George Clooney n'en souffle mot. Dans son film sur les Monuments Men, il n'est jamais fait allusion aux vols et pillages commis par l'armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Les faits existent pourtant, comme le signale Seth Givens. Ce docteur en histoire militaire à l'université de l'Ohio a consacré une thèse à ce sujet *. Un par un, il a interrogé les vétérans et dépouillé les archives privées comme publiques. En exclusivité, il revient sur ces pratiques honteuses des GI.
Le Figaro Magazine - Comment a commencé votre recherche? Pourquoi avoir choisi ce thème?
Seth Givens - Quand j'étais petit, je voyais souvent dans les maisons d'amis ou de proches des objets militaires allemands: drapeaux, poignards des Jeunesses hitlériennes, etc. Je me suis toujours demandé comment ils étaient arrivés là. Durant mes études, j'ai commencé à lire des ouvrages sur l'époque. La plupart avaient tendance à décrire plutôt qu'à analyser. J'ai voulu comprendre ce que signifiait «prendre» pour un soldat américain. J'ai commencé à distinguer la chasse aux souvenirs du franc pillage, bien plus rare.
La hiérarchie se montrait-elle tolérante?
Les soldats américains étaient autorisés à se saisir et à expédier certains objets vers les Etats-Unis. Mais uniquement l'équipement militaire de l'ennemi. Cette chasse aux souvenirs était légitimée par la convention de La Haye. En 1944, un soldat qui voulait envoyer des jumelles ou un pistolet à la maison avait simplement besoin de l'autorisation de son commandement. Un policier devait signer un document spécifique. Du moins en théorie.
Et le pillage de biens civils?
Que ce soit un poulailler, une cave à alcools ou un salon, c'était strictement interdit. Mais il y en avait. Les témoignages abondent. Dans une lettre datée du 23 avril 1945, le sergent Raymond Gantter écrit sur le terrain des opérations: «Nous sommes la dévastation. Après notre passage, il reste peu. Pas de caméras, pas de pistolets, pas de montres, très peu de bijoux, et seulement quelques sacrées Vierges. Nous laissons derrière nous une traînée de vaisselle cassée, de bocaux de fruits volés et vidés, des maisons sales. Notre attitude générale (que je suis enclin à partager) est: “Donc, vous avez voulu la guerre totale? Vous avez cru en elle, vous vous en vantiez? Eh bien, ça y est!”»
Quels objets étaient particulièrement prisés par les GI?
Le Luger, une arme mythique. Le meilleur souvenir possible. Mais la troupe cherchait d'autres biens précieux transportables, comme des bijoux, des montres ou des appareils photo Leica. A l'arrière, il y avait de l'argent à se faire, un marché noir. Mais plus encore, on cherchait en urgence de quoi améliorer sa ration et avoir chaud. Des manteaux de fourrure, par exemple. Parfois, la vengeance d'un camarade perdu, la découverte d'un charnier ou d'un camp était prétexte au pillage. On punissait ainsi les Allemands pour les péchés collectifs de leur nation.
Avez-vous eu connaissance de pilleurs punis?
Je cite le cas du château de Kronberg, où le capitaine Kathleen Nash et le colonel Jack Durant ont dérobé les joyaux de la couronne de la Hesse. Ils ont été identifiés, poursuivis et le trésor rendu. Mais de manière générale il n'y a jamais eu de système de punition précis, ce qui explique que les ordres proscrivant le pillage se soient avérés largement inefficaces. Eisenhower et le commandement suprême du corps expéditionnaire allié ont eu connaissance de nombreuses plaintes émises en France, en Belgique et dans d'autres territoires nazis libérés. Ils tenaient à endiguer le phénomène. Ils craignaient, je crois, les conséquences politiques. D'éventuels comportements de soldats pauvres pouvaient envenimer les relations interalliées. Plus important encore, le pillage - comme le viol, d'ailleurs - commis en territoire ennemi, pouvait inciter le peuple allemand à se fédérer à nouveau. Bref, cela ne pouvait que compliquer la démocratisation de l'Allemagne nazie. Il fallait aussi gagner la bataille des cœurs et des esprits. Or, une blague se propageait dans toute l'Allemagne: «USA» était en fait l'acronyme pour «Uhren Stehlen Auch», ce qui veut dire «Ils volent les montres aussi». Cela en dit long sur la réputation des GI… Au total, en Allemagne, 284 d'entre eux ont été officiellement impliqués dans 187 faits. C'est peu, comparé aux 3 000 punitions pour uniforme négligé! La répression ne s'est guère révélée dissuasive. En fait, la règle était: pas vu pas pris.
L'armée soviétique a-t-elle volé plus que l'armée américaine?
Assurément, oui. Tandis que l'armée américaine considérait le pillage comme illégal, l'armée Rouge entreprenait une razzia systématique et formalisée de l'Allemagne. Pour l'Union soviétique, la victoire était la preuve de la supériorité de son peuple et de son système. De la sorte, le pillage était justifiable. L'Allemagne n'avait qu'à endurer cette punition. L'armée Rouge a édicté un ensemble de règlements qui autorisait chacun de ses soldats à envoyer un colis de 11 livres de biens par mois. Les officiers pouvaient aller jusqu'à 32 livres. Des trains ont acheminé jusqu'à 50 000 colis par mois. La situation est devenue telle que le service postal russe n'arrivait plus à gérer le flot de paquets.
Avez-vous connaissance de restitutions américaines?
Des œuvres de Dürer et de Raphaël ont été rendues des années plus tard. Il y a eu aussi le plus ancien manuscrit connu en allemand, une énorme collection de timbres et un manuscrit autographe de Frédéric le Grand. Il faut dire qu'après guerre, le pillage a cessé. Cela pour plusieurs raisons. Les unités étant désormais stationnaires, elles avaient plus de confort et leurs cadres pouvaient mieux assurer la discipline.
Quelle a été la réaction de l'US Army à votre enquête?
Aucune réaction. Mais, en 2009, la société d'histoire militaire Northern Great Plains m'a remis le prix de la meilleure communication étudiante, ce qui peut passer pour une forme de reconnaissance…
*Bringing Back Memories: GIs, Souvenir Hunting, and Looting in Germany, 1945.
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