Voilà, c’est fait : la directive sur le droit d’auteur a été adoptée au Parlement Européen.
La bataille a fait rage, et les lobbys n’y sont pas allés de main morte : tribunes d’artistes dans Le Monde, millions d’euros dépensés par Edima, le lobby des plateformes numériques à Bruxelles…
Mais ce n’est pas la première fois que nos tuteurs dirigeants, motivés par notre plus grand bonheur et une méconnaissance redoutable des technologies modernes, essayent de nous censurer. On se souviendra de la créativité administrative impressionnante de la HADOPI, mais aussi des plus récents (et plus inquiétants) PIPA, SIPA, ACTA, TPP, NDAA… Ces accords internationaux sont passés à la trappe, plus par méconnaissance des enjeux et méfiance que par désir de maintenir la liberté individuelle.
Avec l’adoption de la directive droits d’auteur, on entre dans le flou le plus absolu aux conséquences difficiles à prévoir.
Cette directive instaure en effet un système dans lequel les intermédiaires techniques (réseaux sociaux et plateformes en ligne) contrôleront l’application du droit d’auteur. Les optimistes (benêts ?) diront qu’il s’agit de leur responsabilité et de leur rôle. Les pessimistes (réalistes ?), eux, noteront que nos tuteurs vont avoir un mal de chien à s’empêcher d’élargir leur champ d’action, pour, par exemple, appliquer des méthodes similaires aux élections européennes… D’autant que Les GAFAM n’ont pas attendu la décision pour se préparer à l’appliquer. De base ils auraient préféré que cette réglementation n’existe pas, mais à défaut, ils feront en sorte d’en tirer le meilleur parti d’autant plus qu’ils ont anticipé cette loi et ont déjà commencé à l’intégrer.
Le Content ID
C’est ici que le Content ID de Youtube entre en jeu. C’est une intelligence artificielle (IA) qui va vérifier dans chaque nouvelle vidéo que vous téléversez que le contenu posté n’existe pas déjà sur la plateforme, assurant ainsi que les images et les sons que vous utilisez vous appartiennent vraiment.
Si ce n’est pas le cas, les revenus générés par la vidéo seront reversés à leur propriétaire.
Prenons un exemple : je me sens l’envie irrépressible de réaliser un best-of des discours de Jean-Vincent Placé, et prends donc des morceaux choisis de LCP, La Chaîne Parlementaire, pour son traitement de l’image vivant et pétillant. Je mets ma compilation en ligne, jouant Placé pour gagner. Las. Grâce au Content ID de Youtube, ma vidéo sera bien monétisée mais l’ensemble des revenus iront à LCP.
Le Monstre des Data
Eh oui, cette IA monstrueuse est plus artificielle qu’intelligente : elle ne sait pas détecter la parodie ou la citation.
Pourtant, si le texte de la directive européenne prévoit le respect de la parodie ou la citation, la réalité est tout autre. Quand on a dix mille fichiers à traiter en une heure, aucun humain ne tient le rythme et la machine qui le remplace est incapable de différencier un best of de Jean-Vincent Placé d’une vidéo satirique avec citations rigolotes.
Les critiques de jeux-vidéo ? Ça tombe. Les commentaires de bouquins ? Ça tombe. Les cover de mozinor ? Ça tombe.
Les risques de faux-positifs sont plus qu’énormes : ils sont inévitables (pour ceux qui aiment la technique, c’est ici).
Avec un tel pouvoir, des chaînes comme le Joueur du Grenier n’auraient jamais pu entrer dans le Youtube Game. Au revoir la concurrence, bonjour le statu quo : les grosses chaînes pourront négocier directement avec Youtube, les autres n’auront pas cette chance.
L’Inquisition de l’Empereur-Europe
Et c’est là que tout se joue : le Content ID transforme la plateforme en juridiction suprême du droit de la vidéo en ligne, en inversant la charge de la preuve : les ayant droits n’ont plus à prouver que tel extrait leur appartient, c’est à vous de réclamer et prouver qu’il s’agit bien de parodie ou de citation. Le content ID détecte a priori, l’ayant droit supposé obtient les droits par défaut et le youtubeur peut ensuite tenter de réclamer.
Le Content ID a instauré Youtube en nouveau juge, créant un droit à l’image parallèle, plus restreint et plus opaque que le droit officiel : certaines vidéos gardent sons et images originaux mais restent en ligne, d’autres affichent des faux positifs et sont supprimées, d’autres sont démonétisées pour le Youtubeur et les droits vont aux « ayant droits » d’un extrait… Impossible de savoir comment le tri est fait, ni de savoir pourquoi certaines passent systématiquement sous le radar du Content ID.
Or, ce Content ID constitue le meilleur et probablement le seul prototype de ce que seront les réseaux sociaux après l’application de la directive droits d’auteur.
Le Content ID a instauré Youtube en nouveau juge, créant un droit à l’image parallèle, plus restreint et plus opaque que le droit officiel : certaines vidéos gardent sons et images originaux mais restent en ligne, d’autres affichent des faux positifs et sont supprimées, d’autres sont démonétisées pour le Youtubeur et les droits vont aux « ayant droits » d’un extrait… Impossible de savoir comment le tri est fait, ni de savoir pourquoi certaines passent systématiquement sous le radar du Content ID.
Or, ce Content ID constitue le meilleur et probablement le seul prototype de ce que seront les réseaux sociaux après l’application de la directive droits d’auteur.
Je suis Monsieur Lambda, que se passe-t-il ?
Si vous postez une vidéo sur Youtube, tournée avec votre mobile et un budget rikiki, vous êtes soumis aux mêmes contraintes que les grosses chaînes de production comme Palmashow ou Vevo.
Pour obtenir une autorisation d’un ayant droit, la procédure Youtube prend entre 3 à 6 mois et même si cela reste plus rapide qu’une administration française, cela veut dire que votre vidéo critique de Captain Marvel ne sera pas mise en ligne en temps utile.
Vous prenez une photo de la Tour Eiffel trop similaire à celle d’Anne Hidalgo et vous souhaitez la partager en ligne ? Que nenni : elle ne passera même pas l’étape de publication et ne sera pas mise sur votre fil Facebook / Instagram/ Twitter.
Fini les émissions de review avec incrustation d’images ou de sons pas libre de droits. Pour ces dernières, on devra en passer par les critiques officiels approuvés par le producteur d’une œuvre et donc bien entendu rigoureusement impartiaux et fiables.
Bref, c’est la déroute. Mais si ni GAFAM ni internautes ne voulaient de cette directive, comment a-t-elle été adoptée ? Qui avantage-t-elle ?
Fini les émissions de review avec incrustation d’images ou de sons pas libre de droits. Pour ces dernières, on devra en passer par les critiques officiels approuvés par le producteur d’une œuvre et donc bien entendu rigoureusement impartiaux et fiables.
Bref, c’est la déroute. Mais si ni GAFAM ni internautes ne voulaient de cette directive, comment a-t-elle été adoptée ? Qui avantage-t-elle ?
Gouvernemaman Is Back
Surprise ! En premier lieu, elle avantage nos tuteurs légaux, à savoir la gauche régressive de la Team Progrès.
Jusqu’à présent en échec sur l’idée de la fin de l’anonymat sur Internet pourtant si pratique pour censurer les idées déviantes individuellement notre Bien, le gourvernemaman tient désormais sa revanche avec cette directive.
En outre, ils y gagnent sur un créneau plus politique : la culture mémétique, irrévérencieuse, virale et plutôt de droite, a participé aux élections de partis qui leurs déplaisent en Italie, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis… Avec cette directive, les GAFAM, eux aussi membres de la Team Progrès, pourront censurer ce qui leur déplaît sous prétexte de droits d’auteurs. Pratique, et les politiques conservent les mains propres.
Le Zuck gagne un niveau
Et puis, malgré leur opposition initiale, cela arrange aussi les GAFAM.
L’article 11, définissant la « taxe hyperlien », était la pierre d’achoppement et le motif de leur opposition de base, ainsi que les coûts de mise en place des outils de surveillance.
Certes, reproduire l’équivalent du Content ID sur les autres plateformes que Youtube va coûter cher. Certes, il faudra lâcher un pourboire aux médias traditionnels lorsqu’ils agrègent leurs actualités. Certes. Mais comme lot de consolation ils gagnent :
Et puis, malgré leur opposition initiale, cela arrange aussi les GAFAM.
L’article 11, définissant la « taxe hyperlien », était la pierre d’achoppement et le motif de leur opposition de base, ainsi que les coûts de mise en place des outils de surveillance.
Certes, reproduire l’équivalent du Content ID sur les autres plateformes que Youtube va coûter cher. Certes, il faudra lâcher un pourboire aux médias traditionnels lorsqu’ils agrègent leurs actualités. Certes. Mais comme lot de consolation ils gagnent :
- Le pouvoir juridique de censurer ce qui leur déplait
- La possibilité de se constituer en arbitre incontournable de ce qui est dicible ou non sur leurs réseaux (les recours seront déposés devant eux et pas devant un juge)
- Un moyen d’écraser la concurrence avant qu’elle n’arrive : vu les moyens juridiques et techniques imposés pour garantir la conformité des contenus, impossible qu’une alternative émerge. Dans l’Union Européenne, le marché va se figer.
- Le rôle de gendarme d’internet de facto, alors qu’ils ne sont qu’un intermédiaire technique (si vous doutez de son pouvoir d’action, regardez sur combien de sites vous vous créez un compte avec vos identifiants Google ou Facebook)
Pire : ne croyez pas qu’ils s’arrêteront au droit d’auteur, ne croyez pas qu’ils s’arrêteront à l’Europe.
Par Dern et h16
Hic Sunt les censeurs
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