l’approvisionnement des médicaments.
C’est bien depuis que les firmes ont décomposé leur production, que les pénuries se sont démultipliées par dix en l’espace de quelques années. C’est donc dans l’organisation de la production que l’ont trouve à la fois les causes des pénuries mais aussi des solutions, notamment celle de revenir à une production entièrement composée au même endroit.
Source : https://www.marianne.net/societe/penurie-de-medicaments-les-firmes-jouent-le-profit-maximum-au-detriment-des-citoyens?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1565719676
Créer des société d'économie mixte afin de produire en France les médicaments essentiels qui ne sont plus protégés par des brevets, comme cela a été fait en Russie. Les médicaments seraient moins chers et nous serions autonomes.
Nous ne dépendrions plus des groupes pharmaceutiques et serions en position de force pour négocier avec eux.
La priorité serait donnée aux anciens médicaments, souvent beaucoup plus efficaces que ceux produits par la course aux brevets.
La priorité serait donnée aux anciens médicaments, souvent beaucoup plus efficaces que ceux produits par la course aux brevets.
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