02 janvier 2019

Pourquoi est-ce si facile de nous mentir ? - Le cas de la Russie et du Climat-Gate

 
Nos médias nous alimentent régulièrement de mensonges et l’histoire de l’implication des services secrets russes dans le piratage du Climat-Gate n’en est qu’un exemple. J’ai pensé qu’il valait la peine d’en discuter ici à la lumière du fait que c’est l’un des mensonges les plus flagrants que j’ai jamais pu trouver. C’est aussi une bonne illustration de l’incroyable persistance des légendes dans les médias.

La semaine dernière, j’ai cité l’histoire du Climat-Gate, notant qu’elle faisait partie d’un vaste effort de propagande anti-scientifique et qu’elle a dû impliquer un travail de piratage professionnel pour pénétrer dans le serveur de l’East Anglia University. Sur ce point, j’ai reçu un commentaire de Andy Mitchell qui disait :

« Le hack du Climat-Gate n’a qu’un seul suspect : le Pétro-État russe. Il n’y a pas d’autres suspects. »


Notez la certitude absolue de cette affirmation : c’est une caractéristique typique des légendes. Alors, j’ai pensé que c’était assez intrigant pour mériter un petit examen.

L’origine de l’histoire de l’implication des services secrets russes dans le Climat-Gate est facile à trouver : c’est un article du Daily Mail du 6 décembre 2009. Ensuite, la démystification des légendes prend normalement un peu de travail mais, dans ce cas, il est remarquable qu’il n’y ait rien à démystifier : l’article du Daily Mail ne contient aucun fait, aucune preuve, aucune donnée.

Vous pouvez lire l’article vous-même, et vous serez étonné de voir à quel point il est évident que c’est quelque chose inventé à partir d’un tissu de mensonges. Le seul vague lien avec la réalité est que les fichiers du Climat-Gate peuvent avoir été stockés pendant une courte période à Tomsk, une ville russe. Et, bien sûr, ces pirates russes doivent être très intelligents et pourtant, ils ne pensaient pas que le fait de stocker leurs données sur un serveur russe aurait permis de trouver l’origine du piratage par des journalistes encore plus intelligents du Daily Mail !

 
Parmi les choses les plus drôles de l’article, on peut citer la mention d’un « expert mondial de premier plan en matière de changement climatique, le professeur Serguei Kirpotine » qui n’a strictement rien dit sur l’histoire du piratage, mais dont l’image grand format apparaît dans l’article. Apparemment, ils devaient atteindre une certaine longueur pour leur papier et ils n’ont rien pu trouver de mieux que cela. J’imagine qu’ils pensaient : il est russe, il parle du climat et il va marcher. Cela montre, soit dit en passant, ce qu’ils pensent du niveau d’intelligence de leurs lecteurs.

Comme je l’ai dit, c’est une histoire vintage, mais nous pouvons en tirer quelque chose parce que dix ans se sont écoulés depuis sa première apparition dans la mème-sphère.

1. Les mensonges qui apparaissent dans les médias grand public peuvent être inventés à partir de rien – ils n’ont pas besoin d’être liés en aucune façon à la réalité. Le fait qu’ils apparaissent dans un tabloïd, le Daily Mail, bien connu pour son manque de fiabilité (diffusant aussi le fait qu’un restaurant vend de la viande humaine au Nigeria) ne signifie rien ou presque. Il suffit que la légende soit d’accord avec une perception bien connue, dans ce cas, que les Russes sont mauvais et trompeurs, ainsi que nos ennemis.

2. Il n’y a pas eu de tentative significative de démystifier l’histoire dans la presse occidentale. Elle a été reproduite presque mot pour mot dans d’autres organes de presse, le Telegraph, par exemple. Même le Guardian a rapporté l’histoire comme une attaque des services secrets russes. Je n’ai pas trouvé de commentaires sceptiques sur ces histoires : peut-être qu’ils ont été censurés ou, tout simplement, il n’y en avait pas.

3. Les légendes sont aussi incroyablement persistantes. La rumeur selon laquelle les Russes sont à l’origine du scandale du Climat-Gate ne cesse de réapparaître. En 2016, le site Mother Jones a publié un article particulièrement alambiqué dans lequel il tentait de démontrer que, puisque les Russes avaient piraté les élections américaines de 2016, il était également vrai qu’ils avaient créé le scandale Climat-Gate sept ans auparavant (ou peut-être l’inverse : puisqu’ils avaient créé le scandale Climat-Gate, il était donc crédible qu’ils aient aussi piraté les élections américaines). Les légendes peuvent se renforcer mutuellement, qu’elles soient basées sur quelque chose de réel ou non.

Cette histoire est impressionnante, pas tant parce qu’elle est fausse. Pour ce que je sais, les pirates qui ont créé l’histoire de Climat-Gate pourraient venir de n’importe où dans le monde – ils auraient pu être russes, pourquoi pas ? Cela ne changerait rien au fait qu’il est facile de nous mentir. Mentir ne comporte aucune pénalité et les mensonges les plus scandaleux seront normalement crus par presque tout le monde. Nos médias nous ont menti, ils continuent de le faire et ils continueront de le faire. Mais il y a un problème : les associations basées sur le mensonge ne peuvent pas durer très longtemps, qu’il s’agisse de mariages, d’accords commerciaux ou de sociétés entières. Les empires basés sur le mensonge sont destinés à chuter. Cela s’est produit dans le passé et cela pourrait bien nous arriver dans un proche avenir.

Ugo Bardi

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