L’article envisagé ici, publié par ailleurs sur ce site, est extrêmement long et minutieux et peut effectivement être considéré comme une sorte de bilan du programme au seuil du début de sa vie opérationnelle, – si vie opérationnelle il y a, – alors que ses débuts dans la conception (comme pour chaque programme) remonte à 1993-1994, – soit un quart de siècle pour parvenir au seuil de la mission à laquelle il est destiné, sans savoir, et même en doutant fortement qu’il ne la remplira jamais. L’analyse vient du groupe POGO, la meilleure source disponible, évidemment indépendante, donne une mesure exceptionnelle de la catastrophe “systémique” qu’est le programme JSF, alias F-35.
Le groupe POGO est en effet la meilleure source de surveillance critique des productions et des comportements des grandes forces du pouvoir et de l’argent aux USA ; pour sa partie militaire et de sécurité nationale, POGO a absorbé le CDI (Center for Defense Information), think tank fameux créé en 1971 pour dénoncer les folies du Pentagone déjà bien en marche, animé par deux officiers généraux “dissidents” de l’US Navy arrivés à leur retraite, le fondateur, l’amiral Gene La Rocque rejoint quelques années après par l’amiral Eugene Carroll. (C’est au CDI que Winslow Wheeler, fameux critique réformiste du Pentagone, débuta et fit l’essentiel de sa carrière, jusqu’à sa retraite de 2015, après l’absorption du CDI par POGO.)
(On nous pardonnera de ne pas avoir traduit cet article accessible sur ce site, comme nous essayons de faire systématiquement désormais mais il fait partie des exceptions confirmant cette nouvelle règle : sa longueur et sa spécificité technique ont découragé notre personnel pléthorique. Nous pensons par ailleurs que le sens général en est très compréhensible ; quant à ceux qui voudraient en avoir le détail, nécessairement assez technique, nous pensons qu’ils doivent avoir une capacité de compréhension de la langue, tant le domaine aérospatial est complètement anglosaxonnisé au niveau de la communication, notamment pour le domaine technique.)
ALIS au Pays des Merveilles
Nous mentionnons quelques points du contenu de cet article avec des citations et des extraits, qui permettent de se faire une idée de la situation de l’alias-F-35 tel qu’il est décrit, avec nul motif de satisfaction, d’encouragement ni même d’espoir, et au contraire le détail de la multitude de constats catastrophiques qui forment l’essentiel voire l’exclusif matériau de structuration de ce programme ; le JSF, alias F-35, complet simulacre catastrophique, couvert et chéri par les responsables de la fameuse “sécurité nationale” des USA portant pour l’occasion, entre diverses corruptions, une extraordinaire responsabilité.
• Le F-35 est souvent présenté par les acteurs-Système du programme (Lockheed-Martin et le Pentagone) comme “un ordinateur volant”. Acceptons l’expression, pour aussitôt remarquer qu’elle signifie alors qu’il est un ordinateur incroyablement vulnérable, ouvert à tous les vents, et dont les hackeurs peuvent en faire leur gruyère...
« Comme les années précédentes, les tests de cybersécurité[de 2018] montrent que de nombreuses vulnérabilités du F-35 n'ont pas été corrigées, ce qui signifie que les pirates informatiques ennemis pourraient potentiellement mettre hors d’état de fonctionnement le système ALIS [qui contrôle entièrement l’activité du F-35], voler des données secrètes du réseau et des ordinateurs de bord, et peut-être empêcher le F-35 de voler ou de réaliser ses missions. [...]
» Un incident survenu en 2007 montre ce que pourrait provoquer une telle intervention. Un vol de chasseurs F-22 traversant le Pacifique a perdu tous ses systèmes lors du franchissement de la ligne internationale de changement de date internationale. Un problème de logiciel dans le processeur principal a fait des ravages sur tous les systèmes qui y étaient connectés, y compris la navigation, les communications et les indicateurs de carburant, obligeant le vol à se dérouter en catastrophe vers Hawaii. C'était juste le résultat d'une erreur de codage. Il n'est pas difficile d'imaginer ce qu'un pirate informatique pourrait accomplir. »
• Le système ALIS, dont dépend toutes les capacités opérationnelles du F-35 est une telle calamité qu’on on est à envisager purement et simplement de le remplacer par un nouveau programme curieusement (ou sarcastiquement) nommé Mad Hatter (le “chapelier fou” dans Alice au pays des merveilles, – ou bien s’agit-il de “ALIS in Wonderland” ?). Certains dirigeants civils du Pentagone sont exaspérés par cette catastrophe, et c’est bien un signe caractéristique de sa gravité qu’ils ne le cachent plus au travers de procédés semi-officiels, comme le montre un tweet sarcastique de la Secrétaire à l’Air Force Heather Wilson, le 28 février 2019 : « Je peux garantir qu’aucun spécialiste de la maintenance de l’USAF ne prénommera jamais sa fille Alice. »
Cette profusion d’allusions au fameux livre de Lewis Carroll, qui constitue pour les amateurs un monument d’allégories liées aux fausses réalités, à la simulation du réel, au simulacre, etc., nous laisse une curieuse impression. Tout se passe comme s’il existait, devant la massivité incroyable de cette catastrophe qu’aucune autorité officielle ne veut officiellement dénoncer, un courant de critique, sinon d’autocritique lançant une attaque de l’intérieur du Pentagone et procédant par allégories contre ce programme par ailleurs sanctifié par l’inertie bureaucratique, la corruption colossale que l’accompagne, et le simulacre de puissance qu’il est censé ordonner.
• C’est bien la vérité de situation qu’on devine, qui implique l’effondrement continu de tout le programme (malgré l’arrivée de “Mad Hatter”, dans lequel on nous permettra de ne pas mettre beaucoup d’espoir, d’expérience...) : ALIS est une calamité entropique, avec ce système où chaque amélioration par résolution d’un problème majeur rajoute disons 3 à 4 nouveaux problèmes, ce qui implique une chute exponentielle vers l’entropie...
« Beaucoup de ces problèmes continueront probablement indéfiniment car le logiciel continue à recevoir des correctifs pour rajouter aux précédents correctifs. ALIS est passé par au moins 27 versions. Le rapport d'essai de cette année[2018] comprend à lui seul une discussion sur 5 versions. Chacune d'elles est destinée à ajouter des fonctionnalités et à corriger les déficiences dans les itérations précédentes,[...] notamment la suppression des fausses alarmes qui ont affecté le système. Pourtant, ALIS continue de causer plus de problèmes qu'il n'en résout. Le programme prévoit de lancer quatre mises à niveau majeures au cours des trois prochaines années.
» Le défi inhérent à ce processus est que chaque version introduira presque certainement de nouveaux problèmes. “Selon certaines estimations, entre dix et quinze pour cent des correctifs de sécurité introduisent de nouvelles vulnérabilités”, a écrit Chad Perrin, développeur de logiciels, sur TechRepublic en 2010. [...] ALIS a tellement de défauts et a connu tellement de défaillances que son fabricant, Lockheed Martin, n'a même pas utilisé sa version dans son propre processus de fabrication avant mars 2018. »
Le fer à repasser qui balbutiait
• Les conditions opérationnelles générales de l’avion sont extraordinairement chaotiques, comme le montrent ces quelques extraits, marquées par des défauts dont nombre paraissent irrémédiables, et en constante augmentation à mesure que le programme “progresse” ; il s’agit en fait de la caractéristique générale du programme F-35, une sorte de “stratégie de l’écrevisse” à cause de l’apparition constante de nouveaux défauts : un pas en avant, deux pas en arrière... Qui plus est, les essais conduisant à l’homologation d’une mise en service complète sont truffés d’essais et d’évaluation de combat truqués volontairement par les autorités conduisant le processus.
« Le très important et très retardé rapport Initial Operational Test and Evaluation [IOTE : Essai Initial d’Évaluation Opérationnel] du F-35, qui évalue si l'avion est apte au combat et prêt pour une production à grande échelle, doit non seulement connaître un nouveau retard (sans doute jusque dans les années 2020) mais sera également basé sur des essais au combat beaucoup moins réalistes que nécessaire et prévu. Cela s'explique à la fois par le fait que le personnel chargé des essais est obligé de se contenter d'avions incomplètement développés et handicapés par de nombreuses défaillances, et par le fait que le programme F-35 se refuse depuis des années à financer du matériel adéquat pour les essais et pour les installations réalistes de simulation multi-aéronefs et multi-menaces.
» Peu ou pas d'amélioration de la disponibilité, de la fiabilité et des mesures des heures de vol au cours des dernières années signifie que trop peu de F-35 seront probablement prêts au combat au moment où ils seront le plus nécessaires, maintenant ou dans un avenir prévisible. [...]
» Au cours des essais de durabilité, les F-35 des Marines et de la Navy ont subi tellement de fissures et ont subi tellement de réparations et de modifications que les avions d'essai ne peuvent terminer leurs essais de durée de vie de 8 000 heures. La durée de vie de la cellule de la version F-35B du Marine Corps pourrait être si courte que les F-35B d'aujourd'hui pourraient se retrouver au cimetière pour retrait de service dès 2026, 44 ans avant le triomphant coucher du soleil opérationnel du programme qui était initialement prévu pour 2070. »
• Les paramètres des capacités de combat du F-35 sont extraordinairement bas et soumis là aussi à la “stratégie de l’écrevisse”, lorsque les progrès des capacités sont suivis de chutes de ces capacités. La moyenne du statut de ‘Fully-Capable Mission’ du F-35B des Marines [FCM : capacité de l’avion à remplir totalement sa mission] est situé en moyenne à 18%, alors que le secrétaire à la défense Mattis, lui-même un Marine, exigeait en 2018 80% au minimum. Pour le F-35C de l’US Navy, on évolue actuellement de 0% à 4%-8%, – c’est-à-dire une totale incapacité d’évoluer en mission de combat. L’exemple du F-35C est le plus spectaculaire avec des variables de l’“amélioration” du statut FMC chutant effectivement à 0% pendant certaines périodes.
« Le rapport 2017 du DOT&E a montré un taux de capacité de mission de combat de 26 % pour l'ensemble de la flotte de F-35. Comme le rapport de 2018 ne fait aucune mention de ce taux, il est impossible de savoir quel était le taux de 2018. Le document obtenu de ses sources par POGO montre que le problème persiste : les F-35B des Marines et les F-35C de la Navy ont affiché des chiffres encore plus mauvais en 2018 que l'année précédente. Le taux de capacité au combat du F-35B est passé de 23 % en octobre 2017 à 12,9 % en juin 2018, tandis que celui du F-35C a chuté de 12 % en octobre 2016 à 0% en décembre 2017, puis est resté à un seul chiffre[4%-8%]en 2018. »
• Il y a eu tout de même une utilisation en combat des F-35 (au Moyen-Orient). Les résultats des disponibilités au combat sont affligeantes, et cela dans des conditions de très basse menace, puisqu’il s’agit de missions air-sol à haute altitude, sans opposition aérienne ni anti-aérienne, avec une protection aérienne et de contre-mesures électroniques de grande intensité.
« Les taux de sortie pour l'ensemble de la flotte pour les trois variantes de F-35 calculés par POGO à partir du rapport officiel de 2017 étaient extrêmement faibles, se situant en moyenne entre 0,3 et 0,4 sortie par jour. Pendant l'opération Tempête du désert[de 1990-1991 contre l’Irak], les avions de combat de première ligne, y compris les F-15 et les F-16, ont effectué en moyenne au moins une sortie par jour, et la flotte des A-10 a effectué en moyenne au moins 1,4 sortie par jour. Même sous la pression opérationnelle du récent déploiement de combat au Moyen-Orient, les taux des F-35 ne se sont pas améliorés. Selon les déclarations du commandant de l’escadron engagé, 6 F-35B à bord de l'USS Essex ont effectué plus de 100 sorties en plus de 50 jours au Moyen-Orient. En d'autres termes, chaque F-35B effectuait un tiers d'une sortie par jour, c'est-à-dire en moyenne un vol tous les trois jours, en combat soutenu. »
• Enfin, on mentionnera l’inénarrable cas du canon interne de la version F-35A de l’USAF (les autres versions ont des canons en “pod” externes détachables). Les pilotes de F-35A n’arrivent pas à tirer droit et à bonne distance par rapport à l’objectif visé. Comme ce canon est utilisé pour l’appui-feu rapproché de troupes au sol souvent très proches de l’adversaire, on imagine la sécurité d’un tir qui peut aisément s’égarer sur les forces amies. (L’exercice d’efficacité de missions d’appui au sol rapproché où le F-35 a été évalué opérationnellement contre le A-10 qu’il doit remplacer a été longuement décrit par POGO dans un article l’été dernier. L’essai a été défini par POGO comme “une farce”, arrangée bien entendu à l’avantage du F-35 : « Close Air Support Fly-Off Farce ».)
« Le canon interne du F-35A de l’USAF continue de faire preuve d'une faible précision lors des essais, comme par le passé. Le canon tire plus long et à droite des cibles lorsque les pilotes visent à l'aide de repères projetés dans leur casque. Les ajustements apportés au logiciel de ciblage du casque auraient dû permettre de corriger les repères en fonction des impacts de balles, mais les tentatives répétées sur une période d'au moins deux ans ont échoué. Les enquêteurs ont découvert pour la première fois des désalignements dans les supports de canon en 2017 ; selon le rapport de 2018, “le véritable alignement de chaque canon des F-35A n’est pas connu”. »
Le JSF et le “règne de la quantité”
L’importance de l’article, – la quantité de la qualité dirions-nous pour échapper au “piège de la quantité”, grâce à la valeur de ses sources, à l’abondance des faits irréfutables recensés par l’auteur Dan Grazier, – en fait une étape importante dans la communication critique du programme-JSF, jusqu’à offrir une somme critique qui donne au programme-JSF sa dimension de “catastrophe systémique” sans aucun précédent dans l’histoire de l’aviation, qui fait sortir ce programme de ce seul domaine de l’aviation. Le programme-JSF nous signale “par le haut”, si l’on considère sa monstruosité à tous égards, – et là, au contraire, au cœur de la perversité fondamentale du “règne de la quantité” guénonien, – le signe tonitruant de la crise terminale du technologisme.
Il serait alors temps d’explorer le programme F-35 pour ce qu’il est, c’est-à-dire un phénomène colossal de la crise de la modernité et de l’effondrement du Système. Il est d’autant plus temps que le programme est en train d’atteindre l’instant très rude de la collision entre le simulacre et sa narrative d’une part, la vérité-de-situation d’autre part, là où le déterminisme-narrativiste atteint ses limites parce qu’un avion de combat est quelque chose qui doit être confronté, au moment de son entrée dans l’opérationnalité du monde, à la vérité de ce monde dans son domaine.
Une “entité-monstre incontrôlable” ?
Nous serions tentés de considérer le programme JSF, non seulement comme une “catastrophe systémique”, mais plus encore dans une nouvelle catégorie que nous voudrions proposer sous l’expression d’“entité-monstre incontrôlable”. (Nous ajoutons la signification formelle d’entité à l’idée de “monstre incontrôlable” que nous avons déjà employé pour deux phénomènes : les Gilets-Jauneset le Russiagate.) Il s’agirait de quelque chose, d’un ensemble (une “entité”) que nous observerions comme extrêmement malléable dans l’orientation de ses objectifs et de ses composants, dans le domaine où il évoluerait, etc., qui pourrait être dans sa conception maléfique ou bénéfique, pro-Système ou antiSystème, surpuissant jusqu’à l’autodestruction du Système, ou accélérateur extérieur de l’autodestruction du Système.
Bien entendu, il s’agirait d’un ensemble complètement incontrôlable et développé à partir de forces non-identifiables à l’origine, dont le but et l’organisation peuvent exister dans un sens faussaire, ou ne pas exister du tout et naître avec le développement du phénomène. Dans tous les cas, il s’agirait de simulacres dans leur construction, mais avec des effets différents, vertueux ou vicieux, certains extrêmement productifs d’effets antiSystème dans le “jugement de valeur” qu’on pourrait avoir d’eux, d’autres issus du Système et complètement catastrophiques dans cette perspective, et avec effets indirects antiSystème. En effet, le phénomène que nous envisageons ne pourrait être qu’antiSystème, puisque toutes les forces qui agissent aujourd’hui, même si elles naissent du Système, sont nécessairement antiSystème dans un flux général qui est passé de la surpuissance à l’autodestruction.
Nous ferions de cette catégorie un concept touchant absolument tous les domaines : le JSF serait une “entité-monstre incontrôlable”, comme le sont les Gilets-Jaunes, comme l’est le Russiagate... Bien entendu encore, l’essentiel de la puissance jusqu’à la surpuissance est produit par le système de la communication, – ce qui est le fait du programme-JSF, comme des Gilets-Jaunes et du Russiagate.
Nous reviendrons bien entendu sur cette idée et ce concept. En attendant et selon l’hypothèse de la consolidation de ce concept, il faut saluer le programme-JSF/alias-F-35 d’avoir dans ce cas prouvé sa complète utilité sinon sa raison d'être...
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